Il y a quelques mois, un article de La Brique revenait sur le harcèlement que fait subir la mairie aux cafés-concerts de Lille. Sur le site, c'est tout bonnement le plus lu de ces deux dernières années. Et de loin. Pas qu'on se soit lancé dans l'analyse statistique comparée pour mieux comprendre les préoccupations premières de notre lectorat (déjà qu'on a dû se mettre au code barre...), mais on doit avouer qu'un tel engouement nous a quand même pas mal interpellé.
Pourquoi les bars, alors que dans le même temps on a attaqué tous azimuts l'extrême droite, les barons du coin, ou le patriarcat ? Bien sûr l'enjeu est aussi politique. Mais si parler des rades sur la sellette est un des sujets de discussion favoris de tous ceux qui aiment sortir, on occulte souvent un détail qui a son importance. C'est que le bar est d'abord un commerce qui vend de la marchandise et, du côté de chez nous, une en particulier : la bière. Or, comme toutes les marchandises, la petite mousse qu'on apprécie en terrasse comme la ribambelle de pintes enfilées en soirée ont des faces cachées.
Capitalisme festif
Alors on a jeté un oeil sous le verre. À la base, le sujet avait été balancé à la rigolade, histoire de faire un numéro d'été un peu plus fendard. Sauf qu'il ne nous a pas fallu longtemps pour constater que notre précieux liquide est bien plus bien trouble qu'il ne le paraît. Rassurez-vous, on n'a pas ajouté notre contribution à l'image du Nord alcoolique. L'idée consistait d'abord à aller gratter du côté de la fabrication et de la distribution, des secteurs dans lesquels certains se gavent tout en se vantant d'être les chantres du houblon artisanal. On a aussi choisi de questionner les pratiques des buveurs et buveuses de bière, notamment à Wazemmes, où elles participent d'une modification en profondeur du quartier. Derrière tout ça, une autre question nous turlupine. Est-ce que la défense de notre droit à picoler tranquille ne prend pas parfois le dessus sur d'autres problématiques, sans doute plus cruciales ? La politique municipale vis-à-vis des bars révolte un grand nombre de personnes. Mais l'engouement sur la question apparaît disproportionné au regard d'autres enjeux, même locaux, qui restent eux cantonnés aux marges. D'ailleurs, en matière de « révolte », restons un peu mesurés. Quand le Restau Soleil se fait attaquer par la mairie, presque 3000 personnes « aiment » le groupe facebook « Contre la fermeture du Restau Soleil », et 700 annoncent « participer » à la manifestation de soutien. Le jour J, on s'est retrouvé.es à moins de 30 sur la place de la République, dont 15 salariés, le tout face à une cinquantaine de flics... Même sur ce sujet pourtant apparemment fédérateur, le militantisme ne semble pas aller beaucoup plus loin qu'une inflexion frénétique de l'index.
Quelle révolution ?
Au-delà, un tel décalage questionne autant les pratiques militantes que la pensée politique de chacun.e. Le cortège place de la République ne peut pas, ou plus, être l'alpha et l'oméga de la contestation. Il y a d'autres formes de lutte à utiliser, voire à inventer. L'époque change, le pouvoir également, sans doute plus vite que nous. Du coup, on a également ressenti le besoin de revenir à quelques fondamentaux. Notamment pour requestionner ce pour quoi nous nous battons, et comment.
Quelles peuvent être les conditions d'un grand mouvement collectif et révolutionnaire ? Voilà une autre question qu'on s'est posée tranquillou dans ce numéro. Pour ça, on a regardé un peu dans le rétro, parce que l'Histoire est pleine d'enseignements. On s'est demandé comment mai 68 s'était passé à Lille, et plus particulièrement pourquoi les mouvements étudiants et ouvriers ne s'étaient jamais rejoints. On a aussi lu attentivement À nos amis, le dernier bouquin du Comité invisible. Il est rare de trouver une parole qui sache capter autant de choses de notre époque, surtout avec l'ambition de repenser toutes nos pratiques révolutionnaires, et celle de poser des principes pour un autre vivre-ensemble. On n'a pas été déçu.e.s du voyage, mais on a trouvé suffisamment de choses à redire pour y voir une belle porte d'entrée réflexive.
En parallèle de ce léger pas de côté théorique, on n'a pas lâché un pouce sur les luttes qui ont lieu ici et maintenant et sur celles qui sont à mener. D'abord en allant mettre notre nez au tribunal où, hasard qui n'en est pas un, trois procès de camarades se sont tenus en moins d'une semaine. On a aussi enquêté auprès des mineurs isolés étrangers, traités comme des indésirables plus que comme des enfants. Enfin, ça nous démangeait de commencer à taguer un peu le portrait de l'étoile montante de l'UMP, pardon des "Républicains" : le sieur Darmanin, député-maire de Tourcoing. Vu le gaillard, on risque de le recroiser assez souvent.
Bref, vous avez entre les mains une belle cuvée d'été.
Santé camarades !
Le collectif de la Brique