Après le LEM, c’est au tour du Zem ! Menacé de se retrouver à la rue d’ici la fin de l’année, le théâtre de quartier de Wazemmes vit une période de chamboulement… Sur place, une équipe motivée pour ne rien lâcher nous raconte les dix années d’existence de l’association, ses hauts et ses bas. Alors le Zem, même pas mort ?
En 1986, un collectif de cinq metteurs en scène amateurs loue un lieu rue Brûle Maison à Lille. Le « Théâtre des Nuits blanches » leur permet de présenter des créations. D’amateurs en professionnels, les membres sont de plus en plus nombreux à venir remplir la programmation. En 1999, Claude Saint-Paul, membre du collectif, crée une Société Civile Immobilière pour acheter à plusieurs - il apporte néanmoins l’essentiel du fric - un local supplémentaire, le futur « Zem théâtre », au coeur de l’îlot Flandre. Il loue le lieu à une association, « Les nuits de Wazemmes », dont il est le président jusqu’en avril 2008, date à laquelle il démissionne... avant de revendre subitement les locaux en juillet.
Mais durant dix ans, le lieu vit, il a même plusieurs vies : représentations de jeunes troupes, ateliers de théâtre, scènes slam, vie de quartier, etc. Assez vite l’association compte une trentaine de bénévoles et trois postes salarié-es. D’actions plus axées sur le quartier à une vie beaucoup plus centrée sur l’aspect artistique, le Zem oscille, cherche et trouve une certaine place...
Cour ou jardin ?
Côté théâtre, la ligne de conduite fixée dès le départ par Claude Saint-Paul était de faire du Zem un tremplin pour les compagnies émergentes. À l’époque, le chargé de théâtre à la DRAC, Denis Declerck, soutient le Zem. Il permet la signature d’une convention pluriannuelle et incite C. Saint-Paul à devenir expert-DRAC [1]. Selon Clément, ancien salarié de 2002 à 2006, « le Zem n’a jamais été en odeur de sainteté avec les autres institutions. Mais le fait qu’il y ait cette convention avec la DRAC, et bien les autres financeurs suivaient dans les financements... Attention ils n’ont jamais été importants, mais ça permettait au Zem de vivoter ». À l’inverse, la mairie de Lille ne semblait pas forcément partie prenante. En 2005, la première fois que l’adjointe à la culture, Catherine Cullen, entre au Zem, c’est avec la commission de sécurité pour un contrôle ! Clément ajoute que « les autres élus, on ne les a jamais vuss, à part Poliautre qui est venue une fois lors de la fête de quartier. Il faut dire aussi que le Zem n’a jamais fait de la lèche à qui que ce soit, surtout au PS. Jamais on a participé à des tables rondes pré-électorales pour servir de caution, personne de l’asso n’était encarté, jamais on n’a envoyé des invit’ pour des spectacles. »
Si le théâtre est reconnu pour son rôle de tremplin au niveau régional, les anciens salarié.es déplorent un fonctionnement qui aurait pu être davantage collectif. Ainsi Boris affirme que « Claude choisissait seul les compagnies à mettre sur la programmation ». Chapeautant la petite équipe une fois par semaine, « il se chargeait des choix stratégiques et politiques ». Pour le reste, les salarié.es, étaient seuls responsables : gestion administrative polyvalente, ateliers de théâtre, communication, actions de quartier, etc. D’ailleurs, selon Nicolas, l’actuel salarié, formation sur le terrain et expérience permettent de rebondir par la suite. « Le Zem, c’est un moyen de faire ses armes aussi bien pour les compagnies émergentes, que pour les salariés. »
Côté quartier, les salarié.es de la période 2002-2005 tentent d’instaurer une dynamique. D’après Clément, « entre le moment où on a commencé et quand je suis parti, c’était flagrant, le nombre de voisin.es aux spectacles, dans les ateliers, dans les actions qu’on menait a clairement augmenté. Et puis plus globalement, les gens du quartier ont compris qui on était, ce qu’on faisait et pourquoi. Seulement voilà, pour que ça marche, il faut inscrire l’action sur la durée... » Mais par la suite, C. Saint-Paul aurait décidé de consacrer le Zem sur le développement artistique et l’aide aux jeunes troupes : « En quelques mois, il a cassé ou fait en sorte de casser les outils qu’on avait mis en place... ». Mais les salarié.es qui ont pris le relais, avouent avoir eux-aussi davantage porté leur action sur l’aspect théâtral.
