Fermetures de gares, débauchages et licenciements, baisse d’activité, les salarié-e-s du fret en Nord-Pas de Calais doivent s’adapter à la libéralisation du transport de marchandises. C’est sous la pression des néolibs’ européens et de l’appui bienveillant des gouvernements français successifs, de droite comme de gauche, que les employé-e-s des gares de Somain, Dunkerque ou Anor perdent le contrôle de leurs emplois et savoirs-faire. Lorsque le seul profit dicte sa loi aux activités humaines, les doutes quant aux services rendus aux usagers et aux conditions de travail sont légitimes.
Le processus de privatisation dans les activités du rail est le même que pour les activités de La Poste ou des télécoms : segmenter à outrance pour ensuite mieux privatiser par paquets. Ainsi la résistance est divisée et la prise de conscience collective amoindrie. Et c’est tout en douceur que les usagers du transport ferroviaire subissent la hausse des tarifs (TGV) ou la fermeture des lignes « non rentables ».
En 1997 tout d’abord, conformément à la directive 91/440, Juppé crée Réseau Ferré de France (RFF), société publique à caractère industriel. Cette restructuration complètement injustifiée au regard de l’organisation du travail sépare la propriété des infrastructures ferroviaires de leur exploitation par la sncf. Depuis, la sncf doit verser annuellement plusieurs millions d’Euros de redevance pour emprunter le réseau ferré.
Plus fort encore est la régionalisation de la sncf décidée en 2000 par une loi de la gauche poubelle. Son éclatement en unités régionales permettrait de réduire les coûts et morcelle toujours plus l’entreprise. Mais la conséquence directe est le manque de moyens pour l’acquisition et l’entretien des TER et surtout l’accroissement des inégalités en termes de services rendus aux usagers.
Enfin en 2005, bien que les électeurs français aient refusé la constitution européenne néo-libérale, la SNCF doit rapidement rattraper son retard dans sa privatisation (sic) et se restructure en quatre branches placées elles-mêmes en concurrence : le transport public (TER) ; Voyageurs France Europe (VFE), qui comprend notamment le Thalys et l’Eurostar et sera privatisé en 2010 ; les infrastrucutres (INFRA) avec RFF ; et enfin le fret, aujourd’hui complètement libéralisé.
Rationaliser, restructurer, moderniser, responsabiliser, améliorer la compétitivité : derrière cet écran de fumée aux allures volontaristes et pragmatiques se cache une véritable idéologie aveuglante pour les tenants, de droite comme de gauche, du tout privé.
Connex et Seco-Rail : the new rail order !
Depuis le 15 mars 2003, la France a officiellement ouvert ses lignes internationales de fret à la concurrence. Et c’est en avril 2005 que le premier contrat est passé avec Connex, une filiale de Veolia Cargo, permettant à CFTA Cargo, pour un montant de 10 millions d’Euros sur cinq ans, de circuler entre l’Allemagne et la France. Mais au passif de Connex, on a cette expérience foireuse dans plusieurs régions d’Angleterre. Repoussant les journées de travail à 11h30 et les durées hebdo jusqu’à 77h, ces mauvaises conditions de travail ont engendré naturellement une forte augmentation des accidents. Leur licence d’exploitation leur fut donc retirée en 2004. Merci pour le service et bienvenue en France !
Comme en Angleterre, pour circuler en France, les candidats privés doivent obtenir une licence d’entreprise ferroviaire et un certificat de sécurité auprès du ministère des transports. Ils doivent également demander à rff des « sillons » pour circuler à des horaires précis. Aujourd’hui ils sont au moins trois, en plus de la sncf, à se répartir le marché par appels d’offres. Appels d’offres auxquels la sncf répond au même titre que les autres. Mais au vu des salaires tirés vers le bas, et du recours à l’intérim chez les privés, la sncf pâtit de la sécurité offerte à ses salariés. La précarité ou la mort ?!
Dans le Nord, le gros transporteur privé de fret est Seco-rail (photo). Filiale à part entière du groupe Colas, elle est n°1 français de la pose et de l’entretien de rails. Et depuis octobre 2007 dans le Nord, Seco-Rail est chargé de l’acheminement en calcaire extrait des carrières de Wallers Trelon (Avesnois) vers les chantiers de Colas en France. D’après un salarié de Seco-Rail rencontré en gare d’Anor, Seco-Rail emploie à peu près 200 personnes dans le Nord-Est, dont des anciens cheminots de la SNCF venus capitaliser un complément de retraite.
