Au-delà du mépris
Ce 16 mars 2012, le communiqué du ministère tombe, odieux : « À l’occasion du 50e anniversaire du cessez-le-feu de la guerre d’Algérie, l’État n’organisera aucune commémoration nationale […] Le 19 mars [...] marque l’amorce d’un drame pour les rapatriés, contraints au déracinement, et le début d’une tragédie pour les Harkis, massacrés dans les semaines qui suivirent ».
50 ans ont passé et l’État français n’a pas changé de discours. Une mémoire instrumentale, partisane et à deux vitesses, qui permet de garder le silence sur les crimes coloniaux commis avant et pendant la guerre. La torture, pratiquée pendant les huit ans du conflit par exemple, ou encore le nombre gigantesque de morts (250 000 selon l’État français, 1 million selon le décompte du FLN en 1964). Cette chape de plomb empêche également de comprendre bon nombre des phénomènes politiques et sociaux d’aujourd’hui : la ghettoïsation des populations maghrébines et immigrées en France ; l’islamophobie galopante héritée de l’organisation coloniale ; la persistance des intérêts économiques et militaires français en Algérie et en Afrique ; la chasse aux personnes sans-papiers, etc.
50 ans ont passé depuis les accords d’Évian et les colonisé-es d’hier continuent d’être les opprimé-es d’aujourd’hui. À Coquelles, une vingtaine d’exilés entament mi-avril une grève de la faim pour protester contre leur enfermement : « Ils nous traitent comme des animaux », écrivent-ils à leurs soutiens. À Bruxelles, ce sont 23 sans-papiers qui n’ont pas mangé depuis plus de cents jours. Dans la presse, pas un mot sur leur désespoir et la lutte pour leur dignité. Parallèlement, dans les médias, les musulman-es continuent d’incarner l’ennemi intérieur. À Roubaix début avril, au lendemain de l’affaire Merah, trois musulmans (forcément présumés terroristes) sont jetés en pâture aux vautours médiatiques. Deux jours après leur arrestation, ils sont relâchés. Le dossier ? Vide. Et pendant ce temps-là, les agressions et les récupérations politiciennes redoublent de violence : « musulmans d’apparence », « civilisations inégales », et tutti quanti.
De l’oubli du massacre algérien au déni de justice, il n’y a qu’un pas. Mais au-delà du mépris, il y a dans l’air comme une perpétuation de la vieille rengaine coloniale et de son racisme culturel. Dans un rapport publié le 24 avril 2012, soit deux jours après le score historique du F-haine, Amnesty International note par exemple : « Les musulmans sont victimes de discrimination sur le marché du travail [...] On refuse aux femmes musulmanes des emplois uniquement parce qu’elles manifestent leur appartenance à une religion […] Dans le domaine scolaire, les restrictions du port de tenues et de signes religieux et culturels ont entraîné l’exclusion d’élèves de confession musulmane. » Une constatation claire qui dessine l’axe de la résistance pour les luttes anti-racistes de demain.
Le collectif de rédaction