Les mineurs isolés étrangers de Lille continuent de survivre et de lutter pour un hébergement et une scolarisation. Des dizaines d'entre eux restent totalement ignorés par le département, dans le mépris le plus total. Début juin, une tentative de réinstallation au parc des Olieux tourne court. La pression policière et des méthodes indignes ont stoppé net leur début d'organisation. Déterminés et épaulés par le collectif des Olieux, les jeunes luttent pour leurs droits et arrachent néanmoins des petites victoires.
Ils sont des dizaines de jeunes isolés à Lille, pour la plupart reconnus mineur, pour d’autres en procédure de recours. Ceux qui sont « officiellement mineurs » doivent légalement être pris en charge par le département censé les héberger et les scolariser. Sauf que dans la réalité, ces ados dorment à la rue et n’ont pas vu l’ombre d’un.e prof ou d’un.e éduc. Minots, seuls et ayant traversé des milliers de bornes pour fuir la misère et la violence, ils tiennent principalement grâce à l’énergie des assos et des militant.es qui assurent nourriture, cours et hébergements d’urgence. Mais les volontaires s’épuisent et les solutions d’urgence se raréfient. Une vingtaine de jeunes, fatigués d’errer en vain et voulant faire réagir les autorités départementales, décident de se regrouper. Le parc des Olieux, symbole du combat pour la reconnaissance de leur statut et de leurs droits, est donc réinvesti dans la nuit du 4 juin.
Pour rappel, en novembre 2016, la ville expulse le premier campement et ses occupants pour récupérer ce même parc avant son inauguration. Après cette évacuation, une maison de la rue Fontenoy, abandonnée depuis des années et propriété du centre hospitalier régional universitaire de Lille (CHRU), sert alors de refuge aux jeunes. Là encore, les flics interviennent au bout d’une dizaine de jours pour renvoyer tout le monde sur le pavé. À Lille, on préfère laisser des ados sur le bitume plutôt que de sacrifier un bout de pelouse ou une maison vide. Retour donc à la case départ.
En cette veille de jour férié, vers 23h, la petite troupe installe une dizaine de tentes sur un bout de pelouse et déploie des banderoles : « un toit pour une vie, une scolarisation pour un avenir ». En réinvestissant l’espace public, les mineurs isolés veulent rappeler qu’ils existent encore et que leur situation reste la même. En se rendant visibles, ils espèrent se rappeler au bon souvenir du département et l’inciter à assumer ses responsabilités. Puisqu’en plusieurs mois, leur situation n’a pas bougé.
Quelques habitants du coin profitant paisiblement de la soirée estivale assistent incrédules à cette scène, qui ne semble pas plaire à tout le monde. « On va être encore pris en otage pendant des mois. La dernière fois, ils sont restés un an et demi », souffle un voisin à qui le collectif tente d’expliquer la démarche. D’autres pensaient la situation résolue, ils croyaient ces adolescents à l’abri et pris en charge. Sauf qu’aucune solution sérieuse n’a été proposée depuis le temps. Le seul but est de disperser et d’invisibiliser ces jeunes que la mairie ne veut pas voir sur son territoire. Méthode efficace et éprouvée pour empêcher les gens de s’organiser et de lutter pour leurs droits.
Une police aux mains propres et à l’esprit sale
Dans l’heure qui suit l’installation, la police arrive sur les lieux et s’entretient avec un petit groupe de voisins regroupés tout près du camp de fortune. S’ensuit alors une scène à peine croyable. Les policiers et la poignée d’habitants s’approchent du campement. « Cassez-vous d’ici, on veut pas de vous ici ! », hurlent les habitants tout en arrachant les banderoles, sous l’œil amusé et complice de la bleusaille. Après avoir autorisé – pour ne pas dire incité – le petit groupe à passer à l’action, les flics se réjouissent de voir la tension monter et les insultes fuser. Ils savourent le spectacle qu’ils ont eux-mêmes mis en scène. Pour susciter la haine, faut avouer qu’ils ont un certain talent.
