TROPICALIA: le plus grand zoo sous cloche du monde

tropicaliaUn projet touristique aussi mégalomane qu’inquiétant débarque sur nos côtes : la construction du plus grand zoo tropical sous serre du monde est envisagée sur la Côte d’Opale. Les promoteurs présentent leur délire comme un bijou d’écologie et une opportunité économique sans précédent. La mobilisation s’organise contre cette absurdité. Bienvenue à Tropicalia, paradis lucratif pour quelques-un.es, enfer pour tous les autres.

Un dôme de plastique ovale de 150m sur 200m, culminant à 35m. Un bâtiment s’étalant sur plus de 2 hectares et autant de prévus pour un parking de 600 places censé accueillir 500 000 touristes par an. Le Pas-de-Calais a encore de beau jours devant lui en tête des départements les plus artificialisés de France1.

Vous pensiez que le désastre écologique et sanitaire en cours allait calmer les ardeurs des bétonneurs de l’industrie touristique ? Raté ! La côte d’Opale est fière de vous présenter Tropicalia. Un zoo de plus, mais dans une ambiance tropicale. Papillons, oiseaux, caïmans et tortues de pays lointains bientôt tou.tes réuni.es dans une serre géante maintenue à 28° C toute l’année. Un kilomètre de balade au milieu d’une flore tropicale hors-sol et d’une faune exotique captive. Les phoques de la baie de l’Authie située à quelques kilomètres n’ont qu’à bien se tenir.

L’emplacement est à 6 km de Berck, entre Verton et Rang-du-Fliers. À l’heure où plus personne ne peut ignorer la crise climatique, il reste des génies pour vouloir installer des tonnes de plastique, d’acier et de béton en pleine campagne pour que des milliers de bagnoles déversent un flot de touristes venu observer un ersatz de biodiversité dans un simulacre de nature. Le cadre avoisinant n’est pourtant pas si repoussant, avec le site classé du Marquenterre, 9 sites Natura 2000 et 20 Zones Naturelles d’Intérêt Écologique et Faunistique et Floristique (ZNIEFF). Dans un tel environnement, il est à craindre que la nécessité d’un tel zoo sous cloche ne saute pas aux yeux. Alors pour convaincre l’opinion, le greenwashing touche ici jusqu’au sublime grâce à une communication et un marketing débridés.

Quand le greenwashing
devient un art

« Est-ce un rêve, un paradis ? Une bulle de nature merveilleuse et unique. Sous sa peau de cristal, un parfum sucré et végétal. Le spectacle est sensuel, exaltant, idyllique. Une expérience immersive hors du commun, dédiée à l’émerveillement ». Le clip de présentation du projet, pas entièrement dénué d’exotisme, nous promet une expérience sensorielle façon Adam et Ève. Mais son concepteur est moins romantique quand il parle au magazine Challenges :  « C’est un projet qui n’a pas d’équivalent en France et aura une dimension internationale car il faut avoir quelque chose de grand pour faire venir les gens en masse et non pas qu’une clientèle locale. »

Porté par Cédric Guérin, vétérinaire amoureux de la nature (sic), ce projet serait « une voie vers l’éco-citoyenneté et l’éco-responsabilité », « une porte ouverte vers la compréhension et le respect d’un écosystème fragile ». Dans ce biotope de synthèse, C. Guérin voit un « formidable lieu de découverte de la nature, sensibilisant les plus jeunes et les moins jeunes à ses beautés ». Gageons plutôt qu’il ancrera dans l’imaginaire des marmots notre domination sur la faune et la flore. L’ambition écolo affichée ne seraît pas complète sans le recours à la science : une « fondation » et des « programmes de recherche » pour la préservation de la nature sont annoncés, sans guère de précisions toutefois. Étudier la nature dans une bulle artificielle paraît en effet extrêmement formateur… Mais Guérin ne recule devant aucune énormité : il promet de protéger la faune locale grâce à un centre de soins, il annonce que l’arrivée par avion de milliers de chrysalides exotiques permettra rien moins que « la sauvegarde de la forêt équatoriale », tout en donnant du travail aux paysans locaux. Ne riez pas, tout est écrit sur leur site internet. Tropicalia ou la quintessence du greenwashing.

