Roger Waters, chanteur, bassiste et co-fondateur du groupe Pink Floyd, performait au stade Pierre Mauroy pour un concert XXL aux airs de meeting politique, le 12 mai 2023. Entre deux classiques, le rockeur de 79 ans ne s’est pas ménagé pour balancer des pains à tour de bras, comme il l’a fait pendant toute sa carrière. À intervalles réguliers, les écrans affichent de grands slogans qui laissent peu de place au doute quant à sa ligne de pensée :
« FUCK CAPITALISM ! »
« FUCK MILITARISM ! »
« FUCK SEXISM ! »
« FUCK RACISM ! »
« FUCK AUTHORITARISM ! »
Les messages s’enchaînent en épinglant les présidents américains, de Reagan à Biden, les qualifiant de « criminels de guerre ». Plus tard, Waters apporte son soutien aux lanceurs d’alerte Chelsea Manning et Julian Assange, menacés par la justice américaine pour avoir dévoilé des données sur les victimes civiles des guerres en Irak et en Afghanistan. Puis d’autres noms défilent, ceux de victimes de violences policières, comme Adama Traoré, Mahsa Amini, Philandro Castille, George Floyd, Stanislav Tomas... tous punis de morts pour « être noir », « être une femme », « être roumain ».
Chacune de ses injonctions est acclamée par le public lillois, largement acquis à sa cause. Ses détracteurs étaient d’ailleurs prévenus avant même le concert. « Si vous faites partie de ces gens qui disent “J’adore Pink Floyd mais je ne supporte pas les idées politiques de Roger”, vous pouvez aller vous faire foutre et vous rendre au bar tout de suite », annonce la voix-off de l’artiste, dix minutes avant la prestation. Il n’en fallait pas plus pour que les réac’ s’offusquent, relayés par le Figaro qui a désapprouvé la performance du chanteur avec sa voix « remplie de haine ».
Même s’il se bat depuis toujours pour les droits humains, Roger Waters a l’habitude de s’en prendre plein la tronche. Entre autres critiques, on l’a longtemps qualifié d’antisémite pour son soutien à la cause palestinienne et sa critique de la politique colonialiste d’Israël. Un grand classique. Mais ce sont des propos plus récents qui ont fait jaser, en marge de presque toutes les dates de sa tournée d’adieu, y compris à Lille. En septembre 2022, il publie une lettre ouverte dans laquelle il écrit que l’Occident devrait arrêter de fournir des armes à l’Ukraine et que Volodymyr Zelensky aurait toléré un « nationalisme extrême ». Il conclut en invitant le président ukrainien à mettre un terme à « cette guerre meurtrière » Cette sortie a été considérée par beaucoup comme complaisante vis-à-vis de Poutine et a même causé l’annulation de deux concerts programmés peu après en Pologne. Mais qu’a-t-il dit sinon que la guerre et les néo-nazis, c’est mal, et que les armes, ça tue des gens ?
C’est vrai, Roger Waters a affirmé que la Russie avait répondu aux provocations de l’OTAN qui souhaitait s’implanter à ses frontières. Et oui, il se déguise en simili-officier SS pour critiquer les régimes fascistes. La provocation frôle parfois le dérapage, alors on surveille ses moindres faits et gestes parce qu’on a vu beaucoup de grands crus tourner au vinaigre. Quoi qu’on en pense, il a aussi déclaré dans une autre lettre ouverte (il aime beaucoup les lettres ouvertes) adressée à une jeune ukrainienne au tout début du conflit : « Je suis dégoûté par l’invasion de l’Ukraine par Poutine. C’est une erreur criminelle à mon avis, l’acte d’un gangster. Il doit y avoir un cessez-le-feu immédiat. Je regrette que les gouvernements occidentaux alimentent le feu qui va détruire votre beau pays en déversant des armes en Ukraine, au lieu de s’engager dans la diplomatie qui sera nécessaire pour arrêter le massacre. » Ouh le méchant pacifiste... Heureusement, toutes les Briques ne viennent pas s’ajouter au Mur qu’il s’efforce de déconstruire.