L’Univers et L’Hybride sont deux lieux hors normes de diffusion de films. Les fréquenter, c’est s’aventurer dans des recoins du 7e art peu visibles ailleurs sur la métropole lilloise. Voisines de quelques centaines de mètres, voici deux salles où vivre de singulières expériences de cinéma.
L’Univers : Une salle, des associations
Ouvert au début des années 1990, L’Univers fut d’abord un cinéma art et essai de quartier (Moulins-Lille). N’ayant jamais vraiment décollé comme tel, il ferme en 1995. Le lieu n’est alors occupé que pour quelques événements ponctuels. En 1999, diverses associations se regroupent en collectif pour faire revivre cet équipement sous le nom officiel de « L’Univers(Cité) ».
D’emblée, dans cette association d’associations, c’est un système de co-autogestion qui est mis en place. Les associations ayant toutes un rapport à l’image (fixe ou animée) investissent la salle de projection (85 places) ou l’espace d’exposition. La municipalité lilloise, propriétaire des lieux, prête gratuitement les locaux et alloue une subvention1 pour les frais de fonctionnement généraux. Adhérer à l’Univers, pour une asso, suppose un engagement sur différents plans : du conseil d’administration jusqu’aux travaux de peinture en passant par les comités de programmation. Depuis 2002, un salarié est chargé de coordonner la plupart des activités : réunions, entretien des locaux, expositions, projections... En revanche, la programmation ainsi que l’organisation des soirées, la mise en place des expos ou la tenue du bar incombent intégralement à chaque association adhérente.
Une programmation éclectique
L’organisation pluri-associative est à la fois la grande qualité du lieu et son défaut majeur : on manque de repères et il faut une certaine habitude pour commencer à reconnaître les caractéristiques de chaque association programmatrice. Du coup, on a parfois du mal à comprendre la logique du programme qui ressemble à une mosaïque chatoyante. L’absence d’identité arrêtée induit des atmosphères très différentes suivant les soirées : on voyage, au-delà des clichés, de l’Amérique latine à l’Afrique de l’ouest, on se retrouve dans un débat très engagé (à gauche) ou dans une ambiance de ciné-club tranquille... Dans ce dédale, il est souvent bon de se perdre car perdurent toujours convivialité et bonne humeur. Mais c’est encore mieux pour qui a pris ses marques.
Une salle pour initié.es ?
« Certains trouvent le lieu trop fermé », reconnaît Jean-Louis Pellé, coordinateur jusqu’en août dernier. La raison ? « Les projections attirent souvent un public de réseau ». Il est aisé de comprendre qu’une personne venue seule puisse parfois se sentir à côté de la plaque alors que tout le monde semble se connaître. Dans les nombreuses salles de ciné où règne l’anonymat, il est sûr qu’on partage au moins une situation de solitude. A L’Univers, en revanche, la sociabilité est forte. L’effet pervers est le cloisonnement des publics : chaque association attire un public spécifique qui se déplace peu pour assister au programme des autres. L’Univers serait donc composé de galaxies qui s’ignorent ? En tout cas, curieux et curieuses ne peuvent que se réjouir du nombre de planètes audiovisuelles et cinématographiques à explorer. Equipé aussi bien en vidéo-projection qu’en projection filmique classique, ce « centre de l’image », où l’échange et le débat comptent tant, a une programmation plutôt orientée sur le documentaire (militant notamment) mais le cinéma expérimental y trouve aussi sa place ainsi que les longs métrages de fiction, les pépites de l’animation, les cinés-concerts…
Créer du collectif
Pallier le défaut de dynamique inter-associative est l’un des soucis du conseil d’administration actuellement. Trois éditions des « 22 heures de L’Univers » ont ainsi concrétisé l’idée de proposer quelque chose qui soit signé « L’Univers » en nom propre. Cet événement au long cours n’est pas de la responsabilité d’une seule association mais du collectif. Ainsi, il s’agit de passer d’une logique de lieu comme instrument à une logique de lieu collectif, en fédérant les différents membres dans une démarche commune. « Ces " événements" sont aussi l’occasion d’ouvrir le lieu aux personnes non rattachées à une des associations programmatrices », remarque Mickaël, du collectif « Questions Collectives ». « Individuellement, même si on ne fait pas partie d’une association adhérente, on peut ainsi participer activement à la vie du lieu. » C’est également dans cette perspective que L’Univers recrute en ce mois de septembre : renouvellement du poste de coordination et, nouveauté, création d’un poste de « médiateur culturel ». Cette dernière mission devrait permettre de développer les actions en partenariats avec les habitant.es, structures et associations du quartier pour que L’Univers rayonne toujours plus.
