Finie la pub sur les chaînes du service public ! Alors à quand la fin de la pub dans l’espace public ? Dans les rues de Lille, ce n’est pas pour demain, puisque la ville vient de signer un contrat de 12 ans pour que l’afficheur CBS nous assure un matraquage publicitaire bien enrobé.
Le 22 novembre 2007 entrait en vigueur le nouveau règlement sur la place accordée à la publicité à Lille (1). Ce texte, annonçant la disparition de près de la moitié des "dispositifs publicitaires", était alors qualifié de sévère par les afficheurs2. Sévère, mais pas pour tous. Un an plus tôt, CBS Outdoor remportait le marché du "mobilier urbain". L’afficheur se voyait alors attribuer la gestion de quelques 280 supports d’affichage double-face destinés à diffuser l’information municipale et, côté obscur, les annonces publicitaires. Implantés dans "l’espace public", ces panneaux bénéficient d’un statut privilégié. Entre effets d’annonce et camouflages sémantiques, décryptage d’une politique municipale qui n’est pas prête d’éradiquer la peste publicitaire...
L’"incontournable" peste publicitaire
Il importe de tordre le cou à une idée reçue qui veut que la pub soit inoffensive. Nombreux sont les collectifs et associations qui ne cessent de la critiquer. Parce qu’elle est faite d’images marquantes, la pub participe, selon eux (3), à la propagation de messages et de valeurs aux conséquences désastreuses : sexisme, individualisme, etc. Parce qu’elle est aussi et surtout un appel à la consommation, la pub suscite envies et frustrations pour créer de faux besoins et inciter au sur-endettement, à la surconsommation, etc.
Ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard si les dépenses publicitaires ont atteint en 2006 un bénéfice de 1000 milliards d’euros4. C’est bien que la pub est un élément vital pour un système qui est continuellement en "campagne". A l’issue de ce constat édifiant, l’argument économique (croissance, création d’emplois, etc.) ne résiste pas à l’envie de la supprimer. D’ailleurs, si la loi (5) était réellement appliquée, ne devrait-elle pas tout bonnement disparaître ?
Mais aujourd’hui, la pub est partout, elle est LE média, celui qui finance tous les autres, menaçant au passage l’indépendance de la presse. Pire, elle est là où l’on ne peut pas ni zapper ni tourner la page, "incontournable" : sur les murs des particuliers, sur les trottoirs, toujours placée aux endroits les plus "stratégiques". Car l’affichage publicitaire extérieur est le plus efficace des moyens pour s’imposer et s’immiscer dans nos esprits pour "un souvenir mémoriel maximal " ! CBS l’a bien compris et l’on trouve sur son site plusieurs "bonnes raisons" pour mener - et réussir - un plan de communication à Lille... lavage de cerveaux assuré !
Naissance d’un marché...
1972, l’afficheur J.C. Decaux, alors sans concurrent, propose à la mairie de Lille un premier marché de ce genre : en échange de quelques faces gracieusement cédées à la communication municipale, l’afficheur s’occupe de la pose et de l’entretien de quelques abribus et panneaux publicitaires installés sur le domaine public. Pendant plus de 30 ans, J.C. Decaux ne se gênera pas et la mairie ne lui demandera pas un seul centime.
En 2005, la communauté urbaine, qui a récupéré entre-temps la prise en charge des abribus, lance un appel d’offre pour déléguer la gestion de ce mobilier. Remporté par Clearchannel, le marché voit s’accentuer la concurrence aux dépens de J.C. Decaux. C’est certainement ce qui a subitement donné envie à la municipalité de renouveler fin 2006 son mobilier à elle. Cette fois-ci, contre la modique somme de 1,6 millions d’euros par an, CBS Outdoor gagne le droit de gérer pendant 12 ans le parc des panneaux d’affichage situés sur les trottoirs de la ville. Pacotilles pour le géant nord-américain, mais une manne financière pour la mairie qui aura bien du mal à s’en passer (6).
... évolution d’un règlement
Parallèlement, la mairie s’inquiète du fait que “des dispositifs publicitaires se multiplient sur le territoire de la ville de Lille, sans prise en compte de leur intégration dans l’environnement, ce qui nuit à la qualité du cadre de vie” (sic) (7) et décide de préparer un nouveau règlement. Comme le prévoit le Code de l’environnement, un groupe de travail est alors constitué par le préfet pour donner son avis sur le texte. On y trouve des élus, des commerçants et des représentants du métier... (un peu comme si l’on invitait des patrons à donner leur avis sur une loi visant à restreindre leurs profits !) L’association légaliste antipub Paysages de France (10), elle, est évincée sous prétexte qu’elle n’est pas représentée localement. Evidemment, le groupe émet un avis favorable. Même bénédiction de la part de la Commission départementale de la nature, des paysages et des sites, siégeant en formation spécialisée dite de "publicité".
