À Pôle Emploi, la politique du chiffre au service de la radiation

66 08 Radiations

Depuis cinq ans, Emmanuel Macron s’attaque aux précaires, avec les personnes sans emploi dans sa ligne de mire. Après la réforme de l’assurance chômage, le gouvernement accroît le contrôle des chômeur.ses. À l’approche des élections présidentielles, son objectif est clair : radier pour enjoliver les chiffres du chômage et culpabiliser les chômeur.ses.

Malgré l’opposition des partenaires sociaux (même du MEDEF !) et du Conseil d’État, le gouvernement a fait passer sa réforme de l’assurance chômage le 31 octobre dernier : allongement de la durée d’affiliation pour ouvrir ou recharger ses droits au chômage (6 mois au lieu de 4), dégressivité des allocations et réduction de leur montant en prenant en compte les périodes non travaillées dans le calcul (malin!). Cette attaque en règle des personnes privées d’emploi se double depuis novembre d’une augmentation des contrôles, mettant sous pression les personnes privées d’emploi et les agent.es de Pôle Emploi.

Augmenter les radiations

Le 18 février 2022, Élisabeth Borne, ministre du Travail, annonce avec fierté que lors du dernier trimestre de 2021, Pôle Emploi enregistre 189 000 chômeur.ses de moins que lors des trois mois précédents, déclarant :

« Personne n’imaginait qu’on puisse avoir de tels résultats en sortant d’une des crises économiques les plus graves qu’on ait connues au cours des dernières décennies »1.

« Personne », vraiment ? Derrière ces chiffres ronflants se cache l’accentuation des contrôles voulue par Emmanuel Macron. En novembre dernier, il nous a ressorti le fameux mythe du « chômeur assisté » incapable de traverser la rue pour trouver du taf. Dans son allocution, il déclare ainsi que « les demandeurs d’emploi qui ne démontreront pas une recherche active verront leurs allocations suspendues ».

Ainsi, de 165 000 contrôles en 2016, on est passé à 500 000 en 2021. Résultat, rien qu’au quatrième trimestre 2021, on atteint le nombre record de 52 300 radiations (soit une augmentation de 44,9 % en un an!). Loin de débusquer des « assisté.es », ces contrôles ont pour objectif de pousser à la faute les demandeur.ses d’emploi.

Dynamiter les chômeur.ses

Le contrôle repose sur les agent.es de la DAC pour « Dynamisation par l’Accompagnement et le Contrôle » (sic). Ce service est chargé de l’envoi de questionnaires aux demandeur.ses d’emploi de longue durée et de l’automatisation des convocations dans les agences de Pôle Emploi. Pour Sylvain*, délégué du syndicat SNU Pôle Emploi, l’objectif est « clairement affiché : c’est du contrôle, c’est politique », il poursuit :

« Avant, quand une personne de la DAC te contactait, elle t’envoyait un questionnaire et tu devais justifier sur les 12 mois ce que t’avais fait. Maintenant, c’est 3 mois. C’est court ! Et quand elle t’envoie le questionnaire, ils t’appellent tout de suite, si tu ne réponds pas, ça fait partir un avertissement puis radiation. »

L’évolution du dispositif de contrôle se double d’un ciblage des chômeur.ses à remettre au travail ou à radier. Aujourd’hui, sur les 500 000 contrôles annuels, 60 % ciblent les métiers en tension2 et les sortant.es de formation, nous informe Sylvain :

« Les services de contrôle accentuent la politique du gouvernement, c’est faire la chasse aux sorcières, dans la restauration, là où c’est mal payé et où personne ne candidate. Tu vas arriver à des dérives, si la personne ne répond pas ou si tu ne justifies pas assez, ce sont des sanctions qui tombent automatiquement ».

