Réponse à Violette Spillebout

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         Madame Spillebout,

 

     Nous avons appris la sortie en janvier 2024 de votre bouquin L’autre mur - Vade-mecum pour une république en paix et nous nous délectons de votre écriture. Sa lecture est cependant longue et difficile tant il y a de choses à analyser sur votre trajectoire. Notre volonté, Madame, est de comprendre ce qui vous afflige et vous guide dans votre démarche, tenter de comprendre votre état d’esprit. C’est dans cette perspective que nous rédigeons les articles qui vous concernent. Assurément, vous êtes devenue une femme politique incontournable à la carrière impressionnante, surtout lorsqu’on voit quelle énergie vous déployez pour vous maintenir.

     Ceci dit, un élément nous concernant nous a quelque peu étonné. Vous semblez affirmer que La Brique aurait été pilotée par la Mairie de Lille sur notre article concernant votre ancienne maison secondaire à Miami. Vous dites : « Il devient pourtant une mini-affaire lorsqu’un fanzine d’extrême gauche sort un article, et c’est là que nous allons en revenir au Beffroi : cet article était largement nourri de documents internes de la Mairie de Lille ». Vous continuez : « pour discréditer les adversaires, des politiques n’hésitent pas à constituer un "cabinet noir" , plus ou moins structuré, dont le seul but est d’élaborer, dans l’antichambre du monde politique, des coups fourrés. »

     D’abord, malgré tout le bien que nous pensons de cette forme d’expression populaire, libre et spontanée, nous ne sommes pas un fanzine. Nous sommes un « journal local de critique sociale » (c’est écrit dessus), avec dépôt légal à la Bibliothèque Nationale de France pour chaque numéro que nous publions. Certes, nous ne sommes pas salarié.es pour cette activité, ni détenteur·rices de cartes de presse, mais nous travaillons nos articles avec soin pour éditer ce journal depuis 17 ans, fait rare pour ce type de « fanzine ».

     Depuis 2007, donc, nous tenons des réunions hebdomadaires, nous écrivons à des heures indues mais avec exigence, nos articles sont ensuite illustrés avec talent et nous les maquettons nous-même sur logiciel libre. Ne pas nous considérer comme un journal, on la connaît bien la chanson, entonnée par nombre d’élu·es, agents du pouvoir local ou ambitieux·ses de tous bords, pour discréditer notre légitimité à informer et à questionner les postures et déclarations de nos dirigeant·es.

     On vous connaît depuis longtemps. C’est vrai que vos vernissages étaient probablement les meilleurs de Lille, une partie de notre rédaction garde de superbes souvenirs de ces buffets. Nous y avons appris ce que nous savions déjà : nous ne sommes pas du même monde, Madame. Contrairement à votre mari, nous n’avons pas bénéficié de subventions et notre financement est entièrement issu de notre lectorat. À ce titre, nos lecteur·rices ont le droit d’avoir accès à une presse libre et indépendante. Avez-vous remarqué que dans élire, il y a lire ? Vous vous êtes essayée à la prose vous-même, nous pensons néanmoins que vos électeur·rices en apprendront plus en lisant nos pages que les vôtres.

     Nos informations, nous allons les chercher où elles se trouvent. Nous enquêtons avec nos moyens, nous posons des questions, nous interrogeons les faits et parfois nous dénichons quelques vérités qui embarrassent. Nous croisons les sources le plus possible et restons prudent·es, pour ne pas dire circonspect·es, vis-à-vis de ce qui est dit, que ça soit en public ou en privé. Nous n’acceptons jamais ce qui est dit pour argent comptant.

     Pour la maison à Miami, on ne vous dira pas qui, mais nos sources n’en avaient que vaguement entendu parler. Google a fait le reste, c’était facile. On appelle ça de l’enquête en source ouverte, il suffit de savoir où chercher et d’avoir un peu de chance. À Fives, dans le quartier où votre mari avait installé sa Maison de la Photographie, 31 % des habitant·es vivent sous le seuil de pauvreté, deux fois plus que dans le reste du pays (INSEE 2020). Imaginez nos gueules blafardes quand on a appris que vous vous étiez payé une vieille baraque à Miami, entre dégoût et incrédulité. On a juste eu vent de ça avant d’autres, la « primeur de l’info » en quelque sorte. Ne croyez pas que ça allait rester secret éternellement.


