Mauvaise nouvelle. Le Lieu d’Expérimentation Multidisciplinaire, situé dans une ancienne visserie rue de Wazemmes, ferme ses portes. La Brique en profite pour interroger une place qui se voulait alternative. Rencontre avec Marc Mounier-Kuhn, membre actif de l’association et du lieu. Au menu, mécénat public, autogestion et un nouveau projet : le collectif LEM Utopia.
Le LEM existe depuis 2002, matérialisant la rencontre et la convergence d’intérêts entre plusieurs artistes plasticiens, dont le collectif de grapheurs Gueria. Cinq ans plus tard, ce lieu d’art a fait vivre une certaine idée de l’art, plastique comme vivant. Il y a deux mois, le propriétaire privé ne renouvelle pas le bail : « Ça a toujours été un bail précaire, c’est-à-dire de moins de 24 mois. On avait pensé à racheter le lieu, dans une logique d’installation. » La décision du proprio serait motivée par des « problèmes de voisinage », notamment par rapport aux concerts.
Dans l’air du temps
Signe des temps, la création du LEM correspond au début du mandat d’Aubry : « Les rapports avec la mairie sont bons ». L’heure est à la culture, Lille2004 et son géant botté sont dans les starting-bloks. « La mairie conditionnait un financement au montage d’une association. » Guéria devient une association. Le premier projet est exposé dans un lieu prêté par la mairie. Son titre : « L’art, mais autonome ». Le titre leur vaut quelques railleries, notamment parce que certaines personnes sont issues du Bunker (squat d’artistes dit aussi « le 49 ter », rue Kuhlman, à côté du bâtiment de la Malterie, autre lieu culturel alternatif et subventionné). Depuis, il plane sur le LEM une drôle de contradiction : « Le LEM a été souvent perçu de manière très fantasque : une salle municipale et institutionnelle pour les uns et à l’inverse, les gens des salles officielles nous voyaient comme des squatteurs. »
“Autogestion” et évolution du lieu
« 10 000 euros », c’est le montant de la subvention annuelle de la mairie. Celle-ci est utilisée pour l’achat de lumières et la rémunération de certains exposant-e-s. Le tout fonctionne en « autogestion », grâce « au bar et au système d’adhésion [qui] payaient [les] charges. » L’organisation est collective : « Il y avait un président et un porte-parole. Les réunions hebdomadaires étaient le moment d’enregistrement après des discussions informelles. » Les adhésions de membres actifs se faisaient avec le temps et sur les compétences, mais « ce n’était pas de la cooptation ».
Dans les deux premières années, le lieu bascule « d’une situation de collectif qui produit des expos à celle d’une association qui organise des expos. » Gueria s’épuise, et le collectif devient une « asso de gestion de lieu ». En décembre 2005, David, ancien du Bunker, remonte une structure qui atteint rapidement une dizaine de personnes réunies sur la volonté de faire vivre le lieu. Les profils et les champs envisagés s’élargissent. Cela dure jusque décembre 2006. Ils décident alors de faire en 2007 « une programmation où les artistes qui font partie de l’asso auraient une forme de priorité ». L’expo « Rien à voir » (avec le collectif Mercurocrom), est l’occasion du « premier projet collectif artistique du LEM : on s’est rendu compte que si c’était pas notre propos à la base, on avait une vision assez compatible des choses. »
L’art subventionné
Pendant toutes ces années, Gueria puis l’association le LEM, « n’étaient pas sous perf’ de la mairie », qui « n’a jamais cherché à nous imposer quoi que ce soit. » Marc le reconnaît quand même : « À partir du moment où on touche des subventions, on n’est pas totalement indépendants. » Il voit bien « l’intérêt de la politique municipale culturelle : donner les moyens pour dire qu’un lieu comme le LEM existe. » Peu importe l’obligation de mettre le logo de Lille2004, même si ce n’est « pas de bon coeur ». Le LEM prépare pour l’occasion « un projet de graff à Vauban avec les quartiers » mais deux jours avant l’inauguration, quelques destructions et vols sont passés par là. Pour Lille3000, ils n’ont pas souhaité répondre aux sollicitations municipales.
Marc se méfie comme la peste du mécénat privé. Avec les pouvoirs publics, l’équipe applique un principe de contrat pour la subvention : en échange de l’argent, ils font « ce pour quoi on nous donne du blé » et rendent des comptes : « un bilan des activités et accepter la com’ municipale. » En retour, l’association exige aussi que les politiques « viennent au LEM » lors des expositions. Selon Marc, qui « considère le LEM comme une mission de service public, qui crée de l’argent mais ne paye pas les bénévoles », le LEM n’a « jamais eu le sentiment d’être récupéré ». Ni d’ailleurs la volonté de s’institutionnaliser : « On se disait : si on est là dans 10 ans, ça ne sera pas nous. »
Joies et conflits
Des différends avec des personnes extérieures ont pu éclater tout au long du projet, par exemple sur un « problème de perception du lieu, liée à l’envie de faire une galerie. Un artiste voulant exposer dans le lieu demandait une cour nickelle pour que la DRAC (1) se sente à l’aise ! » Marc rappelle qu’ « Ici, c’est un hangar ! Quoi qu’on fasse. Et le côté industriel et alternatif est revendiqué. » D’autres tensions apparaissent sur « la cohérence artistique, les lignes de projets entre problématiques personnelles et collectives, professionnelles ou non. »
Plusieurs points positifs concluent cette aventure : le LEM est un lieu fonctionnel qui a su attirer plus de 16 000 personnes ( 6500 en 2007). Marc le voit comme « un lieu alternatif emblématique d’une époque. » Un temps, par ailleurs, où la ville de Lille réserve à la culture 13% de son budget, où les « Maisons Folies » héritées de Lille 2004 s’imposent comme les lieux « alterno-institutionnels » : « Aux yeux du passant c’est peut-être le cas, mais pour un public plus averti, qui ne se contente pas de consommation de culture, la différence est nette avec un lieu comme le LEM. Les Maisons Folies présentent un large panel de choses, mais insuffisant ». Pourtant c’est bien là où le LEM va continuer sa mutation. Il devient « le collectif artistique LEM UTOPIA, nomade et hors les murs (en attendant de trouver peut-être un nouveau lieu de fabrique sur la métropole) » (2). Poursuivant sa recherche multidisciplinaire, LEM UTOPIA s’installe début février à ... la Maison Folie de Moulins3. Le titre était tout trouvé : « NON LIEU ». En attendant mieux ?
C.G
1 : Direction Régionale des Affaires Culturelles.
2 : Communiqué de presse du LEM, disponible sur www.labrique.net.
3 : Le vernissage s’est tenule 9 février 2008 à 18h30 à la Maison Folie de Moulins, rue d’Arras à Lille, l’exposition durant jusqu’au 29 juin.
NB : nous n’avons pas eu le temps de contacter la mairie pour savoir si celle-ci allait daigner donner un autre lieu avant les élections. Fin janvier, le LEM n’avait plus pris contact avec elle depuis l’annonce du non renouvellement du bail.