Le 13 juin dernier, trois responsables des communautés Emmaüs de Saint-André-lez-Lille et de Nieppe, Anne Saingier, Pierre Duponchel, et Alexis Kotowski, comparaissaient devant le tribunal de Lille pour « travail dissimulé aggravé ». À ce motif se rajoute, pour Anne Saingier, une accusation de « harcèlement moral ». Un procès attendu pour la trentaine de compagnons sans-papiers de ces 2 communautés, en lutte depuis juillet dernier pour leur régularisation aux côtés des compagnons de la communauté de Grande-Synthe.
Une enquête pour « travail dissimulé » et « traite d’êtres humains » avait été ouverte par l’Office de lutte contre le travail illégal en juin 2023, à la suite de signalements et d’une première enquête parue dans le média en ligne StreetPress. Ce dernier motif n’a pas été retenu par les enquêteur·rices, au grand dam des compagnons.
Le soleil est clément le jeudi 13 juin au matin, où les compagnons ainsi que leurs soutiens (en premier lieu la CGT et le Comité des Sans-Papiers du Nord) se sont donné rendez-vous devant le tribunal de grande instance. Les compagnons ont ressortis les tambours qu’iels avaient laissés de côté ces dernières semaines suite à un engagement pris avec la préfecture du Nord, qui en retour avait lancé un lent processus de régularisation de toustes les compagnons grévistes. Face à elleux (surprise), une cinquantaine de bénévoles et salarié·es de différentes structures Emmaüs et du Relais (entreprise affiliée à Emmaüs), sont venu.es de toute la France pour soutenir leurs patrons. Une grande banderole « Merci la Halte Saint-Jean » semble comme protégée par la rangée de policier.es venu.es séparer les deux camps.
Midi, le soleil brille, et les sons s’opposent. D’un côté, le bruit des percussions. De l’autre, « Les lacs du Connemara », entonné à grande voix au milieu de ce qu’il reste de soutiens aux inculpé·es, déterminé·es à faire vivre une chenille humaine de bien triste fête. L’ambiance est étrange, mais pas tendue. C’est à qui lancera les premières hostilités. Un des responsables de la CGT du Nord s’avance : « Je vous demanderai de faire preuve d’humanité et de leur donner des oranges quand ils seront en prison ! » Rire général sur une partie de la place.
13 heures. Le procès commence une heure plus tard, mais on se prépare déjà à rentrer dans le tribunal. Les soutiens des 3 prévenus sont là. 14 heures, la file d’attente pour rentrer dans la salle d’audience est bien longue. Une fois toutes les personnes appelées pour le procès, il reste peu de place, même pour la presse. Des soutiens comme des journalistes, dépité·es, sortent rapidement rejoindre le rassemblement devant le tribunal. La Brique reste un moment à discuter avec l’ancienne médecin des compagnons de Saint-André-lez-Lille, Katherine Eichenholc1, et une voisine à elle. Elles auraient aimé rentrer témoigner de la « torture » qu’elles disent avoir subi à cause du bruit, utilisé par les grévistes comme moyen pour faire céder la direction. Après avoir essuyé quelques insultes à l’encontre des journalistes « qui ne cherchent pas à savoir ce [qu’elles] ont vécues », nous décidons de sortir.
15 heures. Les soutiens de la direction partent petit à petit, la plupart décidant d’aller boire un verre pour attendre la fin du procès. En les voyant partir, des étudiant·es venu·es soutenir les grévistes s’amusent et leur chantent : « Cassez-vous ! Cassez-vous ! » L’un d’elleux s’adresse à un salarié du Relais : « Esclavagiste ! ». Celui-ci répond, sans gène : « Et fier de l’être ! » Ahurissement général. Le reste de l’après-midi sera plutôt calme, le procès durera jusque tard dans la soirée.
Les compagnons sortiront du tribunal sous les coups de 23 heures, épuisé.es mais satisfait.es. Iels le sont encore plus le 5 juillet, lorsque les trois responsables sont jugé·es coupables de travail dissimulé, et de harcèlement moral pour Anne Saingier. Iels devront chacun·e plusieurs centaines de milliers d'euros (1,4 million pour Saingier) à l'URSSAF et en dommage et intérêts, et sont condamné·es à jusqu'à un an de prison avec sursis. Bien qu'iels annoncent faire appel, les compagnons accueillent la victoire avec joie, remerçiant au passage tous leurs soutiens.
Texte et photo : Louise Bihan
1. Dans « Emmaüs, ou l'esclavagisme moderne » (La Brique n°68), on apprenait que la médecin était soupçonnée par les grévistes d'être complice des agissements de la direction de la Halte Saint Jea. Lire aussi « Grève à Emmaüs, coups durs et résistance » (La Brique n°69)