En marge du système, des personnes s’organisent pour habiter sans payer de loyer. Squats de SDF, squats de punks, squats de migrant-es, squats d’habitation, squats ouverts. Le squat est une pratique à plusieurs visages, entre nécessité sociale et choix politique. Discussion avec quatre squatteurs lillois qui ont décidé de partager cette condition.
Le squat, ça peut germer dès l’enfance de manière assez inattendue : « C’est sans doute parti du goût d’une organisation collective des Éclaireurs de France où on m’a appris à vivre en autonomie », explique Michelin. Même si pour lui comme pour Baptiste, Camille et Gabi, les premiers rapprochements avec le squat se sont faits vers vingt ans avec des amitiés et des luttes. Libres paroles [1] pour les uns, CPE, mouvement contre la réforme des retraites ou manifs lycéennes pour les autres. Autant d’occasions de découvertes et d’ouverture, de construire « une base d’organisation pour la lutte », un « lieu d’activités » ou encore un espace de liberté « pour faire notre musique ». Si « squatter s’est imposé comme une évidence », c’est particulièrement grâce à des liens affinitaires forts. Michelin parle de sa clique avec laquelle il a ouvert ses premières maisons : « On avait grandi ensemble, on passait notre temps ensemble, quand le squat nous est apparu, on s’est dit qu’on pouvait aussi vivre ensemble ». Et puis « il y a un nombre hallucinant de maisons vides ». Alors pourquoi se priver ?
Squatter « c’est un choix de vie » pour Baptiste. Mais ouvrir une maison, ce n’est pas spontanément à la portée de chacun-e, « des gens plus expérimentés te conseillent pour bricoler, brancher l’eau, l’électricité. On ne connaissait rien, il faut de la transmission. » Au-delà de ces aspects pratiques, « transgresser la propriété privée » n’est pas non plus une évidence. « Le premier blocage, c’est la barrière mentale ». Il y a un rapport frontal à assumer face à la loi et la police, « ça rebute, ça prend de l’énergie, c’est flippant. » Michelin ajoute : « Les premières semaines, il y a toujours du stress. Parfois, même si on se sent légitime à être là, il reste de la peur. » Ouvrir une maison débute par un repérage. On trouve beaucoup de maisons vides dans le sillage de la gentrification des quartiers. Il est nécessaire de prendre des précautions de base : « S’assurer que la maison soit bien vide, faire gaffe aux maisons meublées », car ces dernières peuvent transformer une simple effraction en tentative de vol. Une fois à l’intérieur, il est nécessaire d’attendre « 48h de délai et de prouver qu’on habite là [2], comme ça il faut une décision du juge pour expulser » [3].
Le squat c’est donc presque avant tout une histoire de bande, de famille, un élan collectif émaillé de solidarité pour fuir « les résidences étudiantes et les chambres de bonnes », pour habiter avec des ami-es « dans une grande maison avec un jardin », « échapper à des conditions d’existence que la société impose », « pouvoir offrir l’hospitalité à d’autres personnes », « se brasser avec des gens d’horizons différents », « apprendre à bricoler », « apprendre à vivre avec le moins de thunes possible ». Remplir une bâtisse à l’abandon de possibles. Et mille choses encore qui construisent des résistances, portent la réappropriation d’espaces de liberté et d’une autonomie dont on nous prive.