Entre les innombrables groupes affinitaires, l’occupation sauvage des rond-points et la multiplication des A.G, la révolte des Gilets Jaunes s’organise de manière extrêmement mouvante dans la région. Cette recomposition permanente du mouvement peut apparaître comme une difficulté à sa structuration. Mais elle permet aussi de survivre aux différents conflits internes, à la répression et -plus généralement- à l’usure du temps.
Faire bloc dans l’adversité
En réunissant chaque mercredi (à 18h30 à la Bourse du Travail) des Gilets Jaunes présents depuis le 17 novembre, des militant.e.s (parfois tout aussi historiques !) de divers groupes et syndicats et de nouvelles têtes parfois très fraîchement débarquées, l’assemblée lilloise cherche à rester un lieu important de construction et d’union du mouvement. C’est ce petit paysage hétérogène où se rencontre des expériences de vies et de luttes parfois très différentes mais réunies par la volonté commune de ne pas se laisser faire qui fait toute la beauté de ce mouvement … Et qui donne envie de revenir.
Tour à tour relais d'informations, lieu de débat, de prise de décisions, plateforme de coordination de groupes affinitaires, l’assemblée tâtonne et cherche son rôle. Elle évolue et s’adapte en permanence aux gens qui la composent et aux autres formes d’organisation existantes, notamment sur les réseaux sociaux.
Politiser son quotidien
On y parle du dernier samedi de lutte et de répression. On y échange nos expériences, on esquisse des analyses et on se demande comment mobiliser et remobiliser. On y avance des solutions, on y organise le prochain blocage total du pays, on se demande accessoirement aussi parfois ce que foutent les syndicats. Régulièrement, on y raconte sa vie et ses galères et, en général, on arrive à s’écouter. Des idées sortent, des choses s’y organisent. Au fil du temps, on apprend à se connaître et à se comprendre, on se retrouve dans les manifs et les actions, on arrive à dépasser certains désaccords ou, au contraire, à en faire émerger de nouveaux… Ce qui n’est sans doute pas plus mal.
Malgré les difficultés à trouver un équilibre entre discussions et organisation des actions, les tensions existantes entre l’échelle locale et les différentes coordinations régionales et nationales2, entre l’agenda de la semaine et les perspectives à plus ou moins long terme, ou même à faire simplement respecter les prises de paroles de chacun.e, l’Assemblée Populaire trace son chemin. Et force est de constater que des gens sont là tous les mercredi !
Après 6 mois d’existence, - pour l’APL - il est toutefois désormais légitime de se poser la question de cette forme d’organisation qu’est « l’assemblée Générale » et de son intérêt pratique et politique, du moins dans sa forme actuelle. Pas certain en effet que les discussions à 50 personnes soient les plus propices à permettre à chacun.e de s’exprimer, à l’intelligence collective de se dégager, à des idées nouvelles d’émerger ou à des actions concrètes de s’organiser... L’APL n’est pas non plus parvenue à s’extraire complètement de ces conflits d’égos, de clans - ou de pouvoir ? - qui ont, il faut bien le dire, pas mal pesé sur le mouvement localement.
Tenir : « On est là ! » dit le slogan
Peut- être la difficulté éprouvée à prendre des décisions explique-t-elle que l’APL n’ait jamais vraiment réussi à s’imposer comme l’espace central du mouvement à Lille… Pas sûr en effet que « le format AG » ne limite pas les possibilités de faire émerger des perspectives communes.
Et d’un autre côté, le mouvement conserve, même à l’échelle locale, la multiplicité qui a fait sa force. Ces questions sont posées, tout le monde en a conscience. La forme de l’AG peut et doit évoluer sans cesse pour s’adapter au contexte et à nos objectifs. En six mois, nous prenons vite des habitudes, il faut savoir les perdre !
Quoiqu’il en soit, les personnes désormais mobilisées continueront à le faire et c’est là l’essentiel : « On est là ! » dit le slogan et c’est bien de ça dont il s’agit ! On est là et tou.tes ensemble nous prenons conscience de ce que ça rend possible. On rebâtit collectivement une existence politique dont nous demeurons persuadé.es que les perspectives ne tarderont pas à suivre.
On peut faire tous les reproches que l'on veut aux A.G. ou aux Gilets Jaunes, mais celles et ceux qui décident de laisser passer ce mouvement doivent assumer que ce qui se construit en ce moment ne disparaîtra pas de sitôt. Ni maintenant, ni cet été et ce, quel que soit l’état médiatique de la « mobilisation ».
Nous appelons toutes les personnes qui ne l’auraient pas encore fait à nous rejoindre. Dans le camp d’en face, on s’est déjà remis « en marche ». Les cibles sont connues : les retraites, la fonction publique, le chômage, la santé… Mais rien n’est écrit ! Qui aurait pu prévoir que nous en serions là en novembre dernier ? Les espaces politiques créés par les Gilets Jaunes sont précieux et il faudra savoir les renforcer et les défendre. Quand bien même le mouvement serait destiné à mourir, la lutte elle, engagée bien avant nous, ne s'éteindra jamais. Nous, on sera encore là !
Gilles et John
1. Voir le site https://aglillegj.noblogs.org
2. La prochaine AG régionale est prévue le 27 juin à Bergues. Toutes les infos sont sur le site https://gj-hdf.fr (ce site se veut d’ailleurs un outil de coordination, décidé en AG et alimenté directement par les groupes de la région).
3. L’Assemblée Populaire de Lille a participé, en envoyant des mandaté.e.s, aux deux premières « Assemblées des Assemblées » qui ont eu lieu à Commercy en Janvier et Saint Nazaire en Avril. La troisième aura lieu à Monceau les Mines du 28 au 30 juin.