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Des agent.es sous pression, des chômeur.ses sans allocs’

Le contrôle s’accompagne d’une convocation automatique auprès du conseiller ou de la conseillère de la personne privée d’emploi. En cas d’absence, la personne est avertie et a 21 jours pour se justifier avant la radiation, un délai très court pour Sylvain, qui poursuit :

« Le problème, c’est qu’il y en a qui ne répondent pas parce qu’ils ne sont pas au courant, parce qu’ils ne vont pas dans leur espace personnel, où se trouve également l’avertissement. Il n’y a que la radiation que tu reçois par courrier, et c’est trop tard. En sachant que si t’es radié, le département va le savoir et tu perds ton RSA ! »

Pour les personnes sans emploi, avec une absence justifiée, ce n’est pas toujours suffisant pour échapper à un avertissement puis à une radiation. Les agent.es de Pôle Emploi sont mis.es sous pression par la direction du fait de la multiplication des tâches (formations, premiers rendez-vous, ateliers, traitement des dossiers…). Iels ne peuvent pas toujours traiter à temps les absences des personnes suivies, comme nous informe Sylvain :

« On fait de la masse… Même si le conseiller voulait bien faire son travail, avec 250 à 500 personnes à suivre, il ne peut pas toujours s’occuper des courriers d’absences, t’as déjà trop de trucs à faire. Et ça, la direction le sait qu’avec la charge de travail des agents de Pôle Emploi, ils savent que des personnes vont se faire radier automatiquement. Le manque de moyens, de personnel… ça bénéficie au gouvernement. »

En outre, les marges de manœuvre des agent.es pour empêcher l’envoi d’avertissements et de radiations se sont réduites. Alors qu’auparavant, les directions de chaque agence avaient la main sur les radiations, depuis 2018, ce sont les directions territoriales qui prennent la décision, allongeant les délais avant de pouvoir enlever une sanction, se désole Sylvain :

« Même si la personne se justifie, ça prend un délai de malade pour enlever la sanction, parfois plus d’un mois. Et pendant ce laps de temps, t’as aucune allocation ! ».

Pour Francine Royon3, déléguée syndicale de la CGT Pôle Emploi Ile-de-France : « La politique d’Emmanuel Macron n’est pas que les personnes retrouvent un emploi, mais bien de réduire artificiellement les chiffres du chômage pour se vanter d’avoir un bilan en matière de chômage correct ». L’objectif poursuivi par Macron est de soigner son bilan, aux dépends des chômeur.ses, dont les menaces de suicide ne cessent d’augmenter, déplore Francine Royon : « le chiffre le plus alarmant de ce dossier, c’est une augmentation de 166 % des menaces de suicides des usagers, chiffre qui augmente depuis 2019 ».

Les agent.es de Pôle Emploi, sous pression, sont mis.es en porte-à-faux en rapport à leurs convictions professionnelles et politiques, « un vrai conflit de valeurs » nous informe un agent, qui poursuit, désabusé :

« Aujourd’hui, t’es submergé, tu subis les injonctions, la politique du chiffre, forcément, t’as la tête dans le guidon, donc quand tu convoques et que tu as un portefeuille de 250 personnes, ça part et tu ne fais pas attention… si la radiation est partie et que tu es mobilisé sur de la formation ou autre, tu ne verras pas la radiation. »

En parallèle, l’évolution du profil des agent.es remet en cause la perception du métier, et sa vocation d’accompagner les demandeur.ses d’emploi plutôt que de fliquer, commente un agent interrogé :

« Le nouveau profil de recrutement à Pôle Emploi, c’est plutôt le profil commercial, forcément, ils n’ont pas la même sensibilité. Pour eux, s’ils ont travaillé dans une banque, ils vont avoir le même rapport aux chômeurs clients. Alors que c’est pas la même chose. »

En accentuant les contrôles, Macron fait culpabiliser les chômeur.ses puis les radie, avec pour objectif affiché de produire des chiffres du chômage reluisants. Cette nouvelle attaque en règle s’inscrit dans la droite ligne de son quinquennat. Maintenant, on ne peut qu’espérer que Macron traverse la rue, sans regarder ni à droite, ni à gauche.

Texte par Pierre Bonnevalle

Dessin par Méduse

Cet article est extrait du Numéro 66 du Journal La Brique, publié le 11 avril 2022

* Le prénom a été modifié.

1. Le Monde, « À 7,4 %, le chômage au plus bas depuis 2008 », 18 février 2022.

2. Les métiers « sous tension » correspondent à des emplois peu rémunérés et pénibles, à l’instar de l’aide à domicile, l’hôtellerie-restauration, manutentionnaire ou encore du bâtiment.

3. Blast infos, « Réforme du chômage : un désastre pour les agents et les chômeurs », 12 février 2022.

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