Regardez bien cette gueule, sur notre couv’. Victorieuse un soir d’élections. Propre sur elle, souriante, télégénique. Derrière, des symboles du pouvoir enflammés. Trois flammes, bleu, blanc, rouge.
Certains y reconnaîtront Marine Le Pen et penseront à la « montée de l’extrême droite », au fameux « séisme politique » qui agite tant les commentaires autorisés. Seulement, cette gueule, ce n’est pas la patronne du FN. Ou pas que.
Une Brique dans la droite et ses extrêmes
Dans nos trois derniers numéros, nos attaques se sont essentiellement portées sur la clique au pouvoir. Campagne électorale oblige, on avait une franche envie d’allumer le bilan d’Aubry et de son clan d’élus sortants. Eux, les principaux artisans de l’embourgeoisement des quartiers, de la marchandisation culturelle, de la domination d’une classe sur l’autre. Bien sûr, on laissait de côté tout un pan de la vie politique. La droite et ses extrêmes turbinaient à plein régime, contre le mariage homosexuel, la « théorie du genre », les Rroms. Aujourd’hui les suffrages ont parlé, il est temps de balancer une Brique à la gueule de cette France puante.
Idéologies de crise
Le contexte actuel a de quoi faire flipper. Il contient tous les ferments d’une révolte sociale, d’une remise en cause radicale du système. Pourtant, celles et ceux qui le gouvernent n’ont jamais autant prospéré. Patrons, politicards, ils sont les véritables responsables, mais ce n’est pas sur eux que se concentre l’hostilité de toute une société tenue par l’austérité et l’exploitation. Non, les ennemis de cette société sont les étrangers, les musulmans et les Rroms. De parfaits bouc-émissaires pour une population qui gronde, doucement gangrénée par une idéologie réactionnaire et raciste. Aucune rupture ici : l’histoire nous montre que l’extrême droite a toujours cherché à profiter des dégâts causés par le capitalisme dans les classes populaires. Royalisme, boulangisme, nationalisme, fascisme, autant d’idéologies qui, en temps de crise, ont tenté de donner le « la ».
Quand la gauche et les médias s’écrasent
Les récents résultats électoraux du Front national ont permis de mettre en avant sa banalisation. D’abord parce que les médias ont accepté et entretiennent, plus ou moins consciemment, la normalisation de ses idées. Leur intérêt n’est pas idéologique, mais économique. Pour une presse aux abois, le fait divers, la délinquance, l’insécurité, l’immigration sont les garanties de sa survie financière. L’info doit se vendre, quitte à faire le jeu de l’extrême droite. Et l’armée de journalistes – y compris la piétaille œuvrant dans les bureaux de la Grand’Place de Lille – qui en tirent salaires et avantages n’est pas du genre à se remettre en question. Comme cette gauche moribonde qui a abandonné le combat et qui regarde, impuissante, ses électeurs passer à l’autre camp. Incapable à présent d’être à l’initiative d’un front antifasciste, pas même de tenir avec un peu de constance quelques « valeurs de gauche », le Parti socialiste n’a plus qu’à boucler son virage à droite commencé il y a trente ans. Et emprunter le chemin de ceux qu’il affrontait jadis.
Traquer l’extrême droite
Si l’extrême droite était seulement un parti politique, une milice, un groupuscule de cathos intégristes ou une bande de nazillons aux cerveaux brûlés, elle serait plus facile à éliminer. Mais c’est bien ce qui fait sa force actuelle : on la trouve partout. Les politiques mises en œuvre pour traquer les sans-papiers et se débarrasser des Rroms n’ont pas été décidées par le FN, qui n’a pas non plus choisi les fonctionnaires chargés de les exécuter sans sourciller. Idem pour la situation à Calais, où les migrant-es sont traités comme des chiens. La droite prétendument républicaine et le Parti socialiste en sont les principaux responsables. La Manif Pour Tous ne réunissait-elle pas autant d’ordures fascistes que de déchets de l’UMP ? Sournoise, l’extrême droite est arrivée près de chez vous, mais on ne voit pas vraiment par où l’attaquer. Si ce n’est en s’attaquant d’abord au système qui lui permet d’exister.
Reprendre le dessus
Ce n’est donc pas des partis politiques au pouvoir que la réplique partira. Pendant notre enquête, une personne interrogée finira même par lâcher – implacable, froide, logique : « De toutes façons les politiciens, c’est comme les patrons : il faudra bien les séquestrer. Pour leur dire "on est là, et si y’a besoin, on reviendra" ». Un bon début, mais ça ne suffira pas. Tous les jours, à l’ombre des pitreries politicardes, des militant-es veillent. C’est d’abord sur ces antifascistes actifs qu’il faut compter, et avec lesquels il faut savoir composer. Car même si nous avons un ennemi commun, nos luttes ne convergent pas toujours. Contre le capitalisme, le racisme, le sexisme et l’homophobie, il faut pourtant frapper partout, et en même temps.