Triste réalité lilloise que de voir des ados dormant à la rue, se faire insulter et menacer par des habitants, entourés de policiers satisfaits et trop heureux de ne pas avoir à faire eux-mêmes le sale boulot. L’un d’eux vient expliquer aux jeunes : « On aimerait bien que vous restiez, mais on pourra pas assurer votre sécurité bien longtemps. Pour éviter le bain de sang, va falloir que vous vous trouviez un autre endroit ». Y a qu’un poulet pour se donner le bon rôle face à des mineurs traumatisés et une poignée de riverains hargneux, trop excités d’avoir la police de leur côté pour une fois. Heureusement, d’autres voisins plus discrets sont venus apporter café chaud et réconfort.
Après une demi-heure de provocations, tout le monde finit par rentrer chez soi, sauf une voiture de flics et les jeunes qui, de fait, n’ont nulle part où aller. Le reste de la nuit se finit tranquillement pour ceux dont la fatigue parvient à vaincre l’angoisse de ces violences supplémentaires.
Va voir là-bas si l’État y est
Après avoir résisté à ce premier coup de pression et persuadés qu’ils ne peuvent pas être expulsés sans ordonnance d’un juge, le petit campement pense avoir quelques jours de répit. Pour eux, la priorité est d’expliquer au voisinage les raisons de cette réinstallation. Mais ils n’ont pas le temps de susciter le moindre début de solidarité, puisque les flics reviennent en force en milieu de journée, bouclent le parc et encerclent le campement. Malgré les protestations, le rappel de la loi1 et l’absence de solution de repli, les fonctionnaires retirent une à une les tentes. Certains, presque mal à l’aise, exécutent froidement les ordres du commissaire Olivier Dimpre, en blazer bleu, le teint halé et l’air décontracté du mec-à-qui-on-ne-la-fait-pas. D’autres, paraissant presque heureux de virer le dernier abri d’un gamin, se la jouent débonnaires : « Ça me rappelle quand je fais du camping, à la fin des vacances moi aussi j’démonte ma tente ». Décidément, tout le monde déteste les campeurs2.
Bonne nouvelle apparente : le commissaire annonce aux jeunes qu’ils peuvent tous être hébergés durant sept jours, dans un foyer de Lille Moulins. Les flics déposent alors les mineurs et leurs affaires à la Maison de l’enfance située rue d’Esquermes. « Vous vous êtes fait avoir ! Y’a aucune place ici pour vous », leur annonce alors un éducateur dépité. Il vient d’avoir la procureure au téléphone, qui lui a expliqué texto : « Ce qui compte, c’est qu’ils libèrent le parc et qu’ils ne restent pas au commissariat. Alors, vous leur annoncez qu’il n’y a pas de place pour eux et vous les reconduisez dehors ». C’est l’apogée du cynisme et du mépris, tous les coups sont désormais permis. La proc’ manipule, le commissaire ordonne et les flics exécutent servilement avec zèle. Inutile de chercher une once de compassion sous le képi : « Mais vous croyez quoi ? Nous, c’est toutes les semaines qu’on amène des mineurs ici, on le sait qu’il n’y a pas de place », lâche un flic condescendant. Et dire, qu’ils s’étonnent encore qu’on les acable. Seule la débrouille du collectif des Olieux évite alors la rue aux jeunes épuisés et plus dégoûtés que jamais.
Quelques jours plus tard, c’est sur le plan juridique que la bataille continue. Le tribunal administratif annonce que 59 places d’hébergement, réparties sur tout le territoire, seront dispos avant la fin du mois de juin. La décision, qui devait être prise en août, semble avoir été précipitée par la détermination des jeunes à ne rien lâcher et par l’avocate qui les accompagne. Cette dernière est parvenue à faire condamner l’aide sociale à l’enfance pour manquement à leur devoir de prise en charge. Le département et l’État sont donc contraints de payer des astreintes allant jusqu’à plusieurs centaines d’euros par jour et par jeune. Au final, une somme considérable d’argent public est perdue plutôt que de servir à prendre en charge dignement les mineurs isolés. Incompétence, mauvaise volonté ou politique du pourrissement ? Peu importe, seule la lutte paie.
Brubru
1. Article 226-4-2 : Le fait de forcer un tiers à quitter le lieu qu'il habite sans avoir obtenu le concours de l'État dans les conditions prévues, à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contraintes, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende.
2. Faut croire que l’association entre exilé.es et campeur.ses est à la mode dans la voix de la police et de ses scribes de la Presse Quotidienne Régionale. Lire : « Quand Nord Littoral ironise sur la misère des exilé.es », LaBrique.net, 01.06.17.