Au final, le nouveau règlement est adopté par le conseil municipal, le 23 octobre dernier. Seuls les Verts ont voté contre, condamnant "la faible participation des élus au débat" et "les effets dévastateurs de la publicité, qui encourage par nature la frénésie consommatrice", sans oublier "le goût amer laissé par le récent marché de mobilier urbain portant lui aussi publicité" (8).
Le règle-ment : décryptage
Un “goût amer" que l’on retrouve à la lecture du nouveau règlement. Car, si celui-ci instaure plusieurs "zones de publicité restreinte", supprimant de fait 200 panneaux, en jouant sur les notions de "mobilier urbain" et "dispositifs publicitaires", il offre en réalité toujours une large place à la pub.
D’un point de vue technique, le "mobilier urbain" désigne les 220 "sucettes" de 2m2 et 60 panneaux de 8m2 obtenus par CBS Outdoor. Comprenons bien que ce mobilier n’est pas un bien public, même s’il se situe sur l’espace public. Il est installé et entretenu par le privé. Une confusion qui persiste car une face sur deux est concédée à la communication municipale (9). Autrement dit, CBS masque ses profits privés sous son souci du bien public.
Les "dispositifs publicitaires", quant à eux, sont installés sur les propriétés privées des particuliers, des entreprises, ou des terrains publics (sites de la SNCF et des HLM surtout). Ce sont eux les premiers concernés et qui seront les plus amenés à disparaître. Le mobilier urbain, lui, échappe à presque toutes les restrictions. Un arrêté préfectoral l’autorise même aux abords des monuments historiques, normalement protégés. Seules les zones formellement interdites à la publicité (La Citadelle, les cimetières, la voie rapide urbaine, le quai du Wault et quelques autres) sont épargnées. Rien d’étonnant. Comment l’utilisation de notions aussi subjectives que "qualité du cadre de vie" ne pourraient-elles pas faciliter l’ambiguïté et servir une langue de bois qui cache sous des préoccupations environnementales des objectifs clairement économiques ? Eh oui, il faut bien garantir "l’exercice de l’activité publicitaire, important vecteur du développement économique local"... des firmes multinationales.
Alors, "Lille, ville de la solidarité "... avec les publicitaires ? Pourtant, récemment la ville organisait un cycle de conférences et d’expositions intitulé "Re’sources". Dans la plaquette de présentation, on lisait que la sur-consommation des Français générait trop de déchets et que "la sur-exposition publicitaire" y serait pour beaucoup.
"Publiphobes" de tous les pays...
Les 11 millions d’habitants de Sao Paulo, eux, n’ont plus ce souci. Certes, le contexte brésilien est tout autre, mais le maire de cette mégalopole s’est battu contre les lobbies pour faire de sa ville, la première grande cité sans affichage publicitaire. Pendant ce temps-là en France, la « publiphobie » augmente et les actions antipub se démultiplient... comme les panneaux de pub !
SH et AdG
1 : Règlement local de publicité de la Ville de Lille et des Communes associées de Lomme et d’Hellemmes
2 : Nord Eclair, 08/12/2007
3 : Collectif des Déboulonneurs , Brigade AntiPub, Résistance à l’agression publicitaire, Casseurs de pub etc.
4 : ATTAC
5 : Loi du 30/09/1986 relative à la liberté de communication : "la publicité doit être exempte [...] de toute incitation à des comportements préjudiciables à la santé, à la sécurité des personnes et des biens ou à la protection de l’environnement".
6 : Dans la délibération sur le budget communal 2007 en date du 18/12/2006, on peut lire : "Compte tenu du faible dynamisme sur les recettes classiques et les dotations externes qui ne dépendent pas de nous, il est nécessaire de trouver d’autres ressources, qui seront notamment la redevance versée au titre du casino, la recette versée par le nouveau titulaire du marché de mobilier urbain ou les contributions liées aux parternariats et aux mécénats."
7 : Règlement local de publicité
8 : Intervention de Marc Santré, adjoint au maire chargé de la Voirie, lors du conseil municipal du 23/10/2007
9 : De l’évènement culturel aux voeux du maire, on y trouve rarement des choses vraiment utiles... propagande municipale ?