Premier mai 1851. Londres célèbre l’inauguration de la première exposition universelle. L’Angleterre est alors la puissance industrielle et commerciale par excellence, et cette exposition l’occasion de le révéler au reste du monde. C’est « le jour le plus grand de notre histoire », écrit la reine Victoria à son oncle. Dans la ville, 6000 flics et l’armée sont prêts à intervenir. Au cas où l’« underworld » s’immiscerait dans la fête.
Le six mai prochain, Martine Aubry sera la future impératrice des Indes. C’est en effet à cette date qu’elle se rendra à l’exposition universelle de Shanghai pour inaugurer le pavillon « Lille Europe ». Selon ses scribes, « l’enjeu est de taille » car cette « vitrine du Nord-Pas-de-Calais » permettra de « faire découvrir la vitalité économique et culturelle de la métropole, présenter nos entreprises les plus performantes et séduire les chefs d’entreprise chinois » [1]. Le site choisi, loué autour de 50 000 euros la semaine jusqu’au 15 juillet, est un ancien temple taoïste du XVIIe siècle… « Magnifique (…), aux abords des Champs-Élysées shanghaïen », selon la reine [2].
A l’origine, Sa Majesté désirait « un lieu pour [exposer] nos pôles d’excellence économiques », et, pour diriger le projet, c’est tout naturellement vers le prince Didier Fusillier qu’elle s’est tournée. Qui d’autre en effet que ce coq gavé de millions d’euros publics grâce à son association « culturelle » Lille3000 aurait été capable de faire rayonner l’économie de la métropole en Asie ? Représentant au mieux la « gouvernance » aubryiste il n’est ni vraiment un patron, ni vraiment un responsable culturel : il est, simplement, un homme riche. Un grand bourgeois représentatif du « socialisme » lillois. Un grand bourgeois comme il s’en trouva beaucoup, en 1851 dans les allées du Crystal Palace, édifice pharaonique bâti spécialement pour l’occasion.
A l’instar de Victoria, dans une centaine d’années, l’histoire officielle se souviendra de ce six mai à Shanghai comme d’une apothéose du règne de Martine Aubry. Espérons qu’il existera alors un historien pour révéler les dessous insignes de cette « vitrine ». Ainsi de François Bédarida : « Qui, en effet, se préoccupe du revers de la médaille ? Qui prête attention aux victimes – la masse des opprimés et des écrasés ? Qui remarque […] que le jour de Noël 1851, à Leicester Square, en plein cœur de Londres, il est besoin d’organiser une fête de charité pour procurer à dix mille familles indigentes du quartier un peu de roast beef et de plum pudding arrosés d’une tasse de thé ? » [3]
D’ores et déjà, nous pouvons mettre sur la piste cette personne en quête de vérité qui s’égarera peut-être – rêvons un instant – sur ces pages jaunies par le temps : la région Nord-Pas-de-Calais est la plus pauvre de France métropolitaine [4] ; une personne sur six y vit avec moins de 900 euros par mois ; l’hiver, les Restos du Cœur y distribuent près de 15 millions de repas pour plus de 100 000 personnes ; dans un quartier lillois comme le Faubourg de Béthune ou une ville de banlieue comme Seclin, ces chiffres ont augmenté de 10 % cette année…
La « vitrine » de Lille à Shanghai n’exposera pas cela. Elle montrera qu’en France les riches se portent bien, même en temps de « crise ». Elle portera haut l’étendard de ces 11 000 personnes gagnant plus de 500 000 euros par an. Et dissimulera les 8 millions qui ne dépassent pas les 11 000 euros. Cette vitrine, c’est celle de la grande bourgeoisie. Flegmatique et indifférente à la misère.
Le collectif de rédaction