Ce manager-né, atteint de macronite aiguë bien avant l'heure, croit aux bienfaits du marché. C'est que la politique en mode projet lui sied bien. Il apprend les rudiments des réductions des coûts et du management à Lille 1, où il suit un master en économie industrielle et en management des ressources humaines. Compétition, pression au travail, rentabilité, voilà les lubies du monsieur.
Le social à l'épreuve du management d'entreprise
En 2006, Itier bosse pour le cabinet d'audit Deloitte où il aiguise ses armes managériales, conseillant aux associations du social de penser « bénéfices ». En 2010, il audite l'association la Sauvegarde du Nord, préconisant sa restructuration : il est alors nommé directeur général. Une espèce de hold-up pour le « Men in Black », qui consiste à passer du rôle de conseiller extérieur à grand chef et de mettre en pratique ses propres recommandations.
L'association est une écurie des socialistes locaux. Fierté de Pierre de Saintignon1 (PS), la Sauvegarde est une rampe de lancement qu'il détourne au profit d'En Marche, non sans la complicité des socialistes du conseil d'administration qui se sont mis en tête de tuer l'héritage de l'ère Mauroy-Aubry-Lamy. Pour Itier, pas de pitié.
Dès son arrivée, sa marque se fait sentir : embauches de managers venus du privé, restructurations à répétition, fusions-absorptions, licenciements... Un employé nous indique ainsi qu'il a « tenté personnellement de licencier des élus du personnel et une déléguée syndicale », coûtant à l'association « près de 180 000 euros aux prud'hommes ». Il poursuit et indique que Chrisotphe Itier « est même intervenu auprès de la DIRECCTE2 pour se plaindre de l'inspecteur du travail qui refusait le licenciement ». Élu, ira-t-il voir le ministère du travail directement ? Sa stratégie est claire : « rendre inopérantes les instances représentatives du personnel ». Le dialogue social à la sauce Itier, c'est travaille et ferme-là !
Certain.es professionnel.les évoquent un sous-effectif chronique pour accomplir leur travail, un mal-être, et plus largement une perte de sens dans leur travail. Ils et elles déplorent l'absence de projet associatif et une focalisation de l'exécutif sur la conquête de parts de marché aux dépens des publics accompagnés. Christophe Itier est, par ailleurs, aux abonnés absents au sein de la structure, plus préoccupé par sa recherche de notoriété et par l'entretien de ses réseaux que par sa fonction de directeur général. Sans doute stressé par les élections, un employé nous indique qu'il multiplie « échanges musclés » avec les salarié.es. C'est qu'il a d'autres priorités dans la vie. Itier a finalement eu la présence d'esprit de déposer un mois de congés payés pour ses aventures politiques.
À la recherche de notoriété
Membre du PS depuis les années 90, ce « rocardien » multiplie les entreprises politiques pour se faire connaître. Il crée en 2014 le club de dirigeants du social « SOWO », qu'il délaisse au profit de sa carrière politique. En 2015, il dirige la campagne de l'ex-directeur de la Sauvegarde du Nord, Pierre de Saintignon, lors des élections régionales, pour quelques mois seulement, claquant la porte avec fracas. En janvier 2016, il participe à la création de « ReGénération », un mouvement souhaitant renouveler les pratiques politiques – comprendre, lui laisser (enfin) sa chance. En 2016 toujours, il devient président du MOUVES (Mouvement des entrepreneurs sociaux) mais le Monsieur ne tient jamais très longtemps ses engagements lorsqu’ils ne sont pas ... rentables.
Fort du reniement de ses engagements passés, Christophe Itier voit dans Emmanuel Macron sa chance inespérée de trouver un poste électif, de découvrir un monde dont il rêve jour et nuit. Il rend alors sa carte du PS, démissionne du MOUVES, et devient le référant régional du mouvement « En Marche ! » tout en étant le directeur de la Sauvegarde du Nord. Il est prêt à tout pour réaliser son rêve, au risque de la confusion des genres. En 2016, il accueille ainsi les « marcheurs » dans les locaux de la Sauvegarde, au grand dam des salarié.es, comme nous en fait part un salarié de la Sauvegarde: « ça a gueulé! Mais le conseil d'administration de l'association a laissé faire ».
En finir avec les assisté.es
Dans une interview au Nouvel Obs3, Itier y va de sa prophétie néolibérale : « c'est la fin de l’État-Providence ». Il va plus loin et indique que la recherche « de nouveaux modes de financement du secteur associatif est une nécessité ». Devant la réduction des dépenses publiques, sa solution est de développer les partenariats public-privé ainsi que les fonds de dotation. Itier se gargarise d'être un pionnier dans la vente à la découpe du social : « quand j'ai créé, en 2013, un fonds de dotation pour La Sauvegarde du Nord, on m'a dit : "Tu es fou ! Tu fais rentrer le capital dans l'association. Et aujourd'hui tout le monde se dote d'un fonds de dotation" ».
Dans la même lignée, il se félicite d'avoir été l’instigateur en France des contrats à impact social4 dont La Brique relatait il y a peu les effets pervers et les logiques de rentabilisation de la misère. Pour Christophe Itier, « il faut innover, expérimenter et se dire : on a le droit à l'erreur ». Les gamins de la Sauvegarde du Nord apprécieront sans aucun doute les « erreurs » commises par ces alchimistes du capital.
On sera prévenus, dans une des régions les plus pauvres de France, avec Itier et ses associé.es, ce sera disette pour les pauvres, festin pour les macronien.nes.
1. « Pierre de Saintignon : si vous aviez raté un métro. », La Brique, Harry Cover, 5 novembre 2015.
2. Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.
3. Nouvel Obs : « Christophe Itier, candidat En Marche ! dans le Nord : "C'est la fin de l'Etat providence !", 16/05/2017.