Vendredi 20 mars 2009. « Pôle image » de Tourcoing, Zone de l’Union. Assis sur de grands canapés blancs et entourés d’écrans géants, Martine Aubry et Yves Claude, directeur général du groupe Oxylane (Décathlon – Mulliez), annoncent l’implantation du siège « mondial » de la marque Kipsta dans l’usine phare de la friche industrielle : l’ancienne brasserie Terken. L’événement est fort en symbole. La bourgeoisie nordiste (cachée dans le clan Mulliez (1)) reprend place sur les territoires et bâtiments jadis construits par leurs pères et grands-pères.
La Zone de l’Union est, depuis le XIXe siècle, un territoire stratégique. Son histoire est marquée par l’importance des réseaux de transport. Un à un, en fonction des besoins du moment, on construit voies de chemin de fer, canal, routes, etc. Au début du XIXe siècle, « l’Union » est un terrain agricole coincé entre les deux mastodontes de l’industrie textile : Roubaix et Tourcoing. A l’image de la région, l’urbanisation va exploser sur le site. En quelques dizaines d’années, « l’Union » passe d’un terrain agricole à un quartier industriel et ouvrier.
C’est l’arrivée du chemin de fer à Tourcoing en 1842 qui signe le début du « décollage économique ». La construction de la gare de Tourcoing permet alors d’acheminer la main d’œuvre depuis la Belgique. Le prolongement de la ligne vers Roubaix entraîne la traversée de la zone. En 1893, c’est au tour des marchandises de circuler sur le site, avec la fin de la construction du canal, aujourd’hui rénové. Symboles de cet âge d’or qui durera jusqu’au début des années 1970, les 3 grandes usines du site : Terken, la Tossée et Vanhoutryve. En 1970, l’urbanisation se poursuit sur les deux rives du canal : le quartier devient le lieu de ré-union des deux villes industrielles.
Dès le début des années 1970, la « crise pétrolière » marque un coup d’arrêt dans l’expansion du site. La Communauté Urbaine de Lille, fraîchement créée, et la Chambre de Commerce et d’Industrie sentent le vent du capitalisme tourner. Le tertiaire (avec ses bureaux pour cadres et employé-es) est l’avenir du processus de « métropolisation », pour reprendre l’expression de l’époque. Des études sont lancées, alors que la plupart des usines tournent encore. Outils urbanistiques et projets de développement se multiplient jusqu’en 1993 où le site de l’Union est classé parmi les cinq futurs « pôles d’excellence métropolitains » aux côtés d’Euralille et d’Eurasanté. Dernières usines en fonctionnement, la brasserie Terken et le Peignage de la Tossée ne fermeront qu’en 2004, mais leur sort est déjà scellé depuis longtemps.
Des terrains vagues, des usines en friche, les maisons d’un quartier entier murées, voilà aujourd’hui le panorama d’un quartier devenu fantôme. Depuis trente ans « l’Union » meurt à petit feu. Et les pouvoirs publics se foutent pas mal du sort des derniers habitants.
En 1991, Nord Éclair écrivait : « Le quartier de l’Union se vide et se mure. Il ne reste quasiment plus d’habitants. » Vingt ans plus tard, c’est toujours le même bourbier. Et dans vingt ans les travaux ne seront pas finis. Il est là le prix du « développement ». Quarante ans de no man’s land pour un hypothétique « quartier du futur ». Ils appellent ça le « work in progress » (2)...
1 : Cf. La Brique n°13.
2 : « Travail en cours ».