Mortelles frontières

Mercredi 31 Mai, un homme de 25 ans venu du Soudan a chuté d’un camion dans lequel il tentait de monter dans la zone industrielle de Marck pour passer au Royaume-Uni. Le poids-lourd lui a roulé dessus. Le chauffeur a continué sa route sans s’arrêter.
Une enquête est ouverte pour déterminer s’il s’agit d’un délit de fuite ou si le chauffeur ne s’est pas rendu compte du drame. Le 10 mai, un autre soudanais est mort après avoir été percuté par un véhicule sur la rocade portuaire de Calais.

Depuis 1999, 367 personnes sont décédées en tentant de franchir la frontière franco-belge et le Royaume-Uni. L’Union Européenne a supprimé les contrôles douaniers au sein de l’espace Schengen, en contrepartie, les frontières extérieures de cet espace ont été renforcées. On parle depuis d’« Europe forteresse ». Le Royaume-Uni ne fait pas partie de l’espace Schengen, ainsi, la frontière franco-belge et le Royaume-Uni est très surveillée. Le Royaume-Uni a négocié que la frontière soit sur la côte française. Les personnes qui espèrent passer en Grande-Bretagne sont systématiquement harcelées. Les expulsions des campements sont fréquentes, les tentes sont lacérées, les biens confisqués, les personnes humiliées.

Les obstacles mis en place par les gouvernements rendent les passages toujours plus dangereux et augmentent les risques de drames. Le site lesjours.fr a cherché et compilé les exilé.e.s disparu.e.s le long de cette frontière maritime. Leur « Mémorial de Calais » recense les victimes pour qu’on ne les oublie pas.

Bennnfrontiere mortelles

Loi Kasbarian-Berge, le projet qui fout la gerbe

Afin de protéger « les petits proprios qui ne roulent pas sur l’or » (des créatures mythologiques que le député Renaissance Guillaume Kasbarian serait le seul a avoir aperçus), la loi prévoit de dégommer...un peu tout le monde.

D’après une proposition de loi, votée en octobre 2022, les locataires, commerçant.es et accédant.es à la propriété, surendettés, et dont le bail a été résilié, encourent 7 500 euros d’amende si iels occupent toujours leur logement après la décision d’expulsion. Quant aux sans-abris et squateur.euses qui se poseraient dans un endroit inoccupé, les textes les condamne à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, car s’installer dans un lieu inhabité serait considéré comme violation de domicile, du moment qu’il contient des meubles. Logique.

Si l’idée principale est de réprimer certaines manières d’habiter, la proposition s’attaque aussi aux manières de lutter. Ainsi, les députés de la majorité ont inventé un nouveau délit « d’occupation frauduleuse d’un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel » qui sera puni de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende. Une manière de cibler les grévistes qui occuperaient leur lieu de travail dans le contexte d’un piquet de grève. Et on peut même t’emmerder pour les zines que tu distribues, puisqu’un des amendements prévoit de sanctionner de 3 750 euros d’amende « la propagande ou la publicité » facilitant ou incitant les squats.

Ce texte qui criminalise les existences des précaires et autres galérien.nes, et qui, selon toutes les associations pour le droit au logement, ne répond pas du tout aux enjeux de la crise du logement, est sans surprise soutenu par LR et le RN à l’Assemblée. Au moment d’écrire ces lignes, la proposition est sur le point d’être votée au Sénat, le 14 juin.

Y’APU de sous ?

Hasard du calendrier, ce même jour, les Ateliers Populaires d’Urbanisme (APU) de Fives, du Vieux-Lille, et de Moulins se mobilisent contre la suppression de leurs subventions du Département du Nord. Encore un coup de plus contre ces assos sous-financées, et qui reposent en grande partie sur ses bénévoles.

Cette triste coïncidence montre bien que cette loi s’inscrit dans un contexte général de protection des bourgeois, de leurs intérêts, de leurs propriétés. Plus que jamais, nik les huissiers !

Justice oisive à Lille : plus d'un an d'attente pour les procès de manifestant.es

Ça se bouscule aux portes des tribunaux. La faute à qui ? La police ! À Lille, de nombreux procès bidons sont prévus pour juger les personnes qui se sont fait ramasser avant, pendant et après les manifs. Tellement que certains procès ne se tiendront qu'en septembre... 2024 ! La justice est vraiment oisive.
 

Brèves industrielles

Tropicalia, un projet Berck Berck !

Dans le genre projet inutile, la serre gigantesque de Tropicalia se pose là. À deux pas de la station balnéaire et hospitalière de Berck sur la Côte d’Opale dans le Pas-de-Calais, le projet de la plus grande serre tropicale du monde est prévu sur les communes de Rang-du-Fliers et de Verton pour 2022 dans une zone humide protégée. L’objectif du projet lancé par un ancien vétérinaire, Cédric Guérin (qu'on connait un peu), est d’exposer au sein de la serre de nombreux végétaux et animaux exotiques dans 20.000 mètres carrés avec une température maintenue entre 26 et 28 degrés.

Au delà du coût énergétique et de l’aberration écologique induites par l’exportation de nombreuses espèces non autochtones du Nord-Pas-de-Calais, c’est aussi l’artificialisation des zones humides sur le littoral qui est vivement critiquée. La pollution est très présente sur les littoraux notamment à Calais, Dunkerque et Boulogne en raison du tourisme de masse, du transport routier, de l’agriculture intensive et des industries. Rajouter une serre attirant jusqu’à 500.000 visiteur.rices annuel.les paraît ainsi complètement inapproprié au vu de cette situation. Avec cette serre à 73 millions d’euros, C. Guérin prévoit la création d’une cinquantaine d’emplois, maigre bilan. Le projet est financé par un consortium d’acteurs privés, de banques, d’entreprises et aussi par les deniers publics : 2 millions d’euros par la région Hauts-de-France (Xavier Bertrand est décidément un héraut écologiste) et 10 millions par la Commission Européenne... Le projet a été validé grâce à un permis de construire en 2019, sans enquête publique... Quant au risque écologique d’une fuite d’animaux non autochtones, l’ex-vétérinaire répond que les animaux seront stérilisés et que les ailes des oiseaux taillés pour éviter qu’ils s’enfuient. Un vrai ami des animaux, à la sauce Hunger Games.

