La crise sanitaire n'a pas condamné notre mode de production, bien au contraire. Dans les médias, les patrons de la grande distribution ont été érigés au grade de généraux, invisibilisant ainsi les producteurices alternatifs. Comme si l'injonction à consommer en masse sans se soucier de la qualité des produits était la seule possibilité offerte. Pourtant, le secteur de l'alimentation alternatif a rempli une fonction importante pendant la crise et a eu, malgré tout, le vent en poupe.
Les images de clarification des eaux de Venise ont pu faire croire un temps qu’une des rares bonnes nouvelles du confinement avait été le rééquilibrage du réchauffement climatique... que nenni ! Selon ATMO, l’organisme de contrôle de l’atmosphère dans les Haut-de-France, on a même connu des jours de pics de pollution sur la métropole lilloise pendant le confinement et ce malgré la baisse d’utilisation des voitures. La politique agricole, les pesticides dans l’air et les usines de production alimentaire sont en bonne partie responsables de ces pics.
Pendant le confinement, à cause des frontières fermées empêchant les exportations, des tonnes de patates ou de litres de lait ont été bazardés faute de consommateurices, alors même qu’on nous parlait de pénurie potentielle à la radio. Pas question pourtant d’une quelconque remise en cause de la part du gouvernement, l’heure étant à l’effort de guerre. On a préfèré pointer les supposées absurdités des consommateurices, leur façon de se jeter sur les rouleaux de papiers toilettes, plutôt que de montrer les limites du mode de production en lui-même.
La production alternative, c’est quoi ?
La production alternative, c’est un ensemble de modes de production et de distribution développés en réaction aux dégâts environnementaux, sanitaires, économiques et sociaux qu’entraine le modèle dominant, qui, par son usage de pesticides, cause la pollution des eaux, de l’air et l’appauvrissement des sols. Cette production se fait identifier par des labels dont le plus connu est AB. Elle représente un modèle alternatif au marché classique, en ce sens qu’elle ne le contourne pas mais propose autre chose.
La production alternative vend ses produits par vente directe ou indirecte. On parle de vente directe quand le producteur est directement en lien avec le consommateur. La vente indirecte passe par un intermédiaire entre le producteur et le consommateurs, les structures pouvant alors être des coopératives (ex : biocoop, ou Super Quinquin) des associations (ex : Robin des bios à Moulins), des AMAP1. En plus des produits de meilleures qualités, ces organisations sont soucieuses de créer un environnement de travail plus respecteux du droit et de la démocratie des employé.es. Ces structures se fondent sur des modèles économiques qui privilégient une faible différence entre les salaires, un mode de gestion permettant la liberté de parole, un ancrage local et une faible lucrativité.
Quand c’est le bio qui prend en charge la crise
Pendant le confinement, Carrefour identifiait certains produits avec des petits drapeaux bleu-blanc-rouge histoire de bien mettre en avant l’origine Française des produits. Le local washing ou le green-washing n’a pas pu taire les scandales. Une semaine après le début du confinement, la mort d’un agent de sécurité à tiré la sonnette d’alarme sur les conditions de travail. Les caissier.es et autres agent.es travaillent peu protégé.es, sans masque et sans gant, répondant à la demande d’une foule paniquée qui se rue sur les rayons. D’un magasin à l’autre les mesures de sécurité changent. Les plus grandes surfaces semblent avoir plus de moyens d’établir des mesures de distanciation. La sécurité du personnel est aussi à la carte. Quand des enseignes se contentent de mettre un verre entre les cassièr.es et les client.es, d’autres fournissent tout de même les masques à leurs employé.es.
Les espaces de ventes alternatifs ont en revanche beaucoup mieux répondu à ces problèmes. Dès le début de la crise, il a été possible pour ces espaces de mettre en place un certain nombre de règles permettant de mieux répondre aux normes d’hygiène et de respect des « gestes barrières ». Dès le début de la période de crise, « Robins des Bios » a pu mettre en place un système qui permettait aux client.es de ne pas se croiser ni toucher les rayons. Contre tout attente, les espaces de ventes alternatifs ont également bénéficié de l’afflux des client.es dès les premiers jours de confinement. Selon l’une des employées de l’association « Robin des Bios », il y a eu 55% de nouveaux adhérent.es. Les client.es s’y sont senti.es beaucoup plus en sécurité que dans les magasins des grandes multi-nationales.
Le secteur n’a jamais craint de connaitre de pénuries puisque la production est locale. Il n’a donc pas souffert de la fermeture des frontières ni de l’absence des milliers de saisonnier.es étranger.es sous payé.es qui constituent la base de notre mode dominant de production.
L’utilité sociale vs l’union sacrée
La différence entre les secteurs nécessaires à la société et les secteurs superflus fut cruciale pendant le confinement. Les producteurices bio, malgré les convictions portées par leur secteur, se sont demandées dans quelle catégorie ils et elles entraient. Le gouvernement, silencieux sur le sujet, ne les a pas aidé.es. La suggestion du ministre de l’agriculture d’envoyer les personnes privées d’emploi travailler dans les champs a même été prise comme une insulte. Marion, boulangère bio, s’exprime sur le sujet : « C’est nier notre boulot. On nous prend pour un substitut de colonies de vacances. Ce sont des métiers qui s’apprennent, qu’on prend plaisir à transmettre et qui sont porteurs de valeurs. En ce moment on n’a pas le temps de transmettre. Guider correctement des apprenants/apprentis, ce n’est pas rien en terme d’énergie et de sécurité, même sans covid. Sur le terrain comme dans un cours, on ne fait pas ça sans moyens... mais pour le gouvernement ces questions sont apparemment très abstraites ! »
La fermeture des marchés a été un coup dur également car beaucoup de producteur.ices ne vivent que de ce type de vente. À Lille, ce sont les élus locaux qui ont pris la décision de la réouverture des marchés, poussés par la « Confédération Paysanne », syndicat d’agriculteur.ices de gauche. Les producteur.ices ont bricolé avec la loi et dans le souci du respect des gestes barrières pour continuer de vendre leurs produits. Des particulier.es ont recyclé leur domicile en points de ventes ponctuels. Lesquels constituaient un des rares temps de sociabilité et de rencontre dans la routine de beaucoup.
Si la production alternative est parfaitement critiquable, puisqu'on y constate des vices et des travers2, elle possède néanmoins des vertus telles que les conditions de travail ou encore des écarts de salaire réduits. Dommage qu'elle n'ait pour coeur de cible qu'une population petite bourgeoise et cultivée. Les dégâts sur l'humain et la nature y sont indéniablement moindre que dans la grande distribution.
Louise
1. AMAP : Association pour le maintien d'une agriculture paysanne.
2. Lire à ce sujet "La poudre de Superquinquin", La Brique N°57