Au printemps, La Brique revenait en détail sur l’occupation du théâtre Sébastopol. Pendant une centaine de jours, des intermittent.es, syndicats et soutiens ont occupé une centaine de théâtres en France pour revendiquer plus d'équité dans leurs conditions de travail et plus largement pour dénoncer la mauvaise gestion de la crise sanitaire. Malgré la réouverture, le naufrage continue...
Aucun grand média n'a fait de reportage sur cette crise du secteur culturel. Rue Valois à Paris, siège du ministère de la culture, Roselyne Bachelot ne joue plus la comédie : elle s'est murée dans le silence depuis plusieurs mois. La responsabilité de soutenir le secteur culturel appartient aux Directions Régionales des Affaires Culturelles (DRAC), qui mettent en place les plans de relance et sont les premières interlocutrices du secteur depuis le début de la crise sanitaire, il y a 17 mois. Si les pratiques culturelles reviennent à la normale, la crise a beaucoup touché le secteur artistique.
Apprendre à improviser
Depuis le début de la crise sanitaire, 17 mois en tout, le secteur culturel a dû apprendre à improviser : musées, cinémas, bibliothèques, salles de théâtre, et compagnies d'arts de la rue ont dû se plier aux règles sanitaires. En pratique, les jauges ont dû être réduites au risque de ne plus couvrir les frais et des sens de circulation ont été instaurés pour éviter les croisements. Un strict cahier des charges qui épuise les équipes artistiques. En septembre 2021, les programmations reprennent progressivement puis s'arrêtent de nouveau début novembre. Le secteur culturel essaye de faire un recours pour l’ouverture des lieux publics culturels. Le gouvernement refuse alors qu’il permet pourtant aux lieux de culte de rester ouverts pour Noël. Les salles de spectacles restent fermées au public mais ouvertes aux professionnel.le.s, le secteur continue à créer en espérant pouvoir montrer les œuvres pendant la saison estivale. Lors de l’occupation des théâtres, la crise sanitaire a révélé le fossé existant entre les mieux loti.es et les plus démuni.es dans le secteur du spectacle vivant. Si certain.e.s cumulent les proposions artistiques, pour beaucoup d’autres, l’espoir de remonter sur les planches est compromis. Beaucoup sont fatigué.es du stop and go, entre reprises et arrêt total. Depuis 17 mois, la crise sanitaire épure le secteur et beaucoup abandonnent la scène pour changer de situation professionnelle, épuisé.e.s et dégoûté.e.s. Fin mai, le déconfinement amène une petite satisfaction, le public retrouve le chemin des cinémas, musées et salles de spectacles et les festivals sont maintenus. Le secteur appréhende de nouvelles mesures gouvernementales et maintient le port des masques et les aménagements pour accueillir le public.
Tour de « pass pass »
Mi-juillet, en pleine torpeur estivale, le gouvernement instaure en une semaine le pass sanitaire. Les acteurs du secteur culturel ne sont pas consultés alors même que les effets du pass sont importants. En effet, en une semaine, il faut de nouveau tout réaménager. Par exemple, les festivals prévus et maintenus doivent recruter des bénévoles pour flasher les pass sanitaires. Les budgets liés à la sécurité augmentent pour installer des check points. Les files d’attente font déserter le public. La fréquentation retombe. Entre celles et ceux qui attendent leur première ou deuxième injection et le délai de validation du pass, il faut un bon mois avant qu’une grosse partie de la population puisse retourner dans les lieux culturels. Pour les autres qui ne veulent pas se faire vacciner ou qui sont contre le pass sanitaire, de nombreux lieux sont interdits d'accès.
Les DRAC essayent tant bien que mal de maintenir les projets et d'aider les compagnies et les structures. Les plans de relance et les aides aux projets et fonctionnement permettent de maintenir le statuu quo. Les DRAC restent attentives aux remontées des problématiques liées à la crise. Les services de Pôle Emploi spectacle vivant sont des interlocuteurs présents et actifs même si chaque cas nécessite des calculs différents pour le maintien des statuts d’intermittence.
Ouroboros ou le serpent qui se mord la queue
Outre les conséquences économiques, le secteur culturel est divisé. Si les grosses structures culturelles comme l’UGC, le Théâtre du Nord, les scènes nationales de la métropole lilloises, le musée des Beaux Arts bénéficient de beaucoup d’aides, la vie associative culturelle est sévèrement touchée. Les petites compagnies qui galéraientdéjà avant la crise sanitaire sont abandonnées par un pays qui porte haut et fort la création artistique et l’éducation culturelle depuis les années 50 avec un ministère dédié exclusivement à la culture. Or, la crise sanitaire a levé le voile sur les conditions de travail laborieuses (burn-out des chargé.es d’administration, copinages et bizutages dans les structures culturelles…) sans oublier le statut des intermittent.es mis à mal depuis des années. Les structures culturelles, les compagnies et festivals sont dépendants des institutions qui leur procurent subventions et aides à la création. Le serpent se mord la queue, et la culture devient le parfait exemple d’un monde libéral. Le pass sanitaire révèle que la culture est pour un certain public (blanc, dans les hyper centres, plutôt âgé ou des scolaires). Les territoires ruraux où la fréquentation était déjà faible avant la crise doivent restreindre l’accès aux spectacles.
Le pass sanitaire oblige les compagnies et les structures à contrôler le statut vaccinal du public en bafouant le secret médical. Pour toutes ces raisons éthiques, la compagnie roubaisienne Detournoyment (spectacles d’arts de rue) et le Théâtre de l’Ordinaire à Vieille-Église (dans le Pas-de-Calais) ont décidé d’annuler leurs représentations en août, une façon pour eux de clamer leur mécontentement. Décisions lourdes de conséquences mais nécessaires et indispensables.
Jument Zinzin
dessin : Je signe ici ?