Une fois n’est pas coutume, La Brique parle de « logement » sans « dézinguer » tous azimuts. Pas facile de s’y retrouver dans tous les types d’habitats coopératifs. C’est un peu comme la bière sans alcool, au début ça paraît tout beau, mais l’ivresse n’est pas toujours au rendez-vous.
L’ habitat collectif et autogéré tourne autour de valeurs fondatrices : propriété collective, participation active à la conception architecturale, autogestion du chantier puis du lieu de vie, locaux communs. Ou comment assouvir un désir d’utopie, avec parfois ses limites.
L’habitat partagé nous vient du cohousing, né dans les pays scandinaves et anglo-saxons dans les années soixante. À l’étranger, les squats ont longtemps joué un rôle-clé : auto-récupérations en Italie, système coopératif allemand, anglais ou hollandais.
L’habitat partagé n’arrive en France qu’après mai 68. Parti d’une critique forte du logement de masse et de la maison individuelle, il a abouti à la constitution d’un « tiers secteur de l’habitat ». Aujourd’hui proche de l’Économie Sociale et Solidaire et des idées environnementales, la démarche connaît un certain renouveau, entre les aspirations de certaines catégories sociales et l’institutionnalisation du développement durable dans les politiques publiques.
En France, difficile d’esquiver les institutions
Le fort recours aux institutions est commun aux projets actuels de développement d’habitats groupés. Les Babayagas à Montreuil, Habicoop à Villeurbanne, les éco-villages ou les projets de lotissements municipaux, choisissent toujours de travailler étroitement avec les collectivités (mairie, région) voire les professionnels de l’habitat tels que les bailleurs sociaux. À cette remarque, Thérèse Clerc des Babayagas explique que c’est aussi une manière de contrôler l’usage de ses impôts que d’avoir un impact sur un projet public.
Ce recours institutionnel oblige les projets français à un long chemin, parfois décourageant, certainement démobilisant et politiquement édulcoré. Même au niveau écolo (hyper consensuel), les projets se réduisent parfois à quelques mètres carrés de panneaux solaires pour la bonne conscience.
Les militants de l’habitat groupé ont su toutefois trouver des relais utiles, parfois au risque de devenir une « vitrine-caution » des politiques de logement des institutions, qui ont intégré les principes de bonne gouvernance urbaine à leur doxa faite de « croissance verte », de développement durable, d’HQE et d’éco-quartier. D’où les dangers d’une récupération politique qui amenuise les portées de ce type de démarche.
À quelques exceptions près, le mouvement pour un habitat coopératif apparaît comme disparate et vidé de certaines dimensions politiques contestataires qui en faisaient une alternative.
Utopia [1] es-tu là ?
Il n’en reste pas moins que les coopératives d’habitants peuvent être de réelles alternatives à l’individualisme en cours. Toutes portent dans leurs pratiques une contestation de quelques principes fondateurs du logement en milieu capitaliste. D’ailleurs il faut noter que les loyers des habitats coopératifs sont moins élevés que ceux du marché. En se voulant une réponse à la dégradation de l’habitat, de l’urbanisme et de la vie sociale, ils nous obligent « à reconsidérer les certitudes trop faciles, les rejets et abandons trop rapides de toute utopie : en transformant leur mode de vie personnel, certains de ces groupes se veulent également porteurs de questions et de démonstrations à l’égard de l’ensemble de la société » [2].
Un peu dubitatifs, nous avons porté notre regard ailleurs, notamment en Angleterre ou en Allemagne, où l’habitat coopératif, fruit de luttes sociales et politiques, est autrement plus puissant. Si en France les projets CLIP ou Habicoop revendiquent des valeurs anti-spéculatives et autogestionnaires inspirées du modèle allemand, notre enquête souligne leur isolement.
Deux tendances ?
L’habitat partagé permet également de réfléchir sur les pratiques militantes. Comment rassembler d’une part l’expérimentation de pratiques alternatives de vie quotidienne, et d’autre part un engagement collectif et politique plus large ? S’il permet la première, l’habitat partagé peut-il se priver de la seconde ? Non.
Le mouvement de l’habitat coopératif balance aujourd’hui entre deux conceptions. D’un côté, de façon minoritaire, des projets s’esquissent sur des bases autogestionnaires et coopératives. De l’autre se dessine une tendance où le dialogue avec les institutions se rejoint sur des valeurs environnementales et urbanistiques. Le danger est là : comment éviter de réduire l’habitat coopératif au simple concept d’habitat durable ?