City-Tour... ne pas rond.

 aubry city tourS’il est une expérience lilloise peu connue de ses habitants, c’est certainement le City-Tour de Lille. Vous les avez certainement vus, ces bus sans toit, parcourant le centre-ville pour permettre aux touristes de s’imprégner de la beauté de ses boulevards et d’expérimenter à pleins poumons une spécialité locale : le pic de pollution.


Quand on le croise, le bus du City-Tour a des airs d’aquarium. Depuis le trottoir, nous, petites créatures piétonnes, regardons l’archétype du touriste qui nous contemple passivement, assis et lassé, écouteurs jetables dans les oreilles et appareil photo à la main. Une étrange conception d’une Lille qui fait passer les badauds pour des cons. Pour savoir qui est le poisson rouge de l’autre, La Brique s’est grimée en touriste novice. 23 balles pour écumer les bouchons de Lille pendant une heure.


Une ode aux élites locales


Pour une découverte succincte d’histoire de la ville et de ses différentes architectures, on ne s'attendait pas à une grande rigueur historique et scientifique. Financé par la Métropole, l'attraction ne manquera pas de s'arrêter devant toutes ses merveilleuses réalisations, ça va de soi. Mais on n'imaginait pas à ce point tomber en plein spot publicitaire, à la gloire des hoteliers, des grands bourgeois et décideurs politiques qui verraient bien leur nom sur l'une ou l'autre des avenues de la ville.
À peine avons-nous quitté Rihour que le bus s’arrête, rue Nationale, pour mieux nous laisser admirer « une célèbre enseigne parisienne, synonyme de chic et de bon goût où les anglais et les belges viennent régulièrement faire leurs achats ». Le Printemps, donc, dont on peine à mesurer l'importance architecturale.
La suite du parcours est à l'avenant. On rigole au fond du bus, on gratte les citations à l'arraché tellement le ton est décalé et schlingue le « bon vivre ». À l'image la rue de la soif Massena où « les jeunes viennent discuter autour d'une bonne bière ». C'est sûr que ça fait mieux que : « la rue où la jeunesse dorée s'enfile des pintes jusqu'à en gerber sur les chaussures d'un mafieux local ».


Face à la préfecture -le seul moment où les touristes sortent leur appareil photo vers le palais des Beaux-Arts, on ne peut s'empêcher d'ajouter « la préfecture construite sous Napoléon III où son personnel de qualité sera ravi de vous accueillir entre 9 h et 17 h 30 du lundi au vendredi pour toutes vos demandes de régularisation, son prefet M. Michel Lalande garde jalousement le secret d'une bonne manif réussie ».
Le discours érigé ne manque pas une occasion de pointer les prodigieuses réalisations de la Ville de Lille et de la Métropole, lesquelles ont -n'en doutons point- permis la Renaissance de la ville. Malheureusement, le chauffeur ne pourra pas nous montrer la Maison Folie de Moulins ni celle de Wazemmes, « parce qu’inaccessible en bus ». Mais entre le Palais des Congrès et Euralille, entre l’hospice Comtesse et le quai du Wault, les petites télévisions ne cessent de rappeler aux visiteur.se.s qu’il.le.s sont aussi là pour consommer. « Rendez-vous compte, la petite voix traduite en neuf langues, la Métropole propose plus de 400 hôtels et chambres d’hôtes ». Le casino Barrière fait bien partie du prestige hôtelier local : « vous retrouverez tout le savoir-faire Barrière, en plus de son hôtel de luxe, 125 chambres et 17 suites, un casino dernière génération, quatre bars, un resto etc. "un pôle touristique totalement unique en France", dans un complexe unique de 40 000 m² ». La petite voix ne manque pas de rappeler l'immense humaniste Lucien Barrière fondateur du groupe éponyme.


Arrivé à Euralille, la musique change, on passe aux choses sérieuses : Lille présente son « centre international des affaires », un « vaste projet d'extension imaginé par [le très saint] Pierre Mauroy » conçu par les « meilleurs urbanistes et architectes du monde ». Au passage, on vante « la qualité des magasins de la ville qui attirent chaque jour plus de monde » et pas moins de « 120 boutiques » dans le centre commercial « ouvert jusque tard dans la nuit ». Lille assurément est « entrée dans le XXIe siècle ». Autant d'étoiles dans les yeux qu'on aurait presque envie d'embrasser la vitre du bus. Bref, le City-tour balade autant au sens propre qu'au figuré ses passager.es.


Wazemmes, Moulins, Fives, tu connais ?


Le tour s'achève après une traversé du centre-ville, en passant par la Catho et le Vieux-Lille. Nous descendons du bus, désolés de voir la mine déconfite des touristes belges. Quand on lui demande s'il existe des expositions, des guides ou des visites concernant l'histoire ouvrière locale, L'employé de l'office de Tourisme sèche, « Je suis désolé, il n'y a pas ce que vous cherchez, mais je peux vous donner un plan du bassin minier ». Allez voir ailleurs... à Lille, c'est l'histoire des riches. Pour les pauvres, faut voir dans le Pas-de-Calais (à quand un city-tour à travers le charme pittoresque des corons ?)

aubry city tour


À notre grand dam et aussi certainement à celui des employé.es des archives de la ville, le discours proposé par le City-Tour fait abstraction de la vie des lillois.es , passée et présente. On nous présente une ville qui se serait faite sans ses habitant.es, façonnée par les seuls bourgeois, architectes de renom, et sous l’impulsion de politiques urbaines « visionnaires ». Chercher les mots populaires, ouvriers, pauvres, lutte ou travailleurs est chose vaine. On préfère nous parler de l’extravagance des maisons bourgeoises du boulevard de la Liberté, plutôt que les maisons de briques que nous habitons, les courées ou les caves immortalisées par Victor Hugo himself.
Du passé ouvrier de la ville, il n'en est pas question. On n'évoquera pas les périodes sombres, les bombardements, l’Occupation. Ni de cette architecture faite de brique et d'usines en friches ou raccommodées. À croire que ce qu'il reste de l'histoire de Lille c'est Euralille et ses quartiers gentrifiés. L’histoire est écrite par les vainqueurs dit-on, comme une alliance entre la chambre de commerce et la MEL entre la municipalité et la bourgeoisie locale. Comme dirait Martine Aubry, future ancienne maire de Lille, à propos de Lille2004 et de la fameuse Renaissance de la ville : « Lille2004 nous a fait gagner dix ans »... mais en balançant aux oubliettes 100 ans d'histoire sur l'autel du folklore tertiaire. Et 1400 ans de braderie au passage.


À notre tour, de vous faire la visite, notre visite. Celle des rues stigmatisées par le lourd héritage industriel de la ville. Celle de ses maisons murées, où les fantômes d'une vie culturelle née des squats s'est éteinte à coup d'expulsions. Des luttes oubliées à la vie des quartiers, les énergies multiples et souvent anonymes ont façonné la ville bien au-delà de ce qui constitue son patrimoine officiel. Une histoire dont on passe le temps à nous dire qu'elle est « sale », rangée aux cotés des clichés avec les « beaufs au chômage » les « analphabètes » et « alcooliques ».
À ce discours creux et sans recul, on répond que la métropole fut le théâtre de hautes luttes. N’est-on pas dans la ville où fut composée l’internationale ? L’une des premières villes au monde avec Roubaix à élire un [vrai] maire socialiste et qui a vu naître l'une des plus importantes coopératives ouvrières du pays ?
Certes c’est moins vendeur...

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