Côté énergie et empreinte écologique, pas d’inquiétude à avoir, Tropicalia sera autonome en énergie, nous promet-on. Mieux, grâce à l’effet de serre et à un dispositif innovant de stockage d’énergie, un surplus sera produit durant la période estivale et sera redistribué au centre hospitalier de Montreuil-sur-Mer. La géothermie est supposée prendre le relais durant la période hivernale. Sous l’onglet « ambition zéro carbone » de la page d’accueil, on peut lire : « il n’existe qu’une solution pour permettre à nos sociétés de subsister dans de bonnes conditions : changer nos habitudes de vies et de consommation en étant plus sobre vis-à-vis de la planète. C’est en ce sens que Tropicalia souhaite s’inscrire dans ce type de démarche vertueuse et y apporter sa contribution », signé : Docteur Cédric Guérin. Alors, convaincu.es ?

Quant à l’empreinte carbone du chantier, du trafic animal et végétal et du flux de véhicules généré, il suffira de payer pour les compenser. C’est l’avantage de l’écologie capitaliste.

Philantropicalia,
tant qu’on y est

Ce non-sens écologique ne serait pas réellement alléchant sans ses promesses d’emplois, d’attractivité et de retombées économiques. Annoncé à 50, puis 72 millions d’euros, il engloutira près de 12 millions d’argent public : 10 millions proviendraient de l’ADEME (Agence de la transition écologique qui « donne les moyens de progresser vers une société plus sobre en carbone, plus juste et harmonieuse »), 2 millions de la région ainsi que 400 000 euros pour la communauté de communes. Les quelques 60 millions restant proviennent de business angels, de banques et de fonds d’investissements.

Au vu des investissements, les 50 promesses d’embauches initiales ont vite paru risibles. Qu’à cela ne tienne, elles atteignent désormais 145 en incluant la restauration, la boutique et 50 emplois pour une fondation destinée à promouvoir « la recherche et l’éducation ». Les promesses n’engageant que celles et ceux qui y croient, il y a fort à parier que le budget « fondation » ne fera pas long feu face à la quête de profit des investisseurs privés. Désormais, ils communiquent même sur les hypothétiques 283 emplois indirects, extrapolant une statistique d’Atout France qui n’est autre que l’agence de développement touristique. Tout est bon pour redimensionner le projet et faire taire les contestations.

Les promoteurs se vantent d’être plébiscités par la population locale. De fait, un certain nombre d’artisan.es, commerçant.es ou simples habitant.es se laissent séduire par les sirènes tropicales - entre fierté et appât du gain - comptant sur l’argent que ce flux de touristes ne manquerait pas de dilapider aux alentours. Sauf que le but inavoué d’un tel complexe touristique est de capter l’essentiel de la manne financière. Restaurants, bars, chambres d’hôtes, boutiques et même un projet d’hôtel sont prévus2. Si vous ajoutez à ça un ticket d’entrée à plus de 20 euros et une autoroute aux portes du complexe, il n’est pas sûr que les touristes continueront à dépenser dans le coin.

Patrons-écolo
contre bobos-écolo ?

L’anachronisme d’un tel complexe touristique a, dès sa présentation publique en 2018, suscité des résistances. Désormais ce sont près de 40 associations locales et nationales, organisées en collectif3, qui appellent à contrer ce grand projet inutile et imposé. Destruction de terres agricoles, défense de la cause animale, préservation de l’identité du territoire, projets inutiles, gaspillage d’argent public, ce zoo sous cloche, même paré de toutes les vertus imaginables parvient à faire l’unanimité contre lui.

