Depuis l'été dernier, les jeunes mineurs isolés ont installé leurs tentes sur la friche de l'ancienne gare Saint Sauveur. Leurs conditions de vie sont loin des préoccupations de la mairie. Martine Aubry n'hésite pas à noyer le poisson, à fuir ses responsabilités. Sans pudeur, elle se défausse et délègue aux associatifs le soin d'apporter le minimum vital. Une action entravée par la ville qui excelle dans sa chasse aux moindres refuges de fortune. Invisibiliser des jeunes, étouffer la contestation et réprimer toute forme de lutte, voilà la stratégie pour régler un « problème » qui traîne.
Depuis deux ans, le nombre de jeunes étrangers, mineurs, isolés et abandonnés en plein cœur de Lille ne diminue pas. Après un an et demi d'occupation du parc des Olieux à Moulins sous harcèlement policier, les jeunes emménagent dans une maison abandonnée. À deux reprises ils sont chassés par les keufs à la demande de la Ville et de la Métropole. Toujours sans réponse de la part des pouvoirs publics, voilà plusieurs mois que la friche Saint-Sauveur constitue un refuge où ces jeunes ont pu poser leur tente.
Une ville de « gauche » ?
Hélas, une réponse digne et humaine n'est toujours pas à l'agenda de la mairie. « Pas de place, pas de moyens, pas de solutions, pas de notre responsabilité », ça fait maintenant plus de deux ans que la mairie se justifie ainsi, en renvoyant tantôt la balle au département, tantôt à la métropole.
Le droit de ces jeunes mineurs, même officiellement reconnus comme tels, continue d'être bafoué, les laissant sans solutions d'hébergement ni de scolarisation. Ce même droit parait bien loin quand le simple respect de la dignité humaine ne semble plus émouvoir quiconque chez nos édiles locales.
Près de deux cents personnes vivent dans des conditions déplorables sur le site de la friche St So, invisibilisé.es alors qu'il.le.s ne sont qu'à quelques encablures du « Bistro » du même nom. Des mineur.es, des sans papiers, des sans abris, hommes, femmes et enfants survivent ici comme ils et elles peuvent. Une dizaine d'associations fournissent le minimum vital en matériel et nourriture, tout en étant présentes au quotidien. La mairie quant à elle, malgré des décisions du tribunal de grande instance, traîne les pieds pour installer ne serait-ce qu'un point d'eau ou des toilettes en invoquant des difficultés « pour des questions de débit d’eau ». À l'heure où Martine Aubry met toute son énergie pour faire gober à sa population l'immense projet de rénovation de la friche, nous lui souhaitons de trouver des plombiers compétents d'ici-là.
La concertation à coups de coude
Le 13 septembre dernier, alors que Martine Aubry – devant les pontes du PS local – présente (très) longuement son projet pour la friche Saint-Sauveur (du béton, toujours du béton), l'organisation parfaitement huilée et consensuelle est prise de court. La maire de Lille se fait alpaguer par le collectif des Olieux. Un bénévole dénonce la pose de plaques métalliques empêchant les jeunes d'entrer et sortir de la friche et la fermeture du seul point d'eau. Dans son numéro d'équilibriste, Martine Aubry admet « chercher des solutions », tout en esquivant d'un revers de main la question : « Ce n'est pas le sujet du jour, allez parler à Walid Hanna ! ». Insatisfait de la réponse de l'élue « socialiste », le bénévole souhaite poursuivre sa prise de parole. Un vigile tente de récupérer le micro à grand renfort de coup de coude, Martine Aubry restera de marbre…
Un mineur isolé du collectif des Olieux parvient à se saisir du micro. Il dénonce à son tour la déshumanisation de leur traitement et l'indifférence flagrante des pouvoirs publics. Il rappelle qu'au moment de la braderie de Lille, Martine Aubry n'avait pas daigné baisser la vitre de sa voiture pour discuter avec eux. Celle-ci dément et renvoie à nouveau les jeunes vers Walid Hanna, spécialiste de l'enfumage participatif.
