Délit de solidarité avec les exilé.es

Proces Cinq EtoilesÀ l'occasion de l'audience en appel du procès des « 16 du 5 étoiles » ce jeudi 7 octobre 2021, nous publions cet article qui fait le récit de l'audience en première instance fin 2020. Le jeudi 12 novembre 2020 s’est tenu le procès des 16 personnes interpelées le jour de l’expulsion du 5 étoiles. Ce squat abritait près de 200 exilé.es, dont une partie a été déportée suite à l’intervention. Des dizaines de militant.es ont résisté face à une armada de flics. Récit d’une défense collective face à la barbarie préfectorale.

Le 5 étoiles est un immense bâtiment désaffecté situé à Lille Moulins. Il est occupé depuis l’automne 2017 par des exilé.es, majeur.es ou mineur.es, et des sans-abris qui attendent depuis des mois le résultat d’une procédure pour « exiger qu’il n’y ait pas d’expulsion sans réelle solution d’hébergement ». Le 4 juin 2019 à l’aube, un dispositif policier démesuré se met en place pour expulser et déporter tout le monde. Et pourtant deux jours plus tard la justice rend son verdict et donne 3 ans aux habitant.es pour quitter les lieux. La préfecture du Nord est donc passée en force, bafouant par anticipation la décision qui allait être rendue, certainement pour ne pas avoir à prendre en charge les relogements qui auraient été de sa responsabilité. Mesquine jusqu’au bout de la matraque, la préfecture choisit pour intervenir le jour de la fête de l’Aïd qui met fin à un mois de jeûne, une journée importante pour les habitant.es. Des soutiens avaient prévu de quoi partager avec les habitant.es un moment de joie et de convivialité.

Un mépris qui vient de loin

Lille a toujours réservé un accueil indigne aux exilé.es. En 2015, des mineurs isolés étrangers, abandonnés par l’aide sociale à l’enfance, s'installent dans le Parc des Olieux (Moulins) où ils passent presque deux ans et autant d’hivers sous des tentes. Finalement expulsés, ils trouvent brièvement refuge dans une maison désaffectée de la rue de Fontenoy. Bien qu’appartenant au parc immobilier du CHU de Lille, dont Martine Aubry est présidente du Conseil de surveillance (1), une semaine suffit pour que le RAID viennent dégager les lieux. En 2017, c’est sous les auvents de la partie délabrée de la gare Saint-Sauveur, que s’installent plusieurs dizaines de personnes dans des tentes et des abris de fortune avant une expulsion sous les yeux des associations et des collectifs impuissants.

C’est dans ce contexte qu’ouvre le 5 étoiles rue Jean Jaurès : une suite de hangars, insalubres, froids, non-adaptés pour abriter un nombre croissant de majeurs et mineurs méprisés par les institutions (près de 200 un an et demi plus tard). Pourtant, c’est « un luxe » pour ces personnes qui avaient connu pire jusque-là, d’où son nom, une ironie comme pour déjouer la galère de la rue.

Proces Cinq Etoiles

Des associations et des collectifs organisent un soutien plus que nécessaire (le Collectif des Olieux, Utopia 56, Diem25, Banta...). Quant aux autorités, elles s’acharnent à leur rendre la vie plus dure : l’eau est coupée rendant les deux seules toilettes inutilisables, ce qui n’empêche pas les services du département et la préfecture d’orienter vers ce squat les personnes exilées faute de place dans les centres d’hébergements dédiés.

Le 4 juin 2019 à 5h45 du matin, 200 CRS arrivent pour démanteler le lieu, où dorment encore environ 150 personnes. Des dizaines de soutiens, alerté.es la veille, tentent d'empêcher un acte absurde. Les exilé.es sont dispersé.es loin de Lille pour mieux les isoler de leurs soutiens, soit dans des Centres de Rétention Administrative (CRA) pour être ensuite déporté.es, soit dans des foyers déjà surpeuplés. Une trentaine de personnes restent sans aucune solution d’hébergement. Beaucoup survivent désormais, à l’abri des regards, dans un campement insalubre sur la friche Saint-Sauveur. 16 personnes présentes en soutien sont interpelées et placées en garde-à-vue. Un « délit de solidarité » qui ne dit pas son nom.

Après un an et demi d’attente judiciaire, « les 16 » restent solidaires jusqu’au tribunal afin de politiser le procès remettant au premier plan la « rafle » et la « déportation » des habitant.es. « Certes, ces mots sont lourds de sens. Mais comment qualifier autrement le fait d’arrêter massivement et systématiquement des personnes en fonction de leur situation administrative ? »

Face au marteau de la justice, sortez les vices

Le jour du procès tout est fait pour empêcher les soutiens d’accéder à la salle : on exige une convocation alors que l’audience est publique ; présence d’un flic des renseignements qui semble bien connaître le chef de la sécurité privée du tribunal... Les avocat.es des prévenu.es interviennent pour que les soutiens puissent assister au procès. À l'audience, la défense décortique toute la procédure, truffée de vices. L’inconséquence de l'autorité judiciaire et des flics éclate en public.

Le matin de l’expulsion, la police intervient en dehors de tout cadre légal, avec sous le coude un ordre du procureur qui n'a rien à voir avec le 5 étoiles. Quand ils cernent les militant.es, les flics décrivent une « foule hostile » d'une cinquantaine de personnes, ou d'une centaine, au choix. L'identité des flics reste bien gardée : impossible de savoir qui interpelle qui. Impossible aussi de savoir ce qui est précisément reproché à chacun.e.

