Violette Spillebout contre le droit de la presse

Violette Spillebout est une bouchèreLa députée du Nord Violette Spillebout instrumentalise les « violences contre les élus » pour faire passer une loi qui sert avant tout son intérêt personnel, et attaque le droit de la presse au passage. Découvrant la réaction de l’intersyndicale des journalistes, elle se rétracte partiellement. Mais l’intérêt de l’ancienne candidate à la mairie de Lille ne s'arrête pas à un alinéa. Décryptage.

 

Le 7 février 2024, les syndicats de journalistes découvrent avec stupeur le vote de l’Assemblée Nationale sur une proposition de loi visant à réprimer plus sévèrement les auteur·ices de violences contre les élu·es (maires, députées, conseillers municipaux...). En cause, l’article 2bis qui veut modifier la loi de 1881 sur la liberté de la presse, en rallongeant le délai de prescription pour diffamation de 3 mois (actuellement) à 12 mois... mais seulement pour les élu·es !

Pas des élus, des sur-citoyens

Déjà votée au Sénat en octobre dernier, cette loi vient d’un sénateur des Républicains (ex-RPR). Côté Assemblée, elle est portée par Violette Spillebout qui fait de la protection des élu·es son cheval de bataille au Palais Bourbon.

Parmi les joyeusetés que contient cette loi initialement :

• 7 à 10 ans de prison pour violence contre élu·e ou proches, en cas d’ITT de plus de 8 jours, mais ça concerne aussi (par amendement de l’Assemblée) les ancien·nes élu·es. C’est donc un alignement avec la protection des forces de l’ordre – qui se font régulièrement casser le bout des ongles en manif.

• des TIG pour compléter les peines en cas d’injure publique / diffamation

• jusqu’à 3 ans de prison et 45.000€ d’amende pour harcèlement moral contre les élus

• délai de prescription pour injure publique ou diffamation contre élus ou candidats porté à un an (contre 3 mois aujourd’hui, et pour le reste de la population) (amendement du Sénat qui modifie la loi de 1881 sur la liberté de la presse)

• l’octroi automatique de la protection fonctionnelle pour les élu·es municipaux·ales (donc que les frais juridiques)

L’assemblée a ajouté au texte la protection des candidat·es à des élections et les proches des élus·es. Un autre amendement, porté par la députée Renaissance, voudrait élargir la protection fonctionnelle aux anciens élu.es. Lors d’une commission à l’Assemblée, elle dit : « Je souhaite explicitement inscrire dans la loi que ces sanctions aggravées s’appliquent également lorsque la victime est un proche d’un candidat à une élection, qu’il s’agisse de ses enfants, de ses parents, de ses conjoints notamment ».

Quoi qu’en dise Violette Spillebout, qui pense que son verbe peut défaire les dynamiques discriminantes de l’appareil législatif, cette loi veut créer des privilèges pour les élu·es. C’est déjà le cas pour les flics et les militaires : Avec cette nouvelle loi, une minorité de la population bénéficie ainsi d’une meilleure « sécurité » juridique que la majorité (1).

Les syndicats recadrent
Spillebout qui recadre la loi

Mais cette sécurité est intéressante, car elle concerne donc aussi la diffamation avec le fameux article 2bis. « C’est encore une fois la liberté d’informer qu’on bâillonne », nous dit le communiqué du 7 février de l’intersyndicale des journalistes (2). « Ce rallongement du délai de prescription mettrait une épée de Damoclès sur le traitement de l’actualité politique avec le risque de voir, durant un an, un élu ou un candidat s’en prendre à un ou une journaliste ou à un éditeur de presse si la suite de son mandat venait à subir les conséquences d’informations délivrée par un organe de presse. C’est aussi une pression financière supplémentaire mise sur les éditeurs, journalistes et organisations de défense de la profession avec un risque d’inflation des procédures et de leur coût. »

Violette Spillebout est une bouchère

Suite à la publication de ce communiqué, la députée a invité les syndicats à une audition, dans laquelle ils ont pu défendre l’intérêt de la loi de 1881. La députée se défend : « en votant au Sénat et à l’Assemblée l’article 2bis sur l’allongement du délai de prescription de 3 mois à un 1 an pour la diffamation, nous voulions agir contre les injures et propos diffamants en ligne à l’encontre des élus locaux. Et absolument pas pour limiter la liberté de la presse ! » Promesse de l’élue, elle portera le retrait de l’article 2bis lors de la commission mixte paritaire (CMP) (3) qui s’est tenue le 27 février.