Quand on voit les augmentations de chiffre d’affaires (+ 33% en 2005), c’est vrai qu’ils auraient eu tort de se priver de cette manne qui échappe à la sncf.
Dégraisser pour mieux huiler la machine à profits.
Avec la baisse d’activité de transport de fret, et pour être compétitive, la sncf doit réduire ses coûts. 262 gares vont fermer au trafic fret et 7000 emplois seront supprimés alors même que pour la première fois depuis 2000 les résultats de trafic et de chiffre d’affaires sont au vert. Mais la sncf a décidé de supprimer les gares qui ne desservaient qu’un wagon par mois au profit des lignes à flux croissant. Le service laissant doucement la place au résultat. En gare d’Anor par exemple, Seco-Rail fait tout désormais : de la mise en tête à l’accrochage des wagons. Du coup cette petite gare de l’Avesnois a dû se réorganiser en supprimant un poste, celui de l’aiguillage du fret.
Même logique en gare de Boulogne. Aujourd’hui en difficulté face à la concurrence de la gare de Dunkerque – première gare de fret en France avec 12% du tonnage – une dizaine d’employé-e-s devront déménager (des réfugiés économiques peut être ?). La logique à l’œuvre ici encore est de privilégier le « haut débit ferroviaire » au détriment des petits tonnages non rentables. Dans la région, Somain, Lens et Dunkerque deviendront les trois seules plateformes de tri. Pour cela, en gare de Somain par exemple, 22 millions d’euros (allongés par l’Etat, la Région et RFF) et 25 licenciements seront nécessaires pour “moderniser” le site et en faire la deuxième gare de tri de wagons isolés de France.
Moderniser – la sécurité en moins.
Un aiguilleur de fret de Dunkerque disait ses doutes et ses craintes quant à la sécurité depuis la privatisation. Et des aberrations apparaissent : « On travaille avec des chauffeurs étrangers qui n’ont absolument pas les mêmes façons de bosser que nous. Il faut savoir que tous les travailleurs de la sncf ont suivi des vraies formations internes. Du coup, on a tous la même culture, la même façon de bosser. Mais avec les roulants privés, c’est très différent. [...] On ne parle pas la même langue, et en cas de pépin ça devient très compliqué de se comprendre. En plus de ça, on est habitué à travailler avec des talkies alors que les conducteurs des entreprises privées ne travaillent souvent qu’au portable ». Et il faut savoir que ces trains utilisent les mêmes voies que celles empruntées par les passagers. « Vues les charges transportées, il faut des centaines de mètres pour arrêter un train. Pour la sécurité de tous, on n’a pas droit à l’erreur. [...] C’est un poste qui nécessite une grande vigilance ». Et ces conditions de travail vont encore bouger. On en est qu’au début. Notre aiguilleur l’assure : « Un jour ou l’autre nous aurons un accident ».
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Grande Bretagne a repris le contrôle d’une partie de ses activités ferroviaires. En 1994, British Rail avait été démantelé et réparti en une centaine d’entreprises, dont le groupe Railtrack, responsable des infrastructures et des voies ferrées. Mais celles-ci se trouvèrent dans un état si déplorable que des accidents mortels se multiplièrent. La société fut dissoute en 2002 et l’infrastructure à nouveau placée sous le contrôle de l’Etat. Tout ça est fort rassurant.
tomjo
Photos : http://www.contre-faits.org/
La politique ferroviaire européenne au service du privé
1986 : signature de l’Acte Unique Européen et création « d’un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux est assurée ». Objectif : démanteler les entreprises publiques non orientées vers la maximisation du profit.
1991 : Directive 91/440. Les douze ministres européens des transports, dont le socialiste Paul Quilès, affirment que toutes les entreprises ferroviaires devraient fonctionner comme des entreprises privées non subventionnées. La privatisation se fera par paquets. Le premier prévoyant l’ouverture à la concurrence de 50 000 Km de voies ferrées européennes.
2000 : Sommet de Lisbonne. Jacques Chirac et Lionel Jospin demandent à ce que s’accélère le processus de libéralisation des secteurs publics tels que ceux du gaz, de l’électricité, des services postaux et bien sûr des transports.
2004 : Deuxième paquet. Le ministre des transports Gilles de Robien (UDF) ouvre à la concurrence le transport international de fret.
1er janvier 2007 : le transport national de fret est libéralisé en France.
27 septembre 2007 : l’UE approuve la libéralisation du trafic international de passagers à compter du 1er janvier 2010.