Un géant belge de la frite surgelée sévit dans notre région. Installé depuis 2008 au Nord-Ouest de la métropole lilloise (derrière la frontière), il souhaite désormais s’étendre près de Gravelines. Sur le projet, des habitant.es constatent de nombreuses nuisances : odeurs, retombées grasses, bruits incessants. Leur ville risque d’être défigurée à jamais par une usine Clarebout Potatoes, premier concurrent de McCain sur les frites surgelées, exportateur dans le monde entier et exploiteur d’une main-d’œuvre précaire. Il devrait produire à terme plus de 2500 tonnes de produits surgelés par jour. Nous sommes allé.es à la découverte de l'usine située à deux pas de Lille pour connaître l'enjeu de son extension vers le littoral.
Une usine de transformation de pommes de terre existe déjà depuis 2008 à Warneton, à quelques mètres de la frontière franco-belge. Depuis 2011, la production est montée à 1140 tonnes de frites surgelées par jour, grâce à la construction d’un premier bâtiment de congélation automatique. Clarebout s’est récemment lancé dans la construction d’un deuxième congélateur. Son extension ne s’arrête pas là, car elle souhaite s’installer près de Gravelines et près de Mons. Un bras de fer est lancé contre le géant international Belge.
Opposition internationale à l’implantation de la patate belge
Le projet initial est titanesque : un passages de poids-lourd toutes les trois minutes par jour, deux cheminées de 80m, une consommation monstrueuse en eau équivalente à la ville de Dunkerque. 2800 T de surgelés à base de patates par jour, soit l’équivalent du poids d’un navire de guerre. Comme dirait l’autre, c’est ça la République (dans le nord de la France). C’est non-seulement un projet polluant mais qui, en plus, ne prévoit que des emplois précaires.
À la fin du premier confinement, des habitant.es se constituent en collectif « Non à la friture ». Ils organisent un marché artisanal et local le 29 août 2020 pour sensibiliser les riverain.es aux implications du projet Clarebout, s’inspirant de Framaries (Belgique), où les habitant.es ont lutté avec succès pour empêcher l’implantation d’une usine semblable il y a trois ans.
Le bruit et l'odeur de la patate chaude
Près de Warneton (Belgique), la ville française voisine de Deulémont se prend toutes les nuisances de l’actuelle plus grande usine Clarebout du monde qui souhaite pourtant s’étendre. Des odeurs de friture se mêlent à celle d’œuf pourri, due à l'utilisation d’ammoniac pour la congélation. Pas moyen de mettre à sécher son linge sous peine de la récupérer avec une sale odeur de graillon, odeur qui suit les habitant.es jusque dans leur lit. Quand Jacqueline s'était installée à Deulémont, les pieds dans la Lys au fond du jardin, « ce n'était pas pour ça qu'[elle avait] signé ». Le maire de St-Georges-sur-l’Aa qui a visité le site de Warneton minimise les nuisances en affirmant que les voisin.es ne sont dérangé.es « qu’une à deux fois par an ». Ce qui les fait rire jaune.
Le congélateur actuel est impressionnant, il prend une place très importante dans le paysage, il rentrerait tout juste sur la Place de la République de Lille entre la Préfecture et les Beaux-Arts, avec à peu près la même hauteur. Une réelle pollution visuelle qui vient trancher avec la verdoyance de Deulémont, rare endroit aux alentours de Lille encore épargné par l'industrialisation.
Mais comme l’usine est en Belgique et les nuisances en France, les moyens d'actions et les recours sont restreints et complexes, du fait de législations différentes. Ce qui arrange bien les affaires de Clarebout.
Étendre l’empire : « Warneton sera bientôt Clarebout-land »
Trois chantiers cohabitent au bord de la Lys, ils devraient se terminer au printemps 2021 selon les habitant.es : le deuxième congélateur, la création d’une plateforme portuaire, et la réfection des rives de la rivière, qui devient une vaste mascarade environnementale pour cacher la forêt de béton qui, elle s’agrandit bel et bien.
En 2014, Clarebout annonce la construction d'un deuxième congélateur, en dépit d’une promesse contraire quelques mois plus tôt. La lutte a permis de retarder la construction mais malgré tout, l'autorisation de construire ce deuxième bâtiment est annoncée, en plein été pendant les vacances. Clarebout affirme que ce deuxième congélateur ne servira pas à produire plus de frite. Cependant : « Jan Clarebout, c’est mensonges sur mensonges », rétorquent les habitant.es.
Un recours administratif est déposé par des organisations belges et françaises. Jan Clarebout fonce tout de même en mettant les moyens pour construire : « Il ne s'agit que de travaux de terrassement, pas de la construction d'un "deuxième congélo". Et puis d'abord on dit "congélateur". » Clarebout compte terminer son bâtiment avant qu’on lui enlève le droit de l’exploiter.
En plus de ces travaux, une plate-forme portuaire est en cours de construction sur les rives de la Lys, principalement côté belge. Cela signifie l’implantation de nouvelles entreprises industrielles, et cela augmenterait encore les nuisances, en les rapprochant encore de Deulémont. Un quai de 235 m de long pour, selon la RTBF « accueillir deux bateaux de 110 m de long, soit des bateaux de 2000 tonnes, ou un bateau de 180 mètres de long, soit de 4500 tonnes. » (1)
Pour Clarebout, « indépendamment de [notre] demande, l’Europe a décidé de construire un quai pour bateaux, et ce, sur un terrain à proximité de notre établissement (…) ce qui pourrait éviter jusqu’à 12.000 trajets en camions (…) et 30 millions de tonnes d’émissions de CO² par an. » Ouf, la pollution est évitée.
Les habitant.es disent alors craindre une demande de construction d'un troisième congélateur. Ainsi, dans la demande d'autorisation du second, il est possible d'exploiter jusqu'à 30 000 L d'ammoniac, or un congélateur demande seulement 10 000 L pour fonctionner. Le permis de construire prévoit un total de six cheminées, or pour l'instant l'usine en utilise deux. « Monsieur Clarebout, il vous demande le petit doigt, il vous prend le bras » dit la présidente de l’Association environnementale de Deulémont.
Projets et propagandes
Un bonheur que les riverain.es peuvent découvrir dans leur boîte aux lettres, grâce à une brochure de 28 pages-cartonnées-couleurs auto-éditée par Clarebout, intitulée « Actualités Riverains ». Nous avons pu consulter celle de l’hiver 2020. On y découvre tout ce que la firme met en place pour faire accepter son sort à la population : un terrain de karting Clarebout, l’organisation de festivités, de tournois sportifs... Certain.es témoignent avoir reçu des sacs à pain Clarebout, en partenariat avec l’entreprise de livraison.
Et si on s’insurge contre l’empire, l’empire contre-attaque : Jan Clarebout est très procédurier et n’hésite pas à aller en justice dès qu’il a l’occasion de faire taire celles et ceux qui tentent de ternir l’image de son industrie. Elisabeth Dumoulin a été convoquée au commissariat en 2017 pour soupçon d’espionnage industriel (2) suite à la révélation dans la presse de photographies de l’intérieur de l’usine la plus opaque du Plat-Pays.
La Brique promet d’essayer d’y entrer, et de faire parler ces travailleur.ses muselées. À suivre, donc.
Lariat et Lud
1. « Travaux sur la Lys à Comines-Warneton: les dossiers évoluent », RTBF, 14/11/2016.
2. Moustique, « Secret des affaires : musèlement de grande ampleur », La Brique n°56, « Interdit au public », automne 2018.