La lutte passe à l'Offensive

offensive

Une nouvelle organisation est en train d'émerger à Lille. Son objectif : faire reculer le capitalisme et supplanter l’État, pas moins que ça. Son nom: l'Offensive. Enième utopie unitaire ou solide fédération émancipatrice ? La Brique a rencontré les personnes à l'initiative du projet.

En plein mois d’août, plus d'une centaine de collectifs militants a reçu par mail un mystérieux appel à « bâtir [un] monde nouveau et renforcer chaque jour un peu plus les rapports de force qui nous permettront de reprendre le contrôle de nos vies et de stopper l'écocide en cours ». Le texte1, dense, fait le constat des crises écologique, sociale, économique et démocratique et celui des caractères discriminant, raciste et sexiste de la société. Presque tout l’imaginaire autogestionnaire y est mobilisé. Partagé.es entre scepticisme et enthousiasme, on a voulu savoir qui se cachait derrière cet appel grandiloquent.

Fédérer les luttes

À La Brique comme ailleurs, les confinements ont mis à rude épreuve la capacité à se mobiliser. En réponse, de nouveaux mouvements se sont créés. C'est le cas des Brigades de Solidarité Populaire (BSP) qui voient le jour pendant le premier confinement en Italie, à Milan. Très vite, des brigades se forment partout en Europe et dans plusieurs villes françaises. Ce réseau organise des collectes, des maraudes et assure la distribution de masques, gel hydroalcoolique et colis alimentaires. Leur volonté est d'organiser une solidarité populaire autonome et directe2. Au sein de la BSP lilloise, des militant.es, dont certain.es issu.es du mouvement antifasciste, réfléchissent à une nouvelle manière de faire converger les luttes. Pendant un an, des liens se tissent avec d'autres brigades (Nantes, Paris, Marseille, Bayonne) ainsi qu'avec les mouvements "Rejoignons-nous", "PEPS" (Pour une Écologie Populaire et Sociale) ou "Se fédérer"3.

Ces militant.es font le constat de l'échec des mobilisations sociales de ces vingt dernières années et du recul permanent face aux agressions néo-libérales. Les initiatives (assos, collectifs, médias, lieux autogérés, groupes politiques) leur semblent trop cloisonnées, malgré des objectifs communs.

Écologie sociale et municipalisme libertaire

Après le constat vient l'objectif, annoncé dans l'appel : « bâtir un programme politique et proposer un mode de décision différent ». Murray Bookchin, théoricien américain de « l'écologie sociale » est directement cité dans ce texte. Pour lui, les problèmes environnementaux ne pourraient être résolus sans un profond changement sociétal, radical et anticapitaliste. L'organisation qu'il propose est celle du « municipalisme libertaire » par lequel l’État serait remplacé par une confédération de communes libres et autogérées. L'Offensive s'en réclame et prend en exemple le Rojava, région de Syrie où les rebelles kurdes ont organisé une société sur ces principes. Plus proche de nous, les travaux de Bookchin ont inspiré les gilets jaunes de Commercy et leur première « assemblée des assemblées ». L'Offensive dit également s’inspirer de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et d’autres expériences autogestionnaires dans le Larzac ou ailleurs.

A l’instar de PEPS, l’Offensive met donc la lutte contre l’écocide au centre. Cependant, elle se distinguerait des autres mouvements « fédérateurs des luttes » par son absence totale de lien avec les partis politiques et par une construction de l'organisation plus avancée. L'objectif est d'essaimer vite et bien dans un maximum de villes, pour agir au niveau local puis national.

Pour les personnes à l'initiative du projet, le militantisme serait trop souvent construit en opposition au gouvernement. D'où le choix du nom, « l'Offensive » : le mouvement entend se réapproprier la lutte depuis la base plutôt que de se dresser en opposition à l'oppresseur. La volonté est de donner de la force aux mobilisations, reprendre des territoires, des espaces à l’État en les fédérant. Surtout, l'objectif est de créer des ponts entre toutes les personnes qui composent les différentes initiatives locales. Ainsi, l’Offensive veut sortir de l’entre-soi et élargir la sphère militante « classique » en fédérant des lieux de production (scop), des médias alternatifs, des lieux culturels, des associations sportives etc. Avec un objectif : donner des moyens concrets aux luttes et créer un contre-pouvoir incontournable dans le paysage politique.