Après un peu de résistance des sénateurs, la « CMP » retire cet article 2bis. La presse est sauve, et l’honneur de Violette Spillebout aussi : elle a consulté les corps intermédiaires, elle prend en compte l’avis des autres. Même si elle n’a pas fait ça sur le reste de la loi. De la bonne foi de la part de notre députée, ça fait longtemps qu’on n’en attend plus à La Brique.

Conflit d’intérêt 
et mensonge éhonté

Ce n’est pas la première fois que Violette Spillebout utilise des institutions dans son intérêt propre. En 2020, elle a porté plainte pour harcèlement contre Médiacités Lille qui enquêtait sur des soupçons de chantage éventuel pouvant avoir des conséquences sur l’issue du scrutin des élections municipales de 2020. Le tribunal de Lille, en première instance, a reconnu une « procédure-bâillon » contre le média en ligne. Les faits de harcèlement qu’elle soulève ne sont pas caractérisés (même pas un peu).

Interpellée sur ce sujet par un député La France Insoumise dans la commission à l’Assemblée sur les violences contre les élu·es, elle résume ainsi l’affaire : « Vous parlez de la menace de diffusion de photos pornographiques me concernant pendant la campagne municipale de Lille, puisque c’est cela l’objet dont vous parlez. (…) Je suis une femme, on me menace de diffuser et on recherche dans toute la ville dans laquelle je fais campagne, des photos pornographiques de moi avec diverses personnes qui n’existent pas et qui créent la rumeur. » L’été dernier, la justice a invalidé ces faits : personne avant elle n’a parlé de photos pornographiques. Il n’y a ni menace, ni rumeur caractérisée. Mais Spillebout persiste et agite le drapeau violet du féminisme, se pensant protégée par le fait qu’elle fait appel de la décision du tribunal. Et que justice « fasse son travail » !

Le procès en appel : Spillebout s’enfonce

Le 30 mai 2024, La Brique s’est rendue au procès en appel pour harcèlement opposant Violette Spillebout à Médiacités, en la personne de son directeur de publication. En première instance, le harcèlement soulevé avait été définitivement écarté, le tribunal de Lille reconnaissant la démarche journalistique légitime de Médiacités sur une personne candidate. Le procès en appel concerne plutôt l’atteinte aux « intérêts civils » de Mme Spillebout. Elle n’est pas présente, mais son avocat demande une condamnation à 1€ symbolique « pour que son comportement qui a duré 3 mois ne se reproduise plus ». Par comportement, il veut dire le « harcèlement » (précédemment écarté, redisons-le), donc il souhaite que la justice ordonne à Médiacités de cesser d'enquêter sur les Spillebout. Bref, Violette Spillebout s’enfonce dans la procédure-bâillon. Et en même temps cette requête avoue la faiblesse de la plainte de la députée : quand on est sûr de son coup, on ne demande pas un euro symbolique.

De son côté, l’avocat de Médiacités rétorque en affirmant qu’on veut faire taire ce média, même s’il est irréprochable : « 35 procédures judiciaires, aucune condamnation ! » En plus de la peine prononcée contre Violette Spillebout énoncée en première instance (6000€ + 3784,50€ de frais de justice), l’avocat demande 4000€ supplémentaires et 3600€ de frais de justice.

Délibéré le 29 août à 9h. Et en attendant, à lire : les articles de Médiacités sur le couple Spillebout.