Pour s’opposer à ce gâchis environnemental, après plusieurs recours, un collectif d’associations locales et d’habitant.es, « Non à Tropicalia », appelle à un rassemblement sur le site le 20 décembre. Certain.es commentateur.rices commencent déjà à se demander s’il y aura une ZAD dans le Pas-de-Calais, le maire de Berck - de droite - soutenant le projet n’hésitant pas à traiter les opposant.es de « groupuscule jusqu’auboutiste ». En tout cas, une ZAD, à une quinzaine de kilomètres du Touquet, de ses bourges et de la maison de Macron, ça serait quand même drôle.

 

► Lire aussi : « Tropicalia, le plus grand zoo sous cloche du monde », La Brique n°64 « Avec les siens », printver 2021.

 

Les valeurs de la République

Les valeurs peuvent être des faits sociaux. Ainsi il y a des enquêtes sur les valeurs : on interroge les gens pour connaître les goûts majoritaires, les usages en vigueur. Mais les valeurs de la république ne sont pas des faits. Ce sont des principes : ce sont les idéaux à partir desquels on juge les faits. Ces valeurs-là ne sont jamais incarnées dans des actes. Le piège rhétorique du gouvernement, c’est de nous le faire croire. C’est de jouer sur cette confusion : de nous dire que la liberté, c’est Charlie ; que l'universel, c'est l'état actuel du nationalisme raciste. Par suite, quand on critique, avec raison, l’impérialisme et l’hypocrisie de l’universalisme républicain, attention à ne pas jeter le bébé des idéaux avec l’eau des valeurs.

 

 

Grands Moulins de Paris

À Marquette-lez-Lille, impossible de manquer la friche des Grands Moulins de Paris, un vieux bâtiment industriel construit en 1921 dans un style néo-flamand, à l’arrêt depuis 1989. Depuis quelques années, un énorme projet de la MEL s’active sur les lieux. Au programme, trois chantiers : rénovation du bâtiment principal pour faire une 142 appartGrandMoulin 1 1ements type lofts (géré par Rabot-Dutilleuil), création d’une Brooklyn Tower en bord de Deûle, une tour de béton ultra moderne qui abritera de nombreux et vastes logements (Sigla), et la construction de 6 bâtiments pour 314 logements, dont 95 sociaux, et deux magasins (Lys Habitat).

Pendant l'été 2020, un ouvrier est décédé sur le chantier des Grands-Moulins de Paris (Rabot-Dutilleul). L’homme de 30 ans a été écrasé par une plaque de béton qui était déplacée par une grue. Pendant les jours suivants, le chantier est interrompu. Sur place, pas facile de recueillir des témoignages. La plupart des personnes présentes ne se dit pas concernée (« Moi je suis de CGC sur la Brooklyn Tower, rien à voir avec les Grands Moulins »). Des ouvriers parlent tout de même : l’homme qui conduisait la grue avait 25 ans d’expérience à ce poste. Sur ce chantier, le recours à l’intérim avoisine les 80% (notamment via la boîte Sovitrat) et les embauches sont rares. Un grutier s’exprime : « Les heures de boulot ? Grutier est le pire. On peut faire 11 heures de boulot d’affilée, en arrivant sur le chantier à 6h. » Selon lui, sur ce chantier, comme ailleurs, règnent des cadences excessives, où les protocoles de sécurité (par exemple, pour un grutier, de ne jamais déplacer des objets à moins de 2 mètres du sol) sont mis à mal par les demandes d'aller toujours aller plus vite. C'est peut-être ça qui a créé l'accident. Pour le profit du BTP, des ouvriers meurent en silence. Soutien à eux et à leurs proches.

Le hasard fait que Rabot-Dutilleul a subi une cyber-attaque la même semaine que le drame : on leur demande 8 millions d'euros de rançon. De plus, l'entreprise nordiste est en train de céder sa filiale immobilière Nacarat alors qu'elle représentait en 2018 plus de 40% de son chiffre d'affaires... Y aurait-il une justice en ce bas monde ?

 

GrandMoulin 1 2

 

Incendie sur la friche Saint Sauveur

Sur la friche Saint-Sauveur, cachés derrière le mur en brique qui longe la rue de Cambrai, vivent des dizaines de personnes : des demandeurs d'asiles, des SDF, adultes comme adolescents. La nuit du mercredi 9 décembre, le feu a ravagé plusieurs baraquements de fortune. Des associations (Exode, Utopia...) et des soutiens filent des coups de main pour remettre en état et surtout exigent l'hébergement d'urgence des personnes présentes là-bas. Malgré les conditions indignes, l'insalubrité et le froid dans lesquels survivent ces personnes, parions que la ville et la préfecture ne sauront que leur envoyer les flics pour seul et unique réconfort.

La solidarité ne viendra pas d'en haut, alors café ou thé chauds, nourriture, duvets, tentes, bâches, fringues plus que jamais nécessaires.

► Lire aussi : « Luttes et galères des exilé.es sur la Friche », La Brique n°64 « Avec les siens », printver 2021.

 

 

 

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