Au delà de la frontière, mais pourtant juste à côté de nous, sévit depuis bientôt 33 ans un nouveau géant belge. Clarebout Potatoes s'est installé d'abord à Neuve-Église, entre Bailleul et Armentières, puis à Warneton en 2008. L'année passée, l'entreprise familiale a essayé de s'installer près de Mons en Belgique, mais les habitant.es du village de Frameries ne se sont pas laissé.es faire et soutenu.es par quelques élu.es, les Belges ont refusé. Le projet : avoir une nouvelle chaîne de production qui alignerait plus de 2500 tonnes de frites par jour. De quoi nourrir plus qu'un Plat-Pays. Après cet échec, Clarebout tente son installation en France et plus précisément à St-Georges-sur-l'Aa, un village de 300 habitant.es entre Dunkerque et Calais. Un désastre écologique, économique, olfactif et humain dénoncé par des habitant.es qui ne souhaitent pas se voir refiler la patate chaude.
Ya comme une carotte
Le Maire du village du Nord, Claude Charlemagne, est contacté l'année dernière par l'entreprise. Dans les communications municipales, on parle à la population d'installer un hangar de stockage de patates. Rien de bien méchant, car le saint-georgeois connaît bien l'industrie, vivant dans un territoire qui accueille 18 sites classés Seveso (dont 15 à haut seuil) ainsi que la plus grande centrale nucléaire de France.
Cependant, durant le confinement, les habitant.es découvrent l'existence d'une enquête publique pour un projet dont les termes divergent. Une usine titanesque produisant 1400 tonnes de produits surgelés par jour, essentiellement des frites (1150 T). 300 poids-lourds y passeront et repasseront par jour, soit un toutes les trois minutes. Une cheminée de 80m de haut (l'église du village n'en faisant que 30m en comparaison). Des retombées grasses et une odeur d’œuf pourri, car l'usine utiliserait de l'ammoniac pour la congélation de la production. Une grande station d'épuration à à peine plus d'une centaine de mètres des premières habitations. C'est autre chose qu'une grange au fond du jardin. De quoi leur en mettre gros... sur la patate.
L'information et la consultation ont pris la forme d'une enquête publique. Elle s'étend sur un territoire comprenant six communes : Gravelines, Loon-Plage, Craywick, Saint-Georges, Bourbourg et Saint-Folquin, ce qui concerne près de 30 000 personnes. Débutant le 5 mars 2020, elle est interrompue à cause d'une pandémie internationale puis dématérialisée entre le 29 avril et le 23 mai. Un report d'enquête a été demandé car, découvrant trop tardivement le projet, les habitant.es estiment que l'information du public est inadaptée au contexte. Une prolongation a finalement été accordée du 20 juin au 3 juillet.
Depuis 3 mois, le collectif « Non à la Friture » se met en branle pour éveiller les consciences face à des pouvoirs publics qui supposent que mettre une paperasse devant la mairie suffit à informer la population. Tractage, manifestation, multiples courriers envoyés à la mairie, à la communauté urbaine, à la préfecture du Nord... L'enjeu est de taille pour le collectif car leurs détracteurs sévissent déjà. On les accuse d'être « contre l'emploi », car oui, Clarebout la philanthrope prévoit 300 emplois. Des emplois précaires, majoritairement intérimaires, avec un turn-over important – dont parlent les employé.es de l'usine déjà existante à Warneton. Pour le collectif : oui à l'emploi, mais pas comme ça !
Double ration de frites
Seulement voilà, outre le déni d'information et de consultation de la population sur « les nuisances sonores de l'usine, les odeurs, le trafic routier, la consommation de l'eau et les rejets associés », il semblerait que Clarebout ait déjà prévu d'agrandir l'usine (qui n'existe pas encore, rappelons-le). Elle passerait de 1400 à près de 2800 T de produits par jour ! Or, le collectif le dit : « Les études d'impact (...) sont dimensionnées uniquement pour une usine de 1400 T/j de production. »
Mieux : on anticipe. Dans l'étude d'impact, il est notamment dit que deux cheminées de 60m de haut « suffiraient » pour le projet initial, mais la boîte prévoit qu'elles fassent directement 80m. Car des travaux d'agrandissement seraient compliqués. D'ailleurs, ça pourra même servir à convaincre les autorités quand il faudra demander l’extension : « regardez, on a déjà la bonne taille de cheminée ».
De plus, à propos des dangers inhérents à l'utilisation d'ammoniac, l'étude conclut « à un risque acceptable pour les riverains. » Habitant.es, qui, cependant, n'ont pas donné leur avis sur ce qu'est un « risque acceptable ». Cette même étude omet d'ailleurs l'existence de plusieurs Établissements Recevant du Public dans un rayon de moins d'1,5 km. Une école, un théâtre, une salle polyvalente... Oups.
Pour finir, le collectif estime la consommation d'eau de l'usine après extension équivalente à celles des habitant.es de Dunkerque, soit 5 millions de m3 d'eau par an ou 2000 piscines olympiques. Ça correspond à 20% de la capacité du proche canal de Bourbourg. Sans compter le coût en eau de la production de patate, c'est pas un projet qu'on qualifierait d'« éco-responsable ». Par conséquent, on peut s'attendre à une augmentation de l'impact des sécheresses sur les producteurs locaux et la population déjà souvent restreinte, impacts euphémisés à coup de lobbying de la patate. Voilà qui va rassurer les mangeur.ses de frites !
Ramène ta pomme à St-Georges-sur-l'Aa le 29 août
Pour informer la population, le collectif met les bouchées doubles en proposant une journée de marché artisanal, pour mettre en avant l'emploi raisonné et une production « locale, proche et meilleure ». Outre les stands d'artisans, il y aura aussi des ateliers et des prises de paroles. C'est l'occasion de sensibiliser la population au projet, car encore aujourd'hui, beaucoup ne savent pas que leur quotidien risque changer d'ici quelques mois. Tout le monde est bienvenu pour découvrir St-Georges-sur-l'Aa, le collectif, les producteur.rices locaux.ales et les grands projets à la con du Nord : rendez-vous le 29 août dès 14h devant la mairie.
La Brique