 

Cette « rumeur » n’existerait pas publiquement si Violette Spillebout n’avait pas porté plainte contre Médiacités Lille. L’émotion qui l’a traversée à l’audience, dûment relevée par la justice qui a montré prendre au sérieux les accusations de harcèlement, et, de surcroît, à l’encontre d’une femme, vient peut-être de la triste réalité que les faits ne sont pas au rendez-vous. Lors de cette action en justice, elle n’a pas bénéficié de la protection fonctionnelle en tant que candidate, car la loi qu’elle propose elle-même aujourd’hui octroyant ce droit n’existait pas.

Pas arrêtée par des parpaings

Violette Spillebout a particulièrement été choquée quand un petit muret de parpaings a été érigé symboliquement devant son logement par des grévistes de (opposant.es à) la réforme des retraites au printemps 2023. Alors qu’elle était porte-parole du groupe Renaissance à l’AN, elle faisait le tour des plateaux pour justifier l’une des lois les plus injustes, injustifiées et controversées des dernières années.

Apprenant que sa maison était « menacée » aux aurores, elle se plaignait à midi que sa fille de 18 ans, avec tout le vocabulaire de la vulnérabilité qui va avec, était à l’intérieur de son logement. Mais cette jeune femme n’a fait l’objet d’aucune menace personnelle (4). Avec la nouvelle loi dont elle est à l’initiative, la famille Spillebout pourra porter plainte pour violence-envers-proche-d’élue si ça se reproduit.

Face à ses nombreux échecs dans la distorsion de la réalité, et après avoir instrumentalisé la justice et le féminisme pour tenter de faire taire un journaliste, Violette Spillebout utilise aujourd’hui la loi. Sa proposition : créer une justice à deux vitesses en faveur des élu·es et ancien·nes élu·es et leurs proches. Mais ceux qui représentent une partie très minoritaire de la population, âgée, bourgeoise, masculine (seulement 1.000 maires sur 35.000 sont des femmes). De quoi éloigner encore plus la population du pouvoir politique. À la « crise des institutions » que nous traversons, la Macronie ne sait répondre qu’avec de la répression. Justice sévère et police violente, l’avenir est tracé.

Ludovico Missaria

 

1. Nombre de mandats électifs : 618.000 (données IFRAP, 2015). Nombre moyen d'enfants par famille : 1,9 (Statista, 2020). Taille moyenne des ménages : 2,2 (Insee, 2017).

2. SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes et SGJ-FO

3. Commission avec des sénateurs et des députés de chaque groupe politique pour trouver un consensus sur une proposition de loi à faire voter ensuite par les deux assemblées.

4. Sur les plateaux, à l’époque, elle affirme entendre « Tout le monde déteste les Spillebout » dans une vidéo de L’Offensive (mouvement local pour le municipalisme libertaire) : une manière de dire que sa famille est persécutée. Nous entendons sans équivoque « Tout le monde déteste Violette Spillebout ». Mais elle n’a pas tort : une syllabe en moins, dans ce genre de slogans, ça aide à scander correctement sans bafouilles.

 

Quand Spillebout enregistrait illégalement pour préparer son procès

Le 4 juillet 2023, le tribunal de Lille reconnaît que Violette Spillebout a enregistré « frauduleusement » le directeur de Médiacités Lille. Mais c’est pas ça dont il est question dans ce procès, donc passons à autre chose. Attendez une minute... Une politicienne enregistre en douce un journaliste et donne l'audio à la police... qui l'exploite alors que c'est illégal ? Police, justice, législation : la députée sait user de tous les « pouvoirs » pour arriver à ses fins. Heureusement qu'il reste une presse indépendante pour ne pas lui servir la soupe.

Elle aurait fait ça parce que le directeur de publication de Médiacités est « fourbe », disait-elle à la police. Le média se garde de porter plainte pour captation illicite de paroles privées. Mais les frais de justice, ça coûte, alors La Brique vous recommande vivement de vous abonner à Médiacités pour soutenir la presse libre !

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