Invisibiliser et évacuer le problème.
La stratégie de la mairie reste donc inchangée : se boucher les oreilles, fermer les yeux et maintenir cette situation indigne dans l'ombre. Il lui faut donc exiger l'évacuation dès qu'un début de campement apparaît. Les flics se chargent du sale boulot, gazant et réprimant le moindre groupe de jeunes qui aurait la mauvaise idée de revendiquer un peu trop fort leurs droits dans l'espace public.
La mairie peut d'ailleurs compter sur le zèle de certains flics, qui n'a d'égal que leur imagination pour assouvir leur basse besogne. Le 26 septembre dernier, privé de la solution d'hébergement à laquelle il avait pourtant droit, un jeune refuse de quitter les locaux de la plate-forme d'évaluation et de mise à l'abri. Il est cueilli par quatre policiers : clé de bras, coups de poings et insultes avant de le jeter loin des regards, en plein champ, lui souhaitant « bonne chance ». Encore un petit effort et nos fonctionnaires d'État seront dignes des passeurs libyens et autres raclures qui peuplent le périple de ces jeunes avant qu'ils n'atteignent nos frontières.
La justice à la rescousse… de la mairie
Le 5 octobre, le tribunal ordonne l'évacuation du site sous huit jours. Martine Aubry, si clémente et si conciliante, commente la décision : « Je ne ferai la demande d'exécution de la décision de justice que lorsque j'aurais la certitude qu'une solution aura été trouvée pour tous », ponctuant par un « pour tous ceux qui ont accepté un dialogue social ». Comprendre : si tu l'ouvres trop, t'auras même pas le droit aux miettes.
De plus, le manque « de moyens » sert alors à cacher l'absence totale de volonté politique. Loin d'être un hébergement digne, la friche permet au moins de réunir et d'organiser les différents soutiens. Dispersés une nouvelle fois, ces jeunes perdront le peu de repères que ce camp représente, mais pour la ville de Lille, c'est surtout un point de cristallisation des revendications qui disparaît.
S'organiser et soutenir
Mais heureusement des gens se mobilisent, avec ou sans camp. Le collectif des Olieux continue d’organiser un réseau de solidarité qui inclut des familles d'accueil, des profs' de français et de maths', toutes les bonnes volontés sont les bienvenues. Des assemblées hebdomadaires permettent de réunir les jeunes et leurs soutiens pour échanger des informations importantes et tenter de créer des liens. Un appel à rassemblement a réuni une centaine de personnes, le 14 octobre. La troupe s'est retrouvée cantonnée sur la friche, sous la menace du tonfa et de la gazeuse, avec interdiction de se montrer sur la voie publique.
Treize associations sont présentes sur le site de la friche - devenue la foire de la charité - dont certaines semblent avoir parfaitement intégré le discours d'Aubry incitant les jeunes à ne pas participer aux manifs' et dépolitisent ainsi la question des migrants. Aide matérielle quotidienne ou revendication des droits et lutte politique ? Les deux sont nécessaires et complémentaires. Ces jeunes ne veulent pas rester à Saint-Sauveur, ils veulent l'exercice de leurs droits, dormir au chaud, aller à l'école et ne plus se sentir abandonnés.
On peine à se souvenir d'une Lille sans camps, sans bidonvilles. Les défaites de l'efficacité humanitaire des gestionnaires municipaux s'accumulent. Les personnes marginalisé.es par les pouvoirs publics se sont multiplié.es depuis une dizaine d'années et les errances sont systématiquement organisées. Déplacer les gens, déplacer les problèmes est la seule réponse apportée par un pouvoir qui choisit ses miséreux.
Si vous avez du temps et de l'énergie à donner le collectif a toujours besoin de bras et les jeunes de soutien, ils viennent d'ailleurs tout récemment de créer un blog : olieux.herbesfolles.org, histoire de ne pas laisser La Voix du Nord et les communiqués de police parler à leur place.
Brubru, Panda Bear, Maurice Boxon