Pour Cédric Guérin, joint par téléphone, « toutes ces assos ont été embarquées dans cette lutte par des écologistes dogmatiques sans avoir vraiment lu le projet ». D’ailleurs une association (dont il ne peut nous donner le nom malheureusement) aurait reconnu « avoir signé trop vite » mais serait « prise au piège du collectif qui met la pression pour les obliger à publier des infos contre Tropicalia ». « Au début, je pensais naïvement avoir le soutien de tous les écolos ». Déçu et chagriné, il va jusqu’à se dissimuler derrière le pseudo « ecoloman » sur facebook pour s’immiscer dans les discussions des anti-tropicalia, et « sonder les aspirations profondes », se justifie-t-il un peu gêné.

Pris la main dans le sac, il continue néanmoins d’investir les réseaux sociaux avec l’aide de son associé Nicolas Fourcroy et multiplie les comptes pour créer l’illusion d’un soutien populaire : « ambassadeurs de tropicalia », « viva tropicalia », autant de canaux pour mener la guerre numérique aux détracteurs : « regardez, ils ramassent pas leurs mégots après leur manif’ », « ils prennent pas au sérieux la crise sanitaire en se regroupant », « ils servent de tremplin aux partis politiques pour les régionales ». Engagé corps et âme dans la promotion de son projet, C. Guérin nous affirme sans trembler que la mobilisation ne l’inquiète pas : « elle semble s’essoufler, d’ailleurs à chacune de leur manif les riverains nous soutiennent encore plus […] on nous a même sollicité pour créer un collectif "Oui à tropicalia" mais ça faisait vraiment bagarre de bac-à-sable. »

Le groupe WhatsApp des commerçant.es montreuillois.es sert même à la femme de C.G., Audrey Darras, pour les inciter à prendre position en faveur du projet. Pugnaces sur les réseaux sociaux, les promoteurs usent de leur influence dans la vraie vie. Leurs méthodes et leur réseau ont découragé nombre de militant.es à poursuivre la lutte.

Lors de la manifestation en février dernier, les partis politiques (EELV, LFI, PS etc.) en pleine campagne pour les élections régionales se sont mêlés aux manifestant.es. Rappelons que Xavier Bertrand, dès sa prise de la région en 2016 a raboté de 40 % les subventions aux associations écologistes4. Ce dernier, ainsi que des élu.es et le patronat locaux soutiennent de tout leur poids cette hérésie écologique, alléchés qu’ils sont par la sainte croissance économique et par la glorieuse attractivité de leur territoire. Les maires de Verton et de Rang du Fliers, supposément indépendants et impartiaux en leur qualité d’organisateurs de la consultation citoyenne qui s’est tenue de septembre à octobre 2019, ont pourtant ouvertement montré leur allégeance au vétérinaire bâtisseur de zoo.tropicalia

Le roi de la comm’

Rien ne freine C. Guérin quand il fait l’éloge de son projet qu’il ripoline depuis des années. Tout serait « vertueux » dans ce projet prompt à créer de l’emploi « qui est une priorité en ce moment », à sauvegarder la nature car « les Amérindiens et nous respirons le même air, on fait partie de la même planète » (sic), à lutter contre le réchauffement climatique « grâce au dispositif innovant associé à la serre qui servira d’exemple pour les serres horticoles et maraîchères à travers le monde » ; à sensibiliser les générations futures grâce à l’émerveillement, « les papillons tropicaux sont moins farouches et se posent facilement sur la main des enfants » (resic). Derrière cette communication sirupeuse apparaît la vérité : Tropicalia c’est la marchandisation de notre crainte face à l’effondrement de la biodiversité.