1 : Qui atteint les 45 000 euros aujourd’hui.
Le site de L’Univers.
L’Hybride, un vraie fausse salle de cinéma
Depuis mai 2007, il faut compter à Lille avec un nouveau « lieu culturel dédié à l’audiovisuel », comme le définit son président, Antoine Manier. Situé à deux pas du parc J.B. Lebas, L’Hybride, c’est d’abord un drôle d’endroit. Pas une salle de cinéma en tout cas, vu qu’elle n’en possède ni l’équipement de projection1, ni l’architecture. La grande salle de 200 m² (un ancien garage) fait office de point d’accueil, de boutique, de bar, de lieu d’expo et de salle de diffusion ! Chaque élément est réparti dans un espace circonscrit mais rien n’est cloisonné. Ici, pas de fauteuils individuels alignés mais des canapés de salon du plus moelleux au plus rigide. L’activité est à l’image du lieu où s’est égaré un piano à queue blanc : diversifiée, profuse et atypique.
Une programmation aux petits oignons
La programmation bimestrielle s’articule autour de temps forts récurrents : « cartes blanches » à des associations ou des maisons de productions invitées, « la pépinière, écran ouvert aux talents d’ici » qui promeut la production locale, dimanches après-midi pour les enfants, films grand public le jeudi soir… Surtout, représentant environ la moitié du volume de programmation, une thématique (l’absurde, la bouffe, l’addiction actuellement…) est à chaque fois déclinée sous forme d’une exposition plastique, de ciné-concerts, et de films en tous genres, longs ou courts métrages.
Images et paroles
Les membres de l’association Les Rencontres audiovisuelles ont voulu sortir du simple événement en créant L’Hybride. Ils étaient frustrés par le caractère ponctuel des festivals qu’ils organisaient et organisent toujours, Festival international du court-métrage et Fête de l’animation. « Faire tourner une salle à l’année », explique Antoine Manier, « permet de gagner en liberté de programmation. On n’est pas tenu à un format ou à une ligne éditoriale. Et on peut prendre plus de risques dans ce qu’on propose. ». En outre, l’équipe fondatrice tenait à créer un véritable lieu de convivialité centré sur l’image. Cela prend par exemple la forme d’auberges espagnoles. Régulièrement, les gens se retrouvent pour causer autour des trucs qu’ils ont rapportés à grailler ou des casse-dalle vendus comme tous les soirs au bar de L’Hybride. L’auberge espagnole, c’est la version vaguement formalisée de ce qui se joue souvent après la projection : échanges entre les salarié.es, les bénévoles et le public, sans distinction de statuts. Cela dit, à L’Hybride, on ne parle pas de public mais d’adhérent.es.
Une place de choix pour les adhérent.es
L’adhésion à l’association (4 euros pour un mois de date à date) est obligatoire d’un point de vue légal : elle permet d’accéder librement et en permanence au lieu quelle que soit la soirée. En journée, on peut aussi venir visionner des productions souvent diffusées dans les festivals des Rencontres audiovisuelles. Cependant, la vidéothèque (200 films au catalogue) peine encore à décoller. Au-delà d’une offre de services, l’adhésion permet aussi de s’intégrer pleinement à la vie de l’association. Certain.es rejoignent l’équipe qui s’occupe du bar, d’autres le comité de programmation. « Celui-ci élabore le squelette de programmation de manière collégiale. Cependant, les soirées sont prises en charge par une ou deux personnes, bénévoles ou non », explique Antoine Mannier, « avec l’appui logistique et technique d’un.e des quatre salarié.es ». Au minimum une projection est précédée d’une présentation du film, mais il se peut aussi qu’un débat soit proposé voire une rencontre avec un.e membre de l’équipe du film.
Avenir incertain ?
Financièrement, l’Hybride fonctionne avec peu de moyens : une micro subvention municipale (1000 euros), les recettes du bar surtout, mais aussi les adhésions. Les emplois salariés sont eux financés dans le cadre du FSE (Fonds social européen). Pour l’heure, ça tourne, dans une économie certes fragile, et on souhaite que ça continue avec la même exigence de programmation.
1 : Les films sont diffusés via un vidéoprojecteur, ce qui fait parfois bondir celles et ceux qui ne jurent que par la pellicule.
Le site de L’Hybride.