Voici 3 brèves du numéro 65 : article sur les salles de Shoot, une recension d'un bouquin sur Marat (édité par la Fabrique), et sur la rénovation urbaine à Lille.
Un pas en avant, trois pas en arrière pour la toxicomanie à Lille
Dans le numéro 64 de la Brique, on avait consacré un article sur l'ouverture d'une salle de consommation à moindre risque (SCMR) qui devait ouvrir fin octobre à Lille. Une SCMR est un lieu qui permet aux usager.es de drogues d’avoir un espace de consommation sécurisant ainsi qu’un accompagnement social. Alors que le projet était presque ficelé, après des années de travail et de d'obstructions à tout-va, Darmanin, ministre de l’intérieur, intervient à la dernière minute pour porter le coup de grâce.De son coté, la Mairie de Lille ne s'était pas montrée pressée pour le dépôt du dossier et avait attendu la date limite prévue par la « loi santé » de 2016, qui permettait aux communes d’expérimenter ce type d’établissement. Suite à un travail de concertation avec les acteurs de l’accompagnement aux personnes toxicomanes, le projet se met en place tant bien que mal et un local est trouvé dans le quartier du Faubourg de Béthune. Le choix de cette implantation est retenu par la présence aux alentours de consommateurs de drogue et pour la proximité du centre addictologie du CHU. Mais c'est aussi le quartier qui jusque ici était le plus délaissé de la commune. Dans l’idée, la SCMR devait impliquer plusieurs structures sous la coordination de la Sauvegarde du Nord. Mais Darmanin, fervent opposant aux SCMR considère que la consommation de drogues ne peut être encadrée, elle ne peut qu'être réprimée. Comme le projet n’a pas pu être complètement piétiné, il n’a pu que refuser le lieu choisi. Cyniquement, il propose la fiche St-Sauveur, un terrain où il n’est pas possible de poser de permis de construire pour le moment. À présent, il est trop tard pour proposer un autre espace. LREM s’en réjouit, une partie des riverain.es aussi car très peu concerté.es Les pro-SCMR comptent maintenant sur un projet de loi autorisant les structures accompagnatrices des toxicomanes (les CAARUD) à dédier une partie de leur espace à l’encadrement de la consommation. Le projet de loi a été voté à l'Assemblée nationale, on attend encore une validation du Sénat. Sinon, la Mairie envisage une autre piste : financer un bus qui irait sur les zones de consommation. C'est une alternative mais certainement pas une solution.
Louise & Mike Hammer
« Cinq à six cents têtes abattues vous aurait assuré repos, liberté et bonheur ; une fausse humanité a retenu vos bras »
La Fabrique publie Marat de Clifford D. Conner, un ouvrage clair et didactique dans lequel on découvrira la vie finalement mal connue du héros révolutionnaire, tour à tour médecin, chimiste, journaliste unique rédacteur de l’Ami du peuple, plusieurs fois menacé d’arrestation et parvenant toujours à échapper à la police pour sortir son journal dans la clandestinité. Mais au-delà de notre culture historique, la vie de Marat vaut aussi comme leçon pour notre temps. Première leçon : la politique, c’est l’antagonisme. « Pour secouer le joug cruel et honteux sous lequel [les esclaves de St-Domingue] gémissent, ils sont bien en droit de massacrer jusqu’aux derniers de leurs oppresseurs ». Ce n’est pas le compromis ou la déploration qui permettent de résoudre certains conflits : c’est la violence. N’est-ce pas de cette radicalité-là dont nous avons aujourd’hui besoin ? Deuxième leçon : la politique, ce n’est pas la pureté des convictions, c’est la tactique. L’auteur montre comment Marat, pourtant porte-parole des revendications des sans-culottes, s’oppose aux revendications des « Enragés » d’extrême-gauche aussi longtemps que celles-ci lui paraissent irréalistes et contre-productives. Dernière leçon : la politique, ce n’est pas le domaine de la mesure et de la raison, mais celui des passions et de la déraison. Le triomphe actuel d’un Z… ou d’un Trump le montre : plus c’est bête, mieux ça marche. Nous avons besoin de figures obscènes. Marat a accepté de jouer ce rôle en toute conscience, lui qui écrivait : « Bientôt vous n’ouvrirez l’oreille qu’aux cris d’alarme, de meurtre, de trahison. Comment fixer votre attention, comment vous tenir continuellement éveillés ? Un seul moyen me reste, c’est de suivre vos goûts, et de varier mon ton ».
U.T.
Clifford D. Conner, Marat, savant et tribun, La Fabrique, 15 €
Rénovation urbaine à Lille : concertation sans participation ?
La Ville de Lille et la MEL, par le biais de sa structure « La Fabrique des Quartiers », engage la reconquête républicaine gentrificatrice à Wazemmes. Projet affiché : rénover les bâtiments anciens du Sud de la rue des Postes, de la rue Jules Guesde, de Montebello (rues d'Iéna / de Mexico). Objectif secondaire : « montée en gamme » des commerces de ces secteurs, et lutte contre les « incivilités ».
Une « concertation préalable » doit avoir lieu auprès des habitant.es des quartiers concernés. Cette concertation est une obligation dans le cadre de tout projet d'aménagement urbain inscrit dans l’ANRU (l'Agence nationale de rénovation urbaine). On prend les avis, on serre les dents en espérant qu’ils rentrent dans ce qui est déjà anticipé par le programme municipal. Sinon, on les mets dans une grande boîte, et on écrit « poubelle », puis ça sert de décoration pour dire qu'on fait du recyclage. Dans notre cas, la « concertation » dure du 1er septembre au 10 octobre 2021. Pour un quartier qui concerne 25.000 habitant.es, on relève 3 participations citoyennes en ligne, plutôt portées sur les « incivilités » que sur le bâtiment ancien (sujet très spécifique s'il en est). Bref, c'est un flop « démocratique », il faut dire que la « réunion publique de lancement de la concertation citoyenne sur la rénovation des quartiers anciens » a eu lieu le 23 septembre, soit... trois semaines après le lancement de ladite concertation ! Parmi la quarantaine de participant.esce jour-là, principalement des ancien.nes du quartier (les retraité.es), ou des technocrates qui viennent parler comme des expert.es (cravaté.es), et quelques habitant.es qui viennent porter des doléances personnelles (les indigné.es). Ce projet entérine pour 10 ans les rénovations qui seront faites dans le secteur. Autant au niveau de l'information publique que du simulacre de démocratie participative, on est bien loin du compte. Ce genre de « réunions publiques » est surtout l'occasion d'écouter parler les décideur.ses (qui te donnent l'impression que ton avis compte en te demandant la couleur des grilles du parc clôturé qu'on installe dans ton quartier). Alors on y apprend que, pour la « montée en gamme » des commerces, il s'agit de profiter de la rénovation de vieux bâtiments pour dégager les kebabs et autres tacos qui font tâche dans un centre-ville toujours plus grand et riche. Du côté de la lutte contre les « incivilités » de la rue Jules Guesde, on s'attend à parler de crachats, de gens qui ne tiennent pas la porte... Non, on nous parle de trafics d'être humains et de commerces illicites. La mairie de Lille confond donc incivilité et illégalité : c'est sûr que ça fait plus propre devant une assemblée de gens qui veulent surtout être rassurés. En trouvant des prétextes assez flous, on engage au final la dernière étape de gentrification et d'assainissement de Wazemmes. Les pauvres dehors le temps qu'on s'occupe de rénover, et surtout, ne revenez jamais.
L.M.