Combat des mineurs marocains

Combat des mineurs marocainsUne des images les plus répétées, l'un des clichés les plus courants, quand on évoque le combat des mineurs, c’est que dans le fond tous les mineurs avaient la même couleur de peau. C’est une image émouvante, mais malheureusement la solidarité de classe ne va pas de soi. Les mineurs marocains, derniers ouvriers à être descendu dans le fond ont subi une double discrimination, de la part de leur patrons et de la part de leurs « camarades » mineurs.

 

Il y a 30 ans, le dernier site minier fermait dans notre région. Il s’agit de la fosse 9-9bis (1), à Oignies aujourd’hui devenue une salle de spectacle. Mais l’histoire des derniers mineurs ne s’est pas terminée à ce moment là. Les mineurs marocains sont la dernière vague de travailleurs immigrés, après les Belges, les Italiens, Polonais ou Algériens, à se faire « importer ». Ils peinent encore à faire reconnaître leurs droits.

Chair à canon,

chair à charbon

À l’inverse des autres vagues d’immigration, les Marocains ne sont pas attirés pour relancer la production mais pour l’achever. Si l’industrie des mines va chercher la main d’œuvre aussi loin, c’est en bonne partie parce que le métier manque de candidats sur place. Mais c’est aussi parce qu’elle recherche des personnes qu’elle pourra licencier facilement, qui n’auront pas de soutien dans la population française et pourront être facilement renvoyées au pays une fois leurs poumons bien silicosés. En 1963, un accord est signé entre le Maroc et la France. Il s’inscrit dans les négociations de la fin du protectorat marocain et permet à l’ancien pouvoir colonial de garder sa main-mise sur la main d’œuvre locale.

Le régime néo-colonial, en lien avec les entreprises minières nationalisée (les charbonnages de France), amadoue les travailleurs en leur promettant un avenir un peu meilleur. Un certain Félix Morat, qui au Maroc est aussi connu que le roi parmi la population, sillonne le pays pour embarquer près de 78.000 hommes et les faire travailler dans les mines du Nord-pas-de-Calais et de la Lorraine. Tous sont majoritairement originaires du Sud du Maroc, issus d’une population berbère qu’on appelle « les Chleus ». Ils sont de milieux très pauvres, paysans, souvent illettrés. Le faible niveau de vie est d’ailleurs un critère de recrutement au même titre que la force physique. Morat les sélectionne comme on l’aurait fait pour des bêtes : il leur ouvre la bouche pour regarder leurs dents, teste leur force, s’assure de leur opérationnalité.

Les mineurs arrivent dans des conditions de vie qui n’ont rien à avoir avec l’Eldorado qu’on leur avait promis. C’est le choc pour tous ces travailleurs. Pour l’entreprise minière, l’objectif est de clairement profiter de la crédulité supposée des mineurs marocains en faisant un maximum d’économies avant la fermeture des mines. Les hommes arrivent seuls sans leur famille en France avec un contrat de 18 mois : un moyen de plus pour les inciter à rentrer chez eux. Contrairement aux autres mineurs, ils sont payés à la tâche et non pas au taux horaire. Les mineurs marocains occupent les postes les plus risqués sans grande protections physiques. Leurs contrats étant différents de ceux des autres mineurs , ils ne sont pas comptés dans les statistiques de la silicose (2) et les frais de prise en charge de la maladie sont réduits au minimum.

Ce n’est pas seulement par leurs conditions de travail que les mineurs se font discriminer. Dans les cités minières, les quartiers sont organisés par nationalités. Les Marocains, qui ne sont pas censés rester, vivent dans les logements les plus pourris, sans toilettes ni chauffage. Cette séparation dans l’espace crée des tensions entre les différentes communautés et mine la solidarité.

Silicosés de tous les pays, désolidarisez vous !

Dès les années 70, les premières mines commencent à fermer dans tout le pays. Les travailleurs marocains n’ont pas le statut de mineur. Ils ne l’obtiennent en 1980 qu’après un long combat soutenu marginalement par les autres mineurs. Combat d’autant plus difficile qu’ils n’ont pas beaucoup de moyens d’actions : ce n’est qu’en 1984 que les étrangers obtiennent le droit de se syndiquer. Le statut de mineur permet la stabilité de l’emploi, donne accès à des remboursements médicaux et à la gratuité des logements. Pourtant, les Marocains sont les seuls à ne pas obtenir les avantages de reconversion professionnelle prévus dans le statut des mineurs. Pour s’organiser, ils fondent deux associations : l’une qui regroupe les mineurs du Nord et l’autre de la Lorraine.

En 1987, une bonne partie des mines sont fermées, le gouvernement décide ne pas renouveler leur contrat de travail et de ce fait de ne plus leur accorder le droit de séjour, ce qui entraîne des renvois aux pays d’origines. Entre le Maroc et la France, les mineurs voudraient avoir le choix. Le retour est rude pour ceux qui ne l’ont pas souhaité parce que leurs conditions de vie ne sont pas meilleures là-bas.

En 2011, dix mineurs poursuivent l’État en justice pour obtenir la possibilité de racheter leur maison une fois retraité. Ce droit leur est refusé sous prétexte qu’ils ne sont pas Français, alors que cela a été accordé aux autres mineurs pourtant étrangers. Le combat est gagné en 2013 à la Cour de cassation : ils obtiennent 40.000 € chacun de compensation de pénibilité. Cette victoire hautement symbolique leur permet d’obtenir enfin un semblant d’égalité avec les autres mineurs.

Inconscience de classe

L’État et les partis politiques se préoccupent de construire une mémoire du métier. Ils sont figés dans un imaginaire idyllique de « héros de la classe ouvrière » sélectif, passéiste, omettant les évolutions techniques du métier, qui fait oublier que le métier de mineur est un métier qui ne fait envie à personne. La pénibilité et les conditions de vie atroces sont au contraire valorisées. C’est la raison pour laquelle le musée de la mine est créé à Lewarde, dans le Douaisis. Ce musée n’est qu’une célébration patronale. Le musée n’accorde que très peu de place à l’histoire syndicale et aux luttes des mineurs.

Les mineurs marocains sont écartés de ce processus. L’une de leurs stratégies consiste à se réapproprier ce mythe. À la bataille juridique s’ajoute la lutte pour gagner le terrain de l’imaginaire collectif. L’objectif est de rappeler que les mineurs marocains appartiennent à la même histoire que leurs camarades. D’autres anciens mineurs marocains sont encore en procès actuellement pour avoir les mêmes compensations que leurs camarades.

Louise

 

Combat_des_mineurs_marocains

 

1. C’est une coopération culturelle où l’on trouve aussi bien des concerts que du patrimoine. Le 9-9bis est classé monument historique, ils font aussi des séminaires, des ateliers autour de la démocratisation musicale et la valorisation du patrimoine.

2. La silicose est une infection pulmonaire induite par le charbon. Lorsque la présence de silicose atteignaient 30 % dans les poumons, les mineurs n’étaient plus considérés comme aptes au travail.

 

 

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