Depuis sa création, « En Marche », le parti du nouveau monarque, se revendique de la « société civile ». Le 11 mai, Richard Ferrand, son secrétaire général – aujourd'hui ministre des territoires à deux doigts du licenciement suite à ses turpitudes – affirme non sans cocasserie que la sélection des candidats d'En Marche « marque le retour définitif des citoyens au cœur de la vie politique »1. Statistiques à l’appui, il indique que « 52 % de candidates et candidats sont issus de la société civile ». Mais de quelle « société civile » parle-t-on ?
L'expression « société civile » est séduisante parce qu'elle est fourre-tout. C'est un outil marketing qui sert la mascarade de la participation des élites non étatiques à la « bonne gouvernance ». Elle recouvre néanmoins des réalités bien différentes puisqu’elle accueille confortablement le citoyen quidam, les associations et ONG, mais également les lobbys d’entreprises du nucléaire, en passant par les industries pétrolières. Autrement dit, pour les huiles macroniennes, l’incarnation de la société civile serait à l’opposé de la trajectoire de leur mentor : loin de l’ENA, loin de l’État… mais en y fourrant le nez, très proche de l’entreprise.
La tête de l'emploi
Le 17 mai 2017, Médiapart publie une enquête sur les 428 premier.es candidat.es d' « En Marche », concluant : « Pas d'ouvriers, très peu d'employés mais beaucoup de chefs d'entreprise et de cadres du privé. Et aussi des avocats, lobbyistes et collaborateurs d'élus »2. Dans le département du Nord, on trouve la même came. Le mouvement fait la part belle aux cadres du privé et aux entrepreneur.ses, excluant de fait les ouvrier.es, les employé.es, les agriculteurs.trices, les étudiant.es ou encore les chômeur.ses, à croire que la « société civile » s'arrête là où le business commence.
Plus encore, la politique à la sauce Macron est une conception individuelle du travail plus que collective. « En Marche » représente l'archétype de la domination de l'idéologie managériale transposée au champ partisan. Son organisation repose sur le mode projet et la compétition, tandis que les méthodes de recrutement des candidat.es s'inspirent des ressources humaines des multinationales.
Ainsi, pour être candidat.e, il faut envoyer son CV, une photo ainsi qu'une lettre exposant ses motivations. S'ensuit un engagement à jouer les « béni-oui-oui » devant les réformes du gouvernement, tout en finançant personnellement la campagne électorale pour la modique somme de 30 000 euros. Au prix du jeton de l’investiture, on comprend que les ouvrier.es et employé.es se soient empressé.es de participer à la campagne …! Ou comment la sélection par l’argent, épine dorsale du programme « ni de droite ni de gauche » du startupper en chef, permet de faire le tri au sein de la société civile.
Après une étude de « réputation » (ça ne s'invente pas) par les équipes du parti, les survivant.es doivent passer un entretien d'embauche téléphonique ou physique. Comme le précise Jean-Paul Delevoye, président de la commission d'investiture d'En Marche : « Des responsables des ressources humaines ont aussi été mobilisés pour tester certains candidats et évaluer leur charisme »3. Le format « grand oral » des écoles de commerce et autres instituts d’études politiques aura très certainement eu raison des candidat.es à l'accent classe pop'.
Les bébés Macron à l’image du père
Ce mode de sélection, couplé à une logique de cooptation au sein des instances régionales du parti, favorise la sélection des candidat.es au même pedigree. La majorité est issue du même moule, permettant ainsi de s'assurer d'une pensée économique orthodoxe. Et que les candidats « aient envie de devenir milliardaires »4 ?
D'après l'INSEE, dans le Nord, plus de 75% de la population est composée d’employé.es, d’ouvrier.es et de professions intermédiaires. Pourtant, pas une trace de ces travailleur.ses dans les listes d' « En Marche ». En épluchant les réseaux sociaux (Viadeo et LinkedIn en tête) et les sites de campagne des vingt bébés Macron candidat.es à la députation dans le Nord5, pas d’inquiétude, leur profil apparaît bien macron-compatible. La sélection, ou plutôt l’épuration, semble avoir eu raison des prolos incapables d'aligner 30 000 euros pour payer leur business-plan législatif.
Ainsi, parmi les candidat.es, pas moins de quinze sont cadres ou exercent une profession intellectuelle, et quatre sont entrepreneurs.ses : ce sont pour beaucoup des petites élites économiques aspirant à devenir grandes en passant par la politique. Leurs parcours scolaires respectifs ne dérogent pas à la sociologie macronienne : on dénombre pas moins de six candidat.es diplômé.es en ressources humaines – comprendre : des études en management d'entreprise – et trois candidat.es des études en économie ou en marketing. Du haut de leurs Bac +5, cette sur-représentation des catégories socio-professionnelles favorisées s'exprime également par la présence d'un haut fonctionnaire, de deux cadres de santé, de deux professeurs ainsi que d'un juriste et d'une collaboratrice d'élu.
