Mi-policier mi-citoyen, équipés d’une carte professionnelle et d’un insigne, comme des flics, ils traînent dans les quartiers, arpentent les commerces, et s’inscrustent même dans les écoles. Ces « volontaires de la police nationale » n’ont pas de formation ni de rémunération, mais disposent d’un super pouvoir de délation. La Brique s’est infiltrée incognito au comico pour rencontrer le responsable de ce dispositif qui pose la sécurité comme un devoir « républicain ».
En 2003, les « citoyens relais » font leur apparition à Douai. Sous couvert de promotion d’un « esprit civique », Jackie Maréchal, alors commissaire divisionnaire, lance l’idée de recruter des bénévoles qui pourront épauler et renseigner les services de police. Il souhaite « faire des citoyens passifs (consommateurs de sécurité) des citoyens actifs » afin de lutter contre les « incivilités » etc. Une visée politique qui inscrit et circonscrit l’individu à un rôle de surveillance et de flicage permament. Un bel avant goût de 1984. L’idée a fait son chemin jusque dans les ministères, et depuis, les « citoyens volontaires de la police nationale » garnissent peu à peu les effectifs des commissariats. Le Nord compterait 150 de ces citoyen-nes zélés déguisés en civil. Ils seraient 7 ou 8 sur Armentières, 5 ou 6 sur Dunkerque, une dizaine à Lille. Leur nombre devrait grandir dans le cadre du « plan banlieue ». A vos détecteurs.
Gardien de la plèbe
Au central de Lille sud, je me fais passer pour une personne souhaitant devenir « volontaire ». Je suis reçu par un responsable du dispositif, un commissaire à la retraite. Il travaille sur plusieurs villes du département, dont Lille, Roubaix, Tourcoing, Dunkerque. Le citoyen volontaire a « un statut de collaborateur occasionnel et bénévole de l’Etat » ; pour être recruté « il n’y a pas de grandes conditions » explique l’ancien flic. Il faut avoir plus de 17 ans, un casier vierge, on peut ne pas être de nationalité française. Le reste repose sur le « bon sens » et « des garanties de moralité » - soit la pleine subjectivité - du commissaire qui supervise ça seul ou avec un collègue. « L’intérêt c’est d’avoir des gens qui sont extrêmement divers », un réseau de « bénévoles sur le même schéma que les militants associatifs ». Il balaye toute qualification de « milice », occultant que les membres de ces groupes « parapoliciers » peuvent « dénoncer des faits de manière anonyme » [1]. Rien n’est dit sur les risques de conflits d’intérêt non plus, on s’en serait douté. Il semblerait que ces bénévoles réalisent aujourd’hui avant tout des missions que la police ne sait pas ou ne veut pas faire : prévention, médiation [2], accueil, suivi, assistance. Mais derrière un discours sur la réconciliation entre population et flics se cache une réalité sécuritaire glaçante : le citoyen volontaire porte constament son masque de « personne ordinaire ». Une confusion des rôles qui fait exploser la sphère privée et permet une intrusion policière de plus. A défaut de rapprocher police et populace, ce dispositif rapprochera au moins keufs et cafteurs. Et le moment venu il n’y aura plus qu’à leur enfiler l’uniforme.
Des bénévoles, c’est tout bénef’
Le commissaire parle de sa profession pour justifier le recours aux volontaires : « Les gens qui viennent à la police, c’est toujours un petit peu difficile [...] on reçoit, on écoute, et après on n’a plus de contact parce qu’on n’a plus besoin de les voir. » Il précise que « la compassion auprès des victimes, ce n’est pas extraordinaire » et qu’il est question de former les « volontaires » au regard des différentes insuffisances de sa profession. Et au fil de la discussion, l’inconsistance se fait flagrante : « c’est pas très au point » lâche t-il. En fait la formation se résume à « faire un tour du commissariat » pour rencontrer les collègues et à discuter quelques heures... avec lui. Une économie de temps, d’argent... et de réflexion. Il préfère valoriser les « compétences » des volontaires... Puis il défend, obstiné sur sa propagande : « Il ne s’agit pas de mettre des bénévoles à la place de gens rémunérés ». Je comprends malgré ses détours qu’embaucher gratis est la réponse pour palier les carences de la police. Un choix politique qui élude toute remise en question de son organisation, de son fonctionnement, de ses missions. Ou comment se donner les moyens de revendiquer une approche de terrain quand on ne met plus un pied dans un quartier... « des particuliers comme vous, les gens les accueillent parce que vous n’êtes pas policiers, que vous prenez le temps de l’écoute » glisse t-il. Un autre avantage de l’utilisation du « pékin lambda » : éviter aux flics de prendre les caillasses des trublions allergiques au bleu.
L’homme est un flic pour l’homme
Pour défendre Besson - ministre de l’immigration - qui vient de faire passer une loi sur la dénonciation des passeurs de sans pap’, le porte flingue de l’ultradroite Frédéric Lefebvre affirme au mois de février que la délation est « un devoir républicain ». Ces dispositifs « citoyens » participent de l’actualisation des concepts de citoyenneté et de civisme distillés par les pouvoirs publics [3]]]. Cela afin d’instaurer des « modèles » d’identification et de formatage. Ainsi, délation et surveillance sont érigées en vertus, les délateurs sont placés au rang de citoyens exemplaires, accomplissant un « acte civique » au coté d’une police toujours plus insidieuse.
Antoine Roquentin
Publié en avril 2009A voir ici les "Volontaires pour la sécurité "