Du 16 mars au 18 mai, vous étiez invités à écouter les forces de l’ordre et les élu-e lors des 1000 forums « Vos libertés, votre sécurité » organisés par MAM. Le discours officiel est de rapprocher les citoyens et la police pour construire « un grand ministère moderne de la sécurité » [1]. Tiens tiens…
6 mai, 18H. Dans l’amphithéâtre flambant neuf de l’Ecole nationale de Police de Roubaix-Hem, on retrouve à la tribune Guillaume Dederen, secrétaire général adjoint de la Préfecture du Nord. Il mène le « débat » accompagné du procureur de la République et de quelques gradés.
L’ambiance est décontractée et pour cause : 25 personnes garnissent la salle. Pour moitié des fonctionnaires de police, pour l’autre des élu-es (le maire de Roubaix René Vandierendonck et quelques adjoints). Tous et toutes au premier rang. Un « citoyen », un journaliste de La Voix et votre serviteur se tiennent en plongée.
Les statistiques tu manieras
18H15. Une longue série de statistiques de la délinquance sur la zone de Roubaix débute. Toute fière, la commandant annonce un taux d’élucidation en progression (33% sur 18600 faits). Un bel organigramme des différents corps de la police roubaisienne nous informe que les unités les plus fournies de la sûreté urbaine sont dévolues au trafic de stupéfiants et aux violences. Or, plus il y a d’infractions liées à la drogue ou de violences physiques contre les personnes, plus la police apparaît efficace. En effet, une infraction constatée en matière de stupéfiants équivaut, cela va de soi, à un fait élucidé, tout comme il est aisé d’élucider un acte de violence puisque la victime a souvent vu son agresseur (sauf si ce dernier est de la police évidemment). Plus de drogue et plus de violence font donc mécaniquement monter le taux d’élucidation. C’est ce qu’on appelle la politique du chiffre.
L’ironie tu maîtriseras
18H45. Les débats s’enchaînent. Le premier, intitulé La sécurité, un devoir vis à vis des citoyens, et le second, La sécurité, une responsabilité partagée. Très vite, un « question-réponse » s’opère entre l’estrade et les élu-es. À ce jeu-là, le socialiste René Vandierendonck se fait mousser dès le début de son allocution, qualifiant la police de « fonction publique par excellence » et la sécurité de « premier des services publics » . Il déplore ensuite le nombre trop faible de policiers et le vide créé par le manque de postes de proximité. Les plaignant-es vont engorger le central de Roubaix, ce qui décourage souvent pour porter plainte (et donc faire monter le taux d’élucidation).
19h00. Annie Vermandele, chef de sûreté urbaine, trépigne depuis quelques temps et peut enfin se lâcher : « Oui vous avez raison pour l’engorgement du central. Mais je vais vous dire : ils attendent deux trois heures à la sécu, à la CAF mais ne savent pas le faire au commissariat... ». Ricanements dans l’assemblée…
Le flashball tu dégaineras
19h25. À la question d’un autre élu qui s’inquiète de la défiance croissante des jeunes à l’égard de la police, Guillaume Dederen dégaine : « Oui, enfin… ce ne sont pas non plus des anarchistes qui veulent la destruction de l’Etat ! » Puis sort l’artillerie lourde face à une prétendue hausse des plaintes contre la police : « À cet égard, et comme nous sommes entre nous [sic], je vous le dis : sans remonter à Mai 68 – ça ne m’intéresse pas, je n’étais pas né – la police est victime depuis une bonne dizaine d’années de campagnes de stigmatisation, notamment dans la presse. »
L’énarque était-il énervé contre ce rapport accablant d’Amnesty sur la police française, publié trois jours auparavant [2] ? Les accusations portées par l’organisation de défense des droits de l’homme sont sans appel : les violences policières restent trop souvent impunies en France, les plaintes traînent et aboutissent rarement. Le dossier parle même de « policiers au-dessus des lois ». 46 pages, photos à l’appui de cas concernant aussi bien des sans-papiers en situation irrégulière que des gens contrôlés dans la rue. A quand un Grenelle des bavures ?
[1] Sur le site du ministère de l’intérieur [[http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_la_une/toute_l_actualite/securite-interieure/forums-securite-liberte
[2] Rapport complet sur le site internet d’Amnesty International.