Aucune objection ne vient perturber sa rhétorique. Et l’argent du contribuable alors ?  « De simples aides liées au surcoût d’une solution écologique de chauffage, n’importe quel particulier peut en faire autant » et tant pis si son projet prend l’argent censé améliorer l’existant. Et l’accaparement de terres agricoles alors ? « Cette zone est prévue pour être aménagée de toutes façons », tant pis pour les services ou commerces plus « essentiels » qui devront trouver de la place ailleurs. Et l’annonce des Wallon.nes concernant la construction d’une serre tropicale deux fois plus grande d’ici quelques années ?  « Vous savez le titre de " plus grande serre " c’est avant tout marketing ». Et le recours déposé contre le permis de construire5 ? « On est confiant, si on a pas débuté le chantier c’est uniquement à cause de la crise sanitaire. » Et les deux chaudières à gaz de forte puissance prévues, c’est pas bon pour l’autonomie énergétique ça ?  « En réalité on a refait les calculs et on en aura pas besoin au final ». Bien obligé.es de le croire même si le marketing a depuis longtemps pris le dessus sur tout le reste. Tout est bon pour dissimuler cette marchandisation du vivant derrière une innovante fondation philanthropique au service de la planète.

Malgré la confiance affichée, il ne préfère pas donner « la date de début des travaux, qui est déjà fixée », ni « trop de détails sur ses financeurs pour ne pas qu’ils soient harcelés par les militants ». Une telle pudeur est touchante. Il faut dire que les marges de manœuvres sont minces, « les financeurs privés ont exigé de sécuriser le côut du chantier, on ne peut pas se permettre de dépasser le budget. ».

La défaite n’est pas certaine

N’en déplaise aux promoteurs, la mobilisation prend de l’ampleur. Aucun camouflage, aussi techno-écolo-social soit-il, ne peut dissimuler l’absurdité flagrante du projet, et ce malgré les gesticulations des promoteurs et la mise en branle de toute leur capacité de communication et d’influence.

Les investisseurs privés pourraient s’inquiéter d’une trop mauvaise publicité. Le patronat local pourrait aussi se lasser et transférer ses fantasmes sur d’autres méga-projets-éco-citoyenno-responsables. Xavier Bertrand pourrait trouver ce dossier gênant à l’heure d’affronter un front des gauches unies aux régionales. Le recours juridique pourrait retarder les travaux. Sans compter le risque qu’une horde d’écolo-radico-khmers-verts ne transforme ces 10 hectares de terres agricoles en Zone à Défendre - plus connue sous son acronyme ZAD.

Rassemblé.es pour la 3ème fois en 4 mois, plus de 300 personnes ont manifesté le 17 avril devant le siège de la Communauté de Commune à Montreuil-sur-Mer pour dire non au bien renommé pour l’occasion « Toxicalia ». L’idée de venir manifester à Lille circule6. Le cocktail : siège régional, élections à venir, gauche unie et militant.es déconfiné.es pourrait s’avérer également « exaltant et idyllique ».

Un collectif lillois contre Tropicalia vient de rejoindre la bataille7 et vous promet, lui aussi,  « une expérience immersive hors du commun » dans la lutte contre les grands projet inutiles, imposés et toxiques.

Brubru

1. La moyenne nationale du taux d’artificialisation des sols est de 10 %, en Hauts de France de 12 % et dans le Nord Pas de Calais de 15 % selon la DRAAF des Hauts de France.

2. « Le chantier de Tropicalia pourrait démarrer avant 2020, un hôtel prévu », Voix du Nord, 28/01/2019

3. Visitez leur site et tenez-vous au courant : www.nonatropicalia.fr

4. « En France les régions de droite lachent les associations en rase campagne », Libération, 02/01/2017

5. Le Groupement de Défense de l’Environnement de l’Arrondissement de Montreuil et du 62 (GDEAM62) a déposé en mars 2020 un recours contre le permis de construire accordé à Tropicalia par les maires des deux villes concernées. Résultat en attente...

6. Une marche contre Tropicalia et les grands projets inutiles vient d'être actée pour le 22 mai 2021 au départ de la place de la République à 14h30

7. Leur contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.




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