Les groupes locaux constitués dans chaque ville formeraient des fédérations rassemblées en confédération au niveau national. À chaque niveau, le principe serait celui du vote « une personne = une voix ». Ce modèle interne à l'Offensive est aussi le « squelette de la société » censée se substituer à l’État. Un programme ambitieux, on vous le disait. Mais dans notre microcosme lillois, ça donnerait quoi ?

Le nerf de la lutte : une asso, des sous, un local

Lors de la réunion de présentation de l’Offensive à laquelle la Brique a participé, on a constaté que le projet paraissait bien abouti. Pas question ici de réfléchir aux grandes orientations politiques du mouvement. Elles sont déjà listées dans l’appel, sous forme de charte : écologie sociale, démocratie directe, féminisme, anti-racisme, anti-autoritarisme, ouverture et massification, fédéralisme, approche scientifique et rationalisme1. Ces « fondamentaux » sont censés faire consensus et servir de base idéologique. La forme de l'Offensive est elle aussi fixée, c'est une association à la présidence collégiale dont les statuts ont déjà été déposés. Sacrément bien ficelé pour un projet autogestionnaire penseront certain.es. Mais que les sceptiques se rassurent, l’Offensive nous l’affirme: « On a déposé les statuts de l’asso pour avancer vite. Ils sont très minimalistes et prévoient de pouvoir changer très facilement la première année. Le mode d'organisation sera discuté avec toutes celles et ceux intéressé.es et sera mis dans le règlement intérieur, qui lui reste à faire. »

La centaine de collectifs, assos et autres initiatives sont donc invitées à rejoindre le mouvement, sans redéfinir sa forme originale mais avec la possibilité de construire sa forme future. Un « meeting public » se tiendra le samedi 6 novembre dans l'auberge de jeunesse Stéphane Hessel à Lille. Ce moment sera celui de la « fondation de la confédération » qui pourrait inciter d’autres villes à créer leur groupe local.

À Lille, l'Offensive est déjà à la recherche d’un local relativement grand qui permettrait aux différentes luttes de mutualiser leurs forces et leurs moyens. Le lancement se fait en autofinancement des membres actuel.les. La suite sera assurée par les cotisations des adhérent.es qui alimenteront une caisse lilloise. Dans ce local, des activités seraient proposées. Pêle-mêle, on nous parle de conférences, de sessions de sports, d'AG de lutte, de formations, de stockage de matériel, d'actions sociales...

Petite Offensive deviendra grande ?

Le petit groupe qui peaufine ce projet depuis plus d'un an semble avoir tissé un réseau conséquent. À l’entendre, d’autres villes n'attendraient que le lancement de l'Offensive à Lille pour suivre l'exemple. Depuis 15 ans, La Brique en a vu passer des expériences unitaires : des convergences, des coordinations, des front unis et autres initiatives rassembleuses aussi déterminées qu'éphémères, bien souvent. Car même si l’union fait la force, il semblerait que plus on est et moins on est d’accord. Qu’elles soient d’ordre politique, syndicale, associative ou autonome aucune initiative n’a encore su sortir de l’entre-soi militant pour diffuser à large échelle et se renforcer avec le temps... jusqu’à présent. Alors, sans sombrer dans l’enthousiasme béat ni la critique facile, on ne peut que vous encourager à vous faire votre propre avis et vous promettre de vous tenir au courant.

Camo et Brubru

1. L’appel et la charte sont à consulter sur www.offensive.eco

2. Sur la BSP lilloise, voir « Solidarités (re)naissantes », La Brique n°62

3. Ces trois mouvements, créés récemment, se proposent de fédérer les luttes localement pour aboutir à une nouvelle force politique.

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