     L’enquête pour connaître l’étendue des subventions versées à la Maison de la Photographie ne fut pas facilitée, ni par la mairie de Lille, ni par la MEL. Les fameux « documents internes » sont en fait publics. Mieux encore, leur publication est une obligation légale ! Pourtant, les données n’étaient pas entièrement publiées, ni facilement accessibles comme le prévoit la loi. Il a fallu contacter la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) pour recevoir un maigre tableau mal mis en forme.

     Madame, vous pensez qu’il existe un « cabinet noir » contre vous à Lille. Nous enquêtons sur toutes les possibilités et nous en parlerons si la chose est avérée, étayée par des preuves que nous jugerons suffisantes. Vous vous sentez injustement persécutée et vous en venez à penser et à sous-entendre que La Brique bosserait avec la Mairie de Lille. Non, mais ça ne va pas du tout ! Et là, cabinet noir ou pas, vous vous attaquez à la presse ainsi qu’à notre probité.

     Seriez-vous atteinte de complotisme comme nous serions atteints de wokisme ? Votre théorie de cabinet noir ne tient hélas pas la route. En effet, à aucun moment nous ne nous sommes compromis avec la mairie de Lille, et nous avons écrit des articles sans concession, autant sur la majorité municipale que sur vous ou d’autres personnalités politiques du coin. Il ne vous aura pas échappé que nous défendons des idées de gauche. À ce sujet, notre analyse de votre échec aux élections municipales de 2020 est bien différente de la vôtre : les habitant·es de Lille n’ont pas voulu d’une femme de droite pour les administrer.

     « L’autre mur » selon vous, « ce sont toutes ces menaces, récurrentes, mal reconnues, parfois honteuses ou invisibles, qui freinent l’engagement et pèsent sur le débat démocratique. » En lisant ces quelques lignes, on ne peut s’empêcher de penser à ces élu·es qu’on accuse d’être déconnecté·es des réalités. Vous êtes une privilégiée, madame. Avez-vous conscience du nombre de murs qu’ont franchi de nombreux·ses anonymes, juste pour exister, survivre, ne pas se faire happer par un système souvent dysfonctionnel, injuste et discriminant ? Des murs que vous participez à ériger avec cette vision autoritaire de la démocratie qui est la marque des macronistes.

     Nous, La Brique, ça nous connaît les murs ! Ceux des usines, des casernes, des prisons... les murs que nous tentons de déconstruire, ceux qui nous isolent et ceux qui étrécissent nos horizons, ceux que nous franchissons parfois, les murs inconscients et les murs tangibles, ceux derrière lesquels se jouent les drames de la pauvreté et de l’exclusion. Pourtant, nous ne sommes la brique d’aucun mur, nous sommes une brique en liberté : anarchistes ou communistes, gauchistes ou révolté·es, militant·es écolos et/ou LGBT, féministes, salarié·es de l’associatif, étudiant·es, fonctionnaires ou déserteur·ses de l’emploi précaire… nous travaillons sur notre temps libre à documenter le réel et à participer ainsi à votre cher « débat démocratique ».

     Un réel que vous (et votre parti) ne cessez d’abîmer un peu plus, par vos réformes, par vos actions en justice et même par vos seuls mots, écrasant un peu plus toutes celles et ceux qui galèrent déjà dans ce pays. En attaquant la presse comme vous le faites, en instrumentalisant les luttes sociales et les espaces de (contre-)pouvoir, en calomniant celles et ceux qui vous résistent, vous êtes décidément bien plus brutale que la « violence » que vous prétendez combattre. L’extrême gauche locale serait violente ? Prenez le temps, entre deux sessions parlementaires ou campagnes électorales, de dresser un miroir face à vous, face à Attal, à Darmanin, à Macron. Vous apercevrez le monde qui brûle derrière vos silhouettes enténébrées. Ce n’est pas notre papier-journal qui allume le feu, mais votre politique inconséquente, destructrice et jusqu’au-boutiste.

     Sans rancune ou presque,

Le collectif de La Brique       

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