On peut penser ce qu'on veut de Macron et son monde, on doit au moins lui reconnaître une chose : quand il commémore, il commémore. Pour les 50 ans de Mai 68, il a mis le paquet. On s'attendait à des réceptions, des interviews de Cogne Bendit, des expos' pavées de bonnes intentions... Pensez donc ! À la place, il nous sert sur un plateau un gigantesque jeu de rôle, une reconstitution grandeur nature, au plus près du réel.
Voyez plutôt. Ces milliers de CRS mis à contribution pour l'occasion, entraînés à rejouer les mêmes affrontements qu'à l'époque : barricades, gazages, matraquages, expulsions, explosions, cassages de « crânes », violences, violences. Avec des nouveautés bien sûr, progrès oblige : caméras, drones, flash-balls, grenades de combat, qui viennent nous rappeler qu’on est bien en 2018. Cinquante ans après, l’État prend toujours autant de soin à mener la guerre contre sa population, mutilant Maxime avec ses armes dernier cri, la grenade GLI-F4 en tête. Les règles du jeu ont été revues et durcies, inscrites dans le nouvel État d'exception permanente.
Toujours complices, les médias ne se font pas prier pour souffler leur mépris sur les braises, avec le vocabulaire obligé : « violences », « prises d'otages », « casseurs ». Même si les ficelles sont grossières, on salue l'investissement des éditocrates politiques (parmi lesquel.les se trouvaient, paraît-il, des professionnel.les du désordre). Après les répétitions de 1995, 2006 et 2009 et la générale de 2016, les discours sont rodés, les éléments de langage sont devenus des réflexes de bons petit.es soldat.es du journalisme d’État.
Et Macron ? Maître du jeu, il s’y croit à fond. Il balance ses pions, renverse toutes les pièces, change les règles quand il veut et finit par envoyer valser le plateau. Il s'attaque à tous les secteurs en même temps : travailleur.ses, étudiant.es, retraité.es, sans leur laisser le moindre répit. Il occupe tout le terrain, passant d'une réforme à une autre comme autant d'invitations à rejoindre la rue. Il a commencé avec la loi « Travaille ! », histoire de remotiver les mobilisé.es de 2016. Puis la CSG pour attirer les retraité.es, ou encore Parcoursup, bombe à retardement pour lycéen.nes. Et il insiste, le croupier de l'Elysée ; il s'attaque aux symboles, pille minutieusement le service public avec le sourire de Machiavel, pour réveiller ce corps mou qu’est la France « irréformable ». Ne serait-ce pas lui qui a soufflé l’idée de « convergence » des luttes ? Pour qu'enfin la tambouille se transforme en un front uni, un adversaire digne de ce nom. Même les fachos les plus bas de front sont appelé.es à jouer leur rôle d’appât à gauchistes.
Avec l'assaut de la ZAD, on change de décor. On envoie des Playmobils™ par milliers, plantés dans la boue, pour écraser des cabanes sous des nuées de gaz. Face à eux la caillasse, le frisson, le feu et les larmes. Enfin des vrai.es vénères !
Depuis le début du printemps, ça pète de partout. Ce mouvement a bien du mal à durer et à gagner les masses. L’époque se veut plus habituée à jouer aux manifestant.es sur Facebook que face aux CRS, peut-être.Peut-être que les gens sont lassé.es de ce genre de jeu. Qu'on a l'impression de rejouer toujours la même partie. Et qu'à la fin, on perd parce qu'on n'a clairement pas le même nombre de cartes entre les mains. Peut-être que c'est la réalité qui nous rattrape. Des corps se réveillent blessés, meurtris, mutilés. La commémoration n’existe pas, nous sommes bel et bien en guerre.
À nous de jouer. Avec nos règles et nos armes.
La Brique
Dessin par Albert Foolmoon