Depuis son arrivée en fevrier, Nicolas tente de relancer ce travail mais pointe la difficulté de dépasser un « a priori élitiste et bourgeois » que les habitantes et les habitants du coin peuvent avoir vis-à-vis du théâtre. « Il suffit qu’un spectacle gratuit ne soit pas compréhensible, pour que les habitants ne reviennent plus. » Le Zem a donc encore du mal à se repositionner en véritable théâtre de quartier. Néanmoins les occasions de mobiliser le quartier sont toujours là, des quartiers d’été à la fête des voisins, en passant par le festival « Découvertes autorisées », ou avec la reprise récente de la publication du journal de quartier, Le VoixZem [2]..
Cultures et concurrences
Néanmoins depuis plus d’un an, le Zem s’épuise. Des salarié.es en fin de contrat renouvelés partiellement, un nombre de bénévoles en diminution. À cela s’ajoute une sorte de « concurrence culturelle » dans le quartier. Avec Lille2004 et la naissance des Maisons folies, « il y a dix fois moins de dossiers de compagnies [professionnelles], c’est plus difficile de remplir la grille de programme, on rappelle d’anciens contacts... », reconnaît Nicolas. Le désengagement latent de l’Etat, avec notamment la menace du retrait des 15 000 euros de la DRAC (cf. encadré), peuvent fragiliser l’équilibre financier du Zem dont le budget global (environ 120 000 euros) est très dépendant des subsides publics.
On est donc au coeur d’une « période à haut risque » lorsque C. Saint-Paul démissionne puis revend les locaux. « Je suis près de ma retraite, je souhaite réorganiser ma vie autrement », se justifiera-t-il au téléphone. Toujours est-il que sa décision surprend tout le monde lorsque le panneau « à vendre » fleurit sur la façade bleue, fin juin. Remplacé par « vendu » mi-juillet...
L’équipe commence à s’inquiéter quant à l’avenir du théâtre. Pas l’ex-propriétaire qui nous assure : « J’ai essayé de faire en sorte que l’acheteur ne soit pas n’importe qui, quelqu’un qui continue l’aspect théâtre ». Les potentiels acheteurs seraient membres d’une association, prête à partager les lieux. Et C. Saint-Paul en rajoute une louche : « Que les bénévoles [du Zem] passent d’une association à une autre, peut-être qu’il faudra faire ce pas-là. C’est pas une catastrophe de passer d’une asso qui depuis un an et demi, deux ans, est en train de mourir, à une asso qui s’amuse, qui fait de la joie et du bonheur, il faut attendre de connaître les autres. » Réflexion plutôt « déplacée » et qui aurait le don d’énerver l’équipe du Zem qui reçoit un préavis annonçant la fin du bail en décembre, alors que la saison est programmée jusqu’en juin !
Vigilance !
« C’est dégueulasse, mais ça peut amener une colère constructive », se persuadent les uns et les autres au sein de l’association. Pour l’instant rien n’est sûr quant aux solutions à apporter : partager les locaux avec la nouvelle asso ? Trouver un nouveau lieu ? Dans tous les cas, l’association maintiendra jusque décembre la programmation du Zem et les ateliers du « Théâtre de poche » [3].. Mais au-delà ? « C’est-à-dire que pendant une période ça va être difficile, y’a plus Claude qui fait tout, va falloir bosser, va falloir négocier avec d’autres, va falloir s’ouvrir ... », nous dit sans rire Claude Saint-Paul ! Clément nous confirme que pour ce dernier, le Zem « ça a été sa vie... Il y a consacré tout son temps, son énergie... Et ça arrive souvent que certaines personnes qui ont un rapport aussi proche avec leur projet, quand ils n’en peuvent plus et qu’ils décident de partir, ils préfèrent que l’action s’arrête plutôt qu’elle continue avec d’autres ». Sauf qu’à première vue, l’équipe semble prête à relever le défi. D’autant que le départ du président-propriétaire pourrait laisser plus de place à l’initiative, à un réel fonctionnement collectif... et attirer de nouvelles personnes motivées, du quartier ou d’ailleurs. Alors résistance et « vigilance » seront sûrement les ingrédients d’une longue vie au Zem !
S.H et S.G
Contacts :
Zem Théâtre, 38 rue d’Anvers à Lille
Théâtre de Poche, rue Brûle maison à Lille
theatrezemAROBASEfree.fr ou 03.20.54.13.44 Site internet : http://zemtheatre.free.fr
[1] Il fait partie de celles et ceux qui assistent aux premières des nouvelles troupes de la région et donnent leur aval pour les subventions à verser. La Direction régionale des Affaires Culturelles (DRAC) est l’institution qui fait référence pour les financements dans le domaine de la culture.
[2] À noter également, les tarifs réduits à 4 euros lors des représentations pour les habitant.es de l’Ilôt Flandre, à 5 euros pour les précaires, contre 7,50 euros le tarif plein
[3] Ex-Théâtre des Nuits blanches, rue Brûle maison