Circo. |
Nom |
Profession |
1. |
Christophe Itier (ex-PS) |
Directeur général de la Sauvegarde du Nord |
2. |
Houmria Berrada (ex-PS) |
Entrepreneuse et consultante en ressources humaines |
3. |
Christophe Di Pompeo (ex-PS) |
Directeur de recherche en santé |
4. |
Brigitte Liso (ex-PS) |
Entrepreneuse |
5. |
Guillaume Dekoninck (ex-PS) |
Entrepreneur |
6. |
Charlotte Lecoq |
Entrepreneuse et consultante en ressources humaines |
7. |
Arnaud Verspieren (MODEM) |
Cadre en assurance |
8. |
Catherine Osson (ex-PS) |
Directrice d'école |
9. |
Valérie Petit (ex-Verts) |
Professeur à l'EDHEC et consultante en stratégie |
10. |
Sophie Taieb |
Radiologue |
11. |
Laurent Pietraszewski |
Responsable en ressources humaines chez Auchan |
12. |
Anne-Laure Cattelot |
Conseillère technique à la Métropole européenne lilloise |
13. |
Sarah Robin (UDI) |
Secrétaire générale de l' UDI Jeunes |
14. |
Julien Lemaitte |
Pilote de ligne |
15. |
Jennifer de Temmerman |
Gestionnaire d'un collège |
16. |
Chantal Brisabois-Rybak |
Inconnue |
17. |
Dimitri Houbron (ex-UMP) |
Assistant juridique à la cour d'appel de Douai |
18. |
Claire Pommeyrol (ex-PS) |
Cadre supérieure de santé |
19. |
Sabine Hebbar |
Enseignante |
20. |
Daniel Zielinski |
Haut fonctionnaire, ancien directeur de cabinet de Patrick Kanner au ministère de la ville, de la jeunesse et des sports |
21. |
Laurent Degallaix |
Professionnel de la politique |
L'entreprise privée avant tout
Le matraquage médiatico-politique d’un candidat à l’élection présidentielle férocement attaché au « renouvellement des élites » ne doit pas cacher l’enfumage du procédé. Plus de la moitié des candidat.es des circos du Nord étaient militant.es, pour le reste, ils appartiennent presque sans exception aux élites économiques de la région. Et pour cause (ou conséquence), ils.elles apparaissent attaché.es comme un seul bloc au crédo de l’esprit d’entreprise et du self made wo.man. L’objectif principal de leur candidature se situe notamment dans leur volonté de dépeçage progressif de l’État social. Le souhait de Christophe Itier6, candidat dans la première circonscription du Nord et référant régional du mouvement, est ni plus ni moins « la fin de l’État Providence »7… au profit des investisseurs privés !8
Comme nous le rappelions dans nos colonnes il y a peu, pour le directeur général de la Sauvegarde du Nord, association centrale dans le business nordiste de la protection de l'enfance et du médico-social, une personne handicapée ou un gamin en difficulté, se doit d’être une source d’investissement rentable9. Son compère de la 11ème circonscription, Laurent Pietraszewski, semble partager l'avis du chef de file régional. Ce responsable des ressources humaines pour le groupe Auchan (entreprise ayant licencié 300 personnes, quand dans le même temps elle touchait 120 millions d'euros grâce au CICE10) déclarait il y a peu vouloir « servir l'intérêt général » tout en étant « au rendez-vous de ce qui a été promis »11 par le candidat Macron. Comprendre une loi Travail au carré et un CICE puissance 10 ?
Une machine à laver plus blanc que blanc
À l'instar de Christophe Itier, sept candidat.es aux législatives sont des ancien.nes du Parti Socialiste à la recherche d'une pelouse plus verte. Si on y ajoute les deux candidat.es MODEM, une UDI, une ex-Verts et un ex-UMP, l’entreprise Macron est une véritable l'usine à recycler les perdant.es des anciennes industries partisanes. Alors qu'ils.elles étaient incapables de contester les barons de leur parti, « En Marche » représente l'occasion d'accéder enfin à un mandat. C'est la lutte des places chez les opportunistes.
En offrant la possibilité à ces « novices » bien connu.es de la politique de cachetonner à l’Assemblée, Macron s’assure leur docilité tout au long de la mandature. Plus efficace encore, leur recrutement au sein d’« En Marche » est avant tout l'occasion de mettre au pouvoir une société civile « très privée » garantie au néo-président. Ce recours aux cadres et entrepreneurs constitue pour Emmanuel Macron l'assurance d'une fidélité sans vergogne de ces « nouveaux.elles » professionnel.les de la politique – qui devront tout au parti – mais aussi une acceptation sans faille des réformes néolibérales à venir : réforme du code du travail, CICE permanent, politique de l’offre, suppression de l'ISF, flicage des chômeur.ses…
Définitivement, la « société civile »... selon Macron, c’est la société… sans et contre les prolos !
Panda Bear, Harry Cover, Mona
1. Ouest France : Comment En Marche ! a-t-il choisi ses candidats ?, 11 mai 2017.
2. Mediapart, La « société civile » de Macron, des gens qui vont bien, 17 mai 2017.
3. Ouest France : Comment En Marche ! a-t-il choisi ses candidats ?, 11 mai 2017.
4. Nouvel Obs : Macron : "Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires", 7 janvier 2017.
5. Dans la 21ème circonscription, « En marche » ne soutient pas officiellement Laurent Degallaix, candidat UDI ayant très tôt apporté son soutien à Macron plutôt qu'à Fillon, mais n'a pas désigné de candidat.e face à lui. Le retournage de veste en politique, c'est souvent rentable.
6. Pour en savoir plus : « Le talentueux Monsieur Itier », La Brique, 8 juin 2017.
7. Nouvel Obs : « Christophe Itier, candidat En Marche ! dans le Nord : "C'est la fin de l'Etat providence !", 16 mai 2017.
8. « Les contrats à impact social. Rentabiliser la misère », La Brique, Brubru, 21 décembre 2016.
9. Pour aller plus loin, relire La Brique n°49 : « La santé c'est capital ».
10. Le fameux « Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi » a permis aux entreprises de toucher depuis 2013 plus de 48 milliards d'euros, en échange de la création d'une poignée d'emplois. A lire : Mediapart : « CICE: un coût exorbitant sans création d’emploi », 19 juillet 2016.
11. La Voix du Nord, Laurent Pietraszewski candidat dans la 11e, «pour être au rendez-vous de ce qui a été promis», 31 mai 2017.