Lille : La « Zone » des Dondaines

dondaineEntre 1920 et 1970, le « bidonville » des Dondaines est le lieu de vie et d’accueil de centaines de travailleurs pauvres, sans logis et nouveaux immigrés. Il est rasé au début des années 1970 pour faire place, vingt ans plus tard, au quartier d’affaires Euralille.

 

« En mairie, on appelait ça pudiquement une "ZHNP", pour "Zone d’Habitat Non Programmée". Bel euphémisme. Aussi loin que portait le regard, cette ancienne zone non-aedificandi au-devant des remparts d’un autre âge, était couverte d’un bric-à-brac de cabanes en tôles et planches, de roulottes, d’abris encore plus précaires, où émergeait, ici ou là, la toiture d’une maison en bois suffisamment bien construite, qui prenait l’allure d’un palais dans ce capharnaüm indescriptible. » [1] Nous sommes au milieu des années 1960. La Zone des Dondaines est le plus grand bidonville de Lille. Elle existe depuis plus de quarante ans entre la gare Lille Flandres et le quartier de Fives. Après les destructions de la première guerre mondiale, quelques dizaines d’habitants viennent s’installer sur cette zone libre, non constructible, en raison d’un décret napoléonien de 1853. Le mouvement est lancé, il ne s’arrêtera plus.

Le système-D des zoniers

Les habitants des Dondaines, les « zoniers », sont un groupe épars de travailleurs irréguliers précaires des usines de Fives et de Lille, de chômeurs de longue durée, etc. Dès la fin du XIXe, les chiffonniers, ou « croches-poubelles », ont fait de la Zone leur lieu de travail. Les ferrailleurs étaient regroupés près de la porte de Tournai autour de la décharge publique – haut lieu d’activité des Dondaines. Des populations nomades s’installent durant l’entre-deux guerres : « Du côté de Sainte Agnès [2], on avait beaucoup plus de bohémiens, se souvient Félicien, un habitant de la zone interviewé en 1979 [3]. Mais alors, des gens sympas, très sympas. Quand on étot gamins, on allot manger avec eux, y z’allaient à la chasse aux z’hérissons. »

Le secteur est aussi particulièrement fréquenté pour ses « guinguettes » dans lesquelles on boit souvent beaucoup de mauvaises bières. C’est aussi le lieu de travail des vendeurs ambulants. En plus des divers chiffons ou tissus, on y vend également les récoltes des jardins ouvriers tout proches. Le cresson des Dondaines est particulièrement recherché. « L’boulanger y passait tous les jours, l’laitier y passait, l’marchand d’moules y passait avec un’balladeuse [les charrettes à bras des ferrailleurs], – "Moules, Moules !"... Y’avot des marchands d’parapluies, y’avot tous les métiers, raccommodeurs de ciseaux, et pis des chiffonniers et des marchands de peaux de lapins. Ça y n’avot ! » Certains éleveurs des environs viennent y faire paître leurs troupeaux et les animaux de basse-cour vivent avec les habitants de la Zone.

Racisme et préjugés

L’arrivée des premiers travailleurs immigrés dans le bidonville va transformer radicalement le regard des habitants et de la ville sur la Zone. En 1963, un fait divers cristallise les préjugés racistes envers les immigrés, principalement algériens. Le meurtre de deux employés d’une des guinguettes des Dondaines est l’occasion d’un déferlement d’accusations. Les Dondaines sont accusés de tous les maux – à tort [4]. Mais le mal est fait : les abords de la porte de Roubaix sont requalifiés, la municipalité y installe des rangées de réverbères, défriche les terrains sauvages et annonce le futur démantèlement du bidonville. Les documents municipaux de l’époque sont pleins d’un racisme non voilé. Un « problème nord-africain » y est dénoncé. Les immigrés algériens seraient « plus ou moins inadaptés à la vie sociale française » car « d’une formation morale différente de la nôtre » [5]. Et d’enchaîner une description des nouveaux immigrés comme des agresseurs, pervers sexuels, délinquants et paresseux. Les pires clichés racistes.

Le coup de pied du géant

L’opération de résorption du « bidonville » des Dondaines est le premier dossier de Pierre Mauroy lorsqu’il devient adjoint à l’urbanisme d’Augustin Laurent en 1971. « Quand j’apprends qu’aux Dondaines un bébé a été attaqué par les rats, quand je croise les regards prématurément durcis des enfants, quand on nous signale la disparition d’adolescentes déjà fanées, notre détermination se renforce : ce bidonville doit disparaître. Il est une plaie et un affront pour la ville. » En plus d’« affront », les Dondaines sont surtout une réserve foncière importante à deux pas de la Gare Lille-Flandres. Lors d’un entretien accordé à un journaliste de La Voix du Nord, le même Pierre Mauroy revient vingt ans plus tard sur la construction d’Euralille : « J’avais toujours été frappé qu’en 1916, au beau milieu de la guerre, le ministre de la Défense n’ait rien trouvé de mieux que de classer "non aedificandi" cette zone dépourvue de tout intérêt stratégique. Étant premier ministre, je m’empresse de proposer une loi pour rendre le terrain constructible. Ce sera Laurent Fabius qui la fera adopter ».

Dès le milieu des années 1960 se profilait déjà la construction d’un Centre international des affaires (CIA) dont plusieurs anticipent déjà son emplacement sur les décombres des Dondaines. La destruction du bidonville se fera en quatre tranches. La plus importante débute le 10 décembre 1971. Les services de la ville, accompagnés du PACT et de l’Association populaire des familles (APF) emmenée par Danielle Poliautre, relogent les habitant-es dans les barres nouvellement construites du petit Maroc. Le jour même, les pelleteuses détruisent les habitations et enterrent les véhicules et constructions trop coûteuses à déplacer.

« Les Dondaines vont perdre leur mauvaise réputation », titre La Voix du Nord le 6 avril 1972. Leur réputation ? Sans doute. Leur âme aussi. Une vingtaine d’années plus tard, la nouvelle gare TGV Lille-Europe est érigée à proximité de la Zone. En 2001, à son emplacement même, le promoteur « Kaufman and Broad » via sa filiale First Promotion construit 55 logements. Coût de construction de cette « Résidence Parc des Dondaines » : près de 2 300 000 euros. L’argent revient sur un terrain qui lui avait si longtemps résisté. Aujourd’hui, sous les bâtiments d’Euralille et les rangées d’arbres rectilignes du « parc des Dondaines » vivent encore les carcasses défoncées qui ont fait la vie de la Zone de Lille.

Notes

[1Jean-Denis Clabaut, Il était un crime, Méli-mélo, 2013.

[2Le fortin Saint Agnès, vestige dees remparts de Vauban aujourd’hui démolis.

[3Pierre Belli-Riz, L’Alma-Jacquet veut vivre !, Travaux pratiques de fin d’études, École d’architecture de Lille, 1979.

[4Le coupable s’avérera être un habitant du bassin minier.

[5Beaucoup de documents d’archives l’attestent. Un en particulier intitulé La Zone à Lille en 1952, disponible aux Archives municipales de Lille et à la médiathèque Jean Lévy.

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