Au commissariat central, le tour de vice se poursuit. Pendant de longues heures, aucun magistrat n'est prévenu, les bleus sont seuls maîtres à bord. Ils notifient aux militant.es leurs droits plus de quatre heures après l'arrestation (2). On refuse à certain.es un examen médical, alors que les cognes ont frappé. D'autres ne pourront pas faire prévenir leurs proches, et par là, organiser leur défense. En cours de garde-à-vue, on charge la mule en reprochant aux militant.es des violences sur les flics. Toutes les unités de CRS seront sollicitées. Seuls deux d’entre-eux se dévouent et évoquent des violences légères sans assumer de porter plainte. Le magistrat demande alors la libération immédiate des militant.es, ce qui n’arrivera que bien plus tard.

Sur le fond, une magistrate sceptique

Le procès continue avec l’interrogatoire des prévenu.es. La juge les invite à la barre pour les entendre individuellement. La première déclare : « Nous avons choisi collectivement de défendre un lieu qui offrait un toit à des personnes par solidarité. Nous refusons de répondre à vos questions cherchant à nous individualiser. Nous laissons le soin à nos avocat.e.s de nous défendre collectivement. » Telle sera la réponse de chacun.e.

La juge se contente alors des rares éléments en sa possession : l’état civil, le casier et les chefs d’inculpations. Ayant été la seule à avoir accès aux vidéos, elle commente : « M. X, on lui reproche la dissimulation du visage, alors qu’on voit parfaitement son visage sur les vidéos » ou encore « Mme Y est interpellée à l’extérieur d’après le PV, alors qu’on la voit à l’intérieur ». Elle laisse même échapper un soupir d’exaspération : « M. Z, à qui on reproche des violences sur agents, on ne le voit sur aucune vidéo ». Ce dossier apparaît donc aussi vide que mal ficelé.

Rien à déclarer individuellement mais un texte collectif à déclamer (3). Chaque prévenu.e en lira un passage face à la juge. Tout y est : la violence de l’interpellation « à coup de matraques, d’insultes et de gazeuse », leur choix de défense collective qui leur permet « de visibiliser le quotidien des exilé.e.s. », les responsables que sont « le préfet Michel Lalande, à travers lui l’État et sa politique de non-accueil et de répression » qui « exploite, contrôle, enferme et expulse » et qui sont coupables de « la seule violence que nous ayons constatée ce jour-là ». Et une conclusion qui détonne : « Nous sommes conscients et conscientes qu’à travers les expulsions et les procès comme ceux-ci, ce sont aussi nos solidarités et nos luttes qui sont visées. En sortant de ce tribunal, nous continuerons de les assumer politiquement et de nous organiser collectivement. »

En définitive, le tribunal jugera que l'interpellation et l'ensemble de la garde-à-vue sont nuls. Les prévenu.es sont relaxé.es des accusations de violences sur flics et du refus de signalétique. 5 militant.es qui se trouvaient devant la bâtiment ce jour-là sont condamné.es pour attroupement non-autorisé à 200€ avec sursis et 400€ pour celleux qui avaient le visage dissimulé. Ils et elles ont fait appel. L'audience en appel a eu lieu le 7 octobre 2021 mais le délibéré ne sera rendu que dans quelques semaines.

 Camo, Brubru et Lud

1. Le Conseil de surveillance est justement l'instance qui donne son avis sur les cessions d'immeubles appartenant au CHRU et leur affectation.

2. Le délai ne doit pas dépasser 1h avant de lire les droits. Sans quoi la GAV peut être annulée.

3. Texte intégral à retrouver ici.

 

 
Communiqués du collectif des Olieux pendant la période d'occupation du 5 étoiles
- Lettre à Martine Aubry (n°55) : ici (19/06/18)
- Communiqué n°56 - yen a marre : ici (17/11/18)
- Communiqué n°59 - mensonges de la mairie & de la VDN : ici (18/01/19)
- Journal du 5 étoiles, et communiqué n°60 : ici (31/03/19)
- « Appel à rassemblement en soutien aux exilé.e.s » : ici (06/05/19)
- « Une expulsion pour fêter l'Aïd » : ici (04/06/2019)
- « Conséquences d'une expulsion illégitime » : ici (06/06/2019)
- Carte du dispatch des exilé.es dans les Hauts-de-France : ici (06/06/2019)

 

 
Textes de La Brique sur la situation des exilé.es à Lille depuis l'occupation des Olieux

- Des Mineurs isolés placés à la rue : ici (n°44)
- Les Olieux de la misère : la rue pour seul refuge : ici (n°46)
- Olieux : L'État sans état d'A.M.E : ici (n°48)
- Revers de Médaille pour Aubry (post-expulsion du parc des Olieux) : ici (n°50)
- M.I.E à Lille : invisibiliser pour ignorer (Mineurs Isolés Étrangers) : ici (n°51)
- Olieux : Gare sans sauveur : ici (n°52)

- Expulse un peu pour voir : ici (n°53)
- Loi asile et immigration : le gouvernement fait Front : ici (n°55)
- Welcome coup de comm' : ici (n°56)
- Au purgatoire des expulsions (à propos des CRA) : ici (n°58)
- Bonnet d'Âne pour la Voix du Mors : ici (n°58)
- Expulsion du 5 étoiles : CRAches misère : ici (n°59)

- Luttes et galères des exilé.es sur la Friche : ici (n°64)

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