Qui gère la ville ? Qui décide de bétonner la « Zone de l’Union » ? « La gouvernance ! » répondent en chœur élus et patrons. Gros mot ultime, qui, comme ses frangins de la novlangue néo-libérale, est impossible à définir précisément. Et c’est justement pour ça qu’il plaît tant. Derrière la fumée opaque des sigles et des rouages technocratiques, c’est une « gouvernance » tantôt « métropolitaine », voire « participative », mais toujours vouée aux intérêts du fric et de ceux qui le possèdent.
A partir du milieu des années 1980, les élites locales décident de la reconversion économique de la métropole lilloise. Le « développement métropolitain » devient l’idéologie de la gouvernance socialo-patronale. Aperçu des forces en présence.
« Socialistes »...
Les élus locaux. A LMCU, dans les municipalités, au Conseil régional. A coups de « schéma de cohérence territoriale » (SCOT), de « plan local d’urbanisme » (PLU), les pouvoirs publics organisent la métropole de demain : rénovation brutales des quartiers populaires, implantation de « pôles de compétitivité », dont la « Zone de l’Union ».
Emblème de l’emprise « socialiste » sur les collectivités territoriales, Martine Aubry rêve d’« être dans le Top 10 des grandes métropoles européennes ».
et patrons...
Les patrons. Symbolisés par la Chambre de commerce et d’industrie de Lille (CCI). Mais elle n’est pas seule : le « Club gagnant » (sic) et « Entreprises et Cités » rassemblent les entrepreneurs les plus influents de la région. C’est sans doute l’une des caractéristiques de cette « gouvernance » lilloise : les patrons occupent une place démesurée dans les grandes décisions métropolitaines notamment par l’intermédiaire de lobbies ou groupes de pression. Exemple le plus flagrant, le poids du Comité Grand Lille (CGL). Émanation du patronat local, créé en 1993 par B. Bonduelle, le CGL est aujourd’hui dirigé par Philippe Vasseur ancien ministre et élu local. Il n’a aucun poids formel, n’apparaît nulle part mais est à l’origine de la plupart des projets culturels, technologiques et urbains de la métropole « socialiste » (Lille 2004, Euratechnologies, etc.).
… main dans la main
Implantée dans son fief d’Euralille, l’Agence pour la promotion internationale de Lille Métropole (APIM) offre une bonne illustration de cette co-gérance. Son but est d’attirer les investisseurs, cadres et dirigeants du développement métropolitain lillois, d’accueillir leurs familles et de leur donner toutes les aides nécessaires. Co-financée par la communauté urbaine, la Chambre de commerce et la Région, on retrouve dans son conseil d’administration la fine fleur de l’élite locale : des élus (Caudron, maire de Villeneuve d’Ascq, de Saintignon, bras droit de Martine Aubry, etc.) des patrons (Bonduelle, président de la CCI, Luc Doublet vice-président de la CCI et leader mondial de la vente de drapeaux ! Etc.).
Universitaires aux ordres
On se permettra d’ajouter une troisième touche au tableau : les « chercheurs ». Géographes, urbanistes, sociologues. Leurs travaux, bien souvent commandés et financés par les décideurs, fournissent à leurs commanditaires concepts-clés, grilles de lecture des changements urbains et orientations des futures politiques publiques. Du pain bénit pour les élus et patrons : argumentaires et justifications des projets urbains sont étiquetés : « scientifique ». A Lille c’est Didier Paris qui s’illustre sur le créneau. Président du Conseil de développement de LMCU [1], instance productrice d’« avis » sur les actions de la Communauté urbaine, il est également directeur de la POPSU [2], professeur d’urbanisme à l’université de Lille 1, spécialisé dans les questions de développement... métropolitain.
Conseils, comités, communautés, entreprises, agences : on s’y perd facilement. Retenons plutôt ceux-là : Bonduelle, Aubry et Paris. Alors, bande organisée ? Association de malfaiteurs ? Toujours est-il que les délinquants qui traînent du côté de Marcq-en-Baroeul et du Vieux-Lille courent toujours...
1 : 2 :
[1] Présidé jusqu’en 2008 par l’héritier Patrick Peugeot, président des assurances La Mondiale (AG2R).
[2] Plate-forme d’Observation des Projets et Stratégies Urbaines. Elle travaille en étroite collaboration avec les pouvoirs publics sur des thématiques comme les « Stratégies d’adaptation et de transformation des grandes villes »