L’habitat partagé est en vogue. Même la mairie de Lille en fait la promotion. Malgré cette institutionnalisation, il offre une alternative au modèle dominant de la propriété privée et individuelle. En tout cas pour celles et ceux qui en ont les moyens, dont certains le voient comme un acte politique. Rencontre avec deux collectifs qui tentent l’expérience dans la région.
« La "cense" ça veut dire "ferme" en picard ». Depuis mai, Domitille retape une ancienne ferme à Saméon avec quatre autres personnes. « La Cense Inverse », telle qu’ils l’ont rebaptisée, s’étend sur 3000 m2 avec une maison collective et quatre individuelles. Pour Domitille, auparavant propriétaire d’un appartement, l’idée était de mutualiser tout ce qui a trait au logement, par exemple « pour faire les travaux ensemble ». En témoignent les chantiers collectifs qu’ils organisent chaque week-end et qui peuvent réunir jusqu’à trente personnes, venues pour aider mais aussi pour apprendre.
Des propriétaires comme les autres ?
« Les agents immobiliers ne comprenaient absolument pas ce qu’on voulait », explique Joël de « La Lézarde » qu’il partage avec sa propre famille et une autre à Ronchin. Acheter, c’est la première étape et peut-être la plus compliquée. D’abord parce qu’il faut de l’argent. Ensuite parce qu’il faut dialoguer avec les banquiers et notaires. « Au niveau de la banque, souligne JB de "La Cense", c’est plus facile d’être un couple pour emprunter une somme importante que d’être cinq, tous en CDI… »
Pour le moment il n’existe pas de statut juridique spécifique à l’habitat partagé [1]. « On a essayé de voir si on pouvait être dans une propriété mutuelle », se souvient Caroline de « La Lézarde » qui a pris, finalement, la forme d’une copropriété. Quant à Domitille et ses cohabitant-es de Saméon, le choix s’est porté sur une société civile immobilière (SCI). Quitte à concéder une hypothèque. « Les banquiers nous ont fait bien casquer sur les garanties », déplore Guillaume.
Expérimentation sociale
« Quand les gens me disent qu’on vit en communauté, je dis non, lance Cédric de Ronchin. Mais en même temps ça demande une imbrication dans la vie de l’autre. On ne peut pas nier qu’il y a un côté communautaire ». Faire l’expérience de la vie collective ou de la mutualisation représente une alternative, mais pas forcément une subversion. Les cohabitant-es de « La Lézarde » ont beaucoup réfléchi à la question. « Moi j’avais besoin d’un projet qui me porte », raconte Laurence. Et où les enfants auraient autant voix au chapitre que les adultes. « Il y a une cellule qui s’est créée », explique Cédric pour illustrer le fonctionnement des gamins, « à leur manière », voire à certains moments « en autogestion ».
Mais ce n’est pas seulement entre quatre murs qu’un projet comme « La Lézarde » peut s’affirmer politiquement. Ouvrir l’habitat sur l’extérieur, en créant un « centre social autogéré », semble essentiel à ses cohabitant-es. Avec un local donnant sur la rue, grâce à une vitrine héritée d’un ancien salon de coiffure, « La Lézarde » a de quoi créer son « Vivarium ». Une association autogérée, sans bureau, par les cohabitant-es et des membres extérieurs comme Xavier : « L’objectif du local c’est d’en faire un espace mis à disposition, ouvert sur le quartier, et qui fonctionne sur la base de l’éducation populaire ». L’habitat peut aussi se partager… en posant quelques briques militantes.
Pour en savoir plus : voir La Brique n°22 sur l’habitat coopératif. Pour joindre les collectifs rencontrés : lacenseinverse [at] herbesfolles.org et la.lezarde [at] herbesfolles.org.
[1] Depuis la rédaction de cet article, deux nouveaux statuts juridiques spécifiques à l’habitat participatif ont été créés par la loi Alur adoptée en février.