"Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ; elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique."
Guy Debord
Ami lecteur, amie lectrice, tu es en train, sans même t’en apercevoir, de passer du côté obscur et sauvage de la résistance. Oui, sache qu’en ouvrant ces pages, en lisant des bouquins subversifs ou participant à des manifs ou des AG, en te rebellant, tu deviens un contestataire et donc oui ... un dangereux terroriste.
Une vieille histoire
Certain-es ont pu découvrir avec le spectacle de la Division Nationale Anti-Terroriste déboulant dans le village des supposés saboteurs SNCF, et les inculpations et incarcérations qui s’en sont suivies, comment la justice d’Etat peut être démesurée et politique.
D’autres n’ont pas attendu pour en faire les frais. On peut penser à Isa, incarcérée de janvier 2008 à janvier 2009 car son ADN correspondrait à l’un de ceux retrouvés sur des bouteilles d’essence placées sous une voiture de flics un jour de mai 2007. Juan et Damien sont encore en prison pour les mêmes accusations. Tous les trois sont sous mandat de dépôt criminel dans le cadre d’une instruction anti-terroriste.
Et pourtant, l’anti-terrorisme n’est pas nouveau. C’est même, selon certain-es, une forme de gouvernement où tout est bon pour alimenter les peurs d’un pouvoir en recherche de coupat-bles. Car l’anti-terrorisme repose sur la peur. Créer l’ennemi, le penser, le matérialiser fait partie d’un combat idéologique. Et c’est pas nouveau.
Nous récoltons ce qu’ils ont semé
Les plus ancien-nes se souviennent du Service d’Action Civique ou de la paranoïa d’un Marcellin, ministre de l’Intérieur dans les années 70, qui voyait des complots subversifs partout. De Giscard, qui créa le plan Vigipirate en 1978 [1]. Celles et ceux du début du mitterrandisme peuvent se remémorer les moments où l’on plaça des armes chez des « terroristes irlandais ». C’est en 1986 (suite aux attentats commis à Paris), sous la cohabitation Chirac/Mitterrand, que fut officialisée la centralisation des enquêtes dirigées par des magistrats spécialisés dans l’anti-terrorisme. La gauche se gardera bien d’abroger ces lois liberticides. Le 11 septembre 2001 accélère les choses. Loi de sécurité quotidienne (nov. 2001, D. Vaillant), multiplication des délits susceptibles de passer sous la qualification terroriste, loi Perben, renforcement des moyens mis à disposition de la police et assimilation terroriste des violences urbaines (loi antiterroriste, N. Sarkozy, déc. 2005).
Et maintenant ?
L’insistance de l’actuelle Ministre de l’Intérieur sur l’ultra-gauche, ses mouvances et autres nébuleuses sent le réchauffé. Pour reprendre les mots d’un des neuf de Tarnac : « Qui s’étonne de tout ça ? Franchement ? »
Si beaucoup de monde ne s’étonne pas, c’est justement que les gens se sont habitués, il faut croire, à l’omniprésence policière, à ces militaires fusil à la main qui occupent les gares, à ces lois d’exception qui deviennent banales, aux gardes à vue qui se multiplient et aux prisons qui explosent. Et on peut se demander qui fait peur à qui ou qui terrorise qui ?
Enfin, il ne faudrait pas non plus oublier que ce message est avant tout destiné à ceux et celles qui, de près ou de loin, pourraient s’y reconnaître. C’est même là l’essence de la propagande d’Etat : vous faire peur, vous faire réfléchir à deux fois avant de tenter une quelconque action (directe). L’anti-terrorisme se base sur le préventif : « Frapper avant de se faire frapper », d’où la suspicion, la surveillance, le fichage, les garde à vue prolongées et la détention provisoire [2]. Depuis 1996 et la naissance du délit « association de malfaiteurs dans une entreprise terroriste », tout devient possible©, et surtout l’amalgame, quand des supposés émeutiers se retrouvent avec de supposés terroristes, quand être dans le répertoire d’un présumé coupable fait de vous un suspect. Car ami lecteur, amie lectrice, tu n’es plus supposé innocent-e, mais bien présumé-e coupable.
C.G.
Article publié dans le numéro 12 - février 2009