« Opération résilience » : pendant la crise, même Macron aura proclamé l'intérêt d’un organe de santé public où il est possible de se faire soigner quels que soit son âge, son genre ou son salaire. Mais la gratitude doit-elle se borner aux applaudissements de 20h ? Au-delà de la sollicitude spectaculaire, La Brique est allée prendre des nouvelles des soignant.es rassemblé.es fin mai devant l’hôpital Calmette.
(article écrit en janvier 2020)
La Brique : Comment la période du confinement a-t-elle été gérée au CHR de Lille ?
Tout était vraiment en sur-tension, mais on a toujours réussi à garder une marge de manœuvre sur les lits de réanimation sur le territoire, entre les hôpitaux de Valenciennes, Douai et Lille. On a transformé des services de soins intensifs en réanimation-covid. Nous n’avons pas eu la vague que nous craignions tant.
à un moment, nos services de réanimation étaient pleins. Les services d’intervention continue ont été transformés pour augmenter la capacité d’accueil. On est arrivé à la limite au moment où on parlait de transformer les salles de réveil. Nous savions parfaitement que les conditions de réanimation en salles de réveil collectives, allaient être mauvaises. Nous avons réussi a éviter cela.
Le matériel a posé un gros problème. Nous sommes tombé.es en panne de sur-blouses jetables. Un prototype fut créé avec le concours d’un industriel local, qui a confectionné des sur-blouses en plastique qui protègent, pas plus imperméables que le plastique. Mais en terme d’ergonomie au travail, c’est une véritable catastrophe. Le corps ne respire pas. Les stocks de curare (ndlr : médicament utilisé en réanimation et anesthésie) ont été réquisitionnés par l’État qui craignait une pénurie, ce qui a suspendu l’activité des blocs opératoires, occasionnant des pertes de chances de guérisons ou de survie.
LB : Le confinement fini, quel est le moral des soignant.es et personnels de l’hôpital ?
Les collègues ont affronté la crise. Maintenant, on a très peur des conséquences psychologiques. Beaucoup de collègues sont abîmé.es dans leurs convictions professionnelles. La crainte maintenant est celle des démissions après la crise. On va laisser passer l’été. Ils ont besoin de reconstituer leurs forces de lutte. Certain.es collègues disent « non, cette fois c’est trop, depuis le temps qu’on le dit. On a été ni entendu.es, ni écouté.es. Quand il a fallu y aller, on y est allé.es. Et là on continue à nous dire que tout va bien dans le meilleur des monde. » E. Phillipe ose dire : « l’hôpital n’a jamais été débordé ». Ils ne sont pas venus, ils n’ont pas vu.
Il faut qu’il se passe quelque chose dans la conscience collective. Il s’est passé quelque chose d’extrêmement grave et de pas normal.
LB : Quelles étaient les conditions de travail durant cette période particulière ?
Suite à l’État d’urgence sanitaire, plus besoin de consulter les instances du personnel. Dans des services, les organisations de travail sont passées à deux fois douze heures.
Cela signifie 12h de travail pour 12h de repos, auxquelles il faut retirer le temps de trajet et souvent les dépassements pour les transmissions [de poste]. L’amplitude de travail dépasse les 12h, ce qui est illégal. Ceux qui étaient en 8h passent en 10h. Ils ont même tenté sur une unité de production de restauration (ndlr : plateaux repas) de passer les organisations de travail en journée de 7h.
Ce qui permet d’étaler le temps de travail. Il n’y a donc plus de RTT, de jours de repos compensateurs, etc. Lisser le temps de travail permet de faire venir les gens beaucoup plus souvent. Les agent.es se sont opposé.es à ça, la direction a du reculer. Mais pendant la crise, les agent.es se sont surtout dit : « il faut y aller on a pas le choix ». On attend de voir, maintenant que l’on peut commencer à prendre du recul, si oui ou non ces organisations de travail vont être remises en cause.
LB : Les personnels vont toucher la prime des 1500 euros annoncée par le gouvernement ?
Sur la prime, l’établissement semble appliquer le décret. Cependant elle n’est pas du même montant d’un territoire à un autre, d’un.e agent.e à un autre. Durant cette période les contractuel.les devaient faire 30 jours équivalent temps plein pour pouvoir y prétendre. Pour tous.tes les autres, s’il y a plus de 15 jours d’absence, il y a un abattement de 50%. À partir de 30 jours d’absence, l’agent.e ne touche rien.
Dans ces absences sont prises en compte tous les arrêts maladies qui ne sont pas en lien avec la Covid, ainsi que les accidents de travail. C’est particulièrement injuste : on parle tout de même d’être victime d’un accident de travail.
Pendant le confinement les hôpitaux ont mis en place un système d’autorisations « d’absences exceptionnelles » pour permettre aux agent.es de rester chez eux.elles si iels n’étaient pas indispensables à l’activité d’un service. Afin de former une armée de réserve, si jamais le « premier front » s’effondrait. Rappelons qu’à ce moment-là, nous n’avions aucune idée de combien de temps cela allait durer. Préserver la santé des agent.es et limiter la propagation du virus entre personnel soignant tout en préservant une ressource humaine supplémentaire si jamais les services avaient besoin sur le long terme était nécessaire. Et aujourd’hui, on nous dit que ces absences-là, nécessaires, ne sont pas comptées.
Mais nous nous attendons à une usine à gaz et des agent.es laissé.es pour compte. Le véritable drame c’est qu’iels ne sont pas informé.es ou mal. C’est ainsi qu’iels passent à côté de leurs droits. Notre enjeu prioritaire est d’informer un maximum pour que le moins d’agent.es possible soient lésé.es de leurs droits. Une des grosses difficultés que nous rencontrons, c’est d’informer ces contractuel.les qui sont parti.es.
LB : Le budget de l’hôpital public va être impacté par cette crise sanitaire ?
Il y a eu des investissements pour absorber l’activité, donc des frais supplémentaires. Mais nous sommes payé.es « à l’acte »1, à l’activité, or 60% de celle-ci a du s’arrêter pendant cette période pour pouvoir faire face à la pandémie. La question reste : comment va être financé l’activité de l’hôpital durant la période ?
Ici nous sommes 16 000 agent.es au CHU. Du côté de la CGT, nous avions chiffré le coût de la prime exceptionnelle à 22 millions, l’administration a calculé 20 millions. Des chiffres qui se valent.
L’hôpital nous dit avoir touché de la part de l’État seulement 40% de ce chiffre. Un acompte dont le reste sera versé ultérieurement. Il ne faut absolument pas que le paiement de cette prime soit à la charge de l’hôpital ! Sinon, une fois de plus, c’est nous donner une pelle pour creuser notre trou !
L’enjeu principal du Ségur de la santé devrait être le financement de l’hôpital. On réclame des effectifs, du matériel et de meilleures carrières, c’est bien évidement légitime. Cela représente de l’argent toutefois. Cet argent, où va-t-on le chercher ? Quand y aura-t-il un véritable choix politique donnant la priorité à la santé? Quand cessera-t-on de nous faire travailler dans des enveloppes budgétaires fermées dont on sait tous.tes pertinemment qu’elles creusent le déficit de nos lieux de travail ? C’est la stratégie politique pour détruire l’hôpital public à l’œuvre depuis 30 ans.
Propos recueillis par Sacha Peurh
Dessin : Lid
1. « Urgence au CHU» , La Brique n°60, Invisibles et pourtant... on est là, automne 2019