Au rayon des grands vœux pieux, l'objectif « zéro SDF » tient le haut du panier : Sarkozy, Hollande puis Macron s’y sont « engagés », à peu de frais. En pleine veille saisonnière, on a rencontré quelques salarié.es du secteur de l'hébergement. Entre grands principes et réalité de terrain, passage à la loupe d'un secteur où les acteur.trices se retrouvent à essuyer le manque de moyens et les politiques puantes.
« Refus d’être logés » (Castaner), « 50 SDF en Ile-de-France » (Denormandie), « choix de rester à la rue » (Maillard) : le gouvernement a récemment tenté de se déresponsabiliser en minimisant et en individualisant les problèmes du secteur de l’hébergement. Raté : les chiffres sont accablants. Dans le Nord, en novembre 2017, 3 587 personnes ont appelé le 115, et 87 % d’entre elles n’ont pas été hébergées… Avec un taux global de réponses positives d'à peine 6 % sur le mois, c’est le pire taux du pays avec le Rhône qui est à 7 %. À titre de comparaison, Paris compte 25 % de réponses positives1.
Principes et réalités
Le droit à l’hébergement diffère du droit au logement. Le secteur est régi par deux grands principes : l'inconditionnalité et la continuité. Autrement dit, toute personne en détresse qui le demande devrait pouvoir être hébergée, sans discrimination et sans être remise à la rue sans solution. La récente circulaire Collomb (voir encadré) est d’ailleurs une attaque directe à l’inconditionnalité et à l'éthique du secteur : « c’est du travail de flic », nous dit une éduc’.
Dans les faits, l’accès à ce droit fondamental est un parcours du combattant permanent. Les personnes à la rue doivent appeler quotidiennement le 115 pour prouver qu’elles ont besoin d’un toit. Des listes d’attente sont créées pour gérer la demande, et sont enregistrées dans un logiciel qui centralise les places disponibles et les demandes reçues. Les informations personnelles y sont aussi disponibles, formant un casier et un historique pour chaque deman-deur.se, au mépris de son droit à la vie privée.
Et les règles sont strictes. Un éduc’ nous explique qu'en cas de « défaut d'appel pendant un mois, tu perds ton ancienneté », pour un logement temporaire, par exemple. Il ajoute que « pour un changement de région, c'est mort aussi ». Les temps d'attente sont longs : en moyenne, trois mois pour de l’urgence… Sa collègue ajoute : « Aujourd'hui en CHRS [centre d’hébergement et de réinsertion sociale], on prend des gens avec une ancienneté de 2011-2012 ».
Un logement, ça se mérite !
Autre différence avec le logement : en hébergement, on n’est pas titulaire d’un bail mais accueilli.e par une structure spécialisée. La précarité est institutionnalisée, et presque constitutive du secteur. En témoignent les durées d’accueil : deux semaines pour l’hébergement d’urgence, six mois renouvelables en « insertion ». Pas de bail donc, mais un « contrat d’admission » signé à l’entrée, dans lequel on s’engage dans un « projet d’accompagnement ».
Un éduc’ nous dit que, sur le papier, les foyers ont pour mission « d'abord d’héberger puis de réinsérer ». Mais certains veulent l'inverse. Un autre éduc' renchérit : « ils veulent des SDF propres, sans chiens, qui prennent leurs traitements. Ils se donnent le choix alors qu'ils ont pas le droit de le faire ». On nous rapporte aussi des entretiens de pré-admission (normalement interdits) et des refus tout aussi illégaux, qui concernent en particulier les personnes sous traitement ou dépendantes, parce qu'elles seraient plus « difficiles à gérer ».
Pour les personnes accompagnées, les principes éducatifs et les exigences se renforcent à mesure que l’on progresse dans les parcours d’insertion. Historiquement, le secteur s’est construit sur le modèle de « l’escalier », qui va de l’hébergement d’urgence, le plus inconditionnel et le plus précaire, au plus sélectif : le logement, d’abord accompagné d’un suivi éducatif, puis autonome. Différents types d’hébergement sont autant d’étapes au cours desquelles il faut « travailler l’autonomie » des hébergé.es. À chaque palier, la sélection se fait plus drastique, d’autant que l’accompagnement peut faire défaut. À la fin, seule une petite minorité atteint le logement.
Pénurie de places et contrôle social
Face au manque de places, des structures ont développé des techniques pour limiter la présence de certains publics à « risque ». À travers leurs règlements (interdiction des animaux, de consommer de l’alcool, couvre-feux) et les politiques de quotas, les structures d’accueil et d’hébergement mettent en œuvre le contrôle social du public (non) accompagné.
On nous explique aussi que des « listes noires » existent. Concrètement, des personnes bien connues du système de prise en charge sont exclues de structures où elles ont pu être accueillies dans le passé. Les listes noires sont constituées de manière informelle dans des commissions regroupant les acteurs de l’hébergement, qui doivent permettre d’orienter les demandeurs vers les places libres. Vianney Schlegel, qui rédige une thèse de sociologie sur le sujet, explique : « Contre l’ancienneté de l’inscription des demandeurs, les hébergements font valoir d’autres critères : les consos’ de drogues et d’alcool, les troubles psy, la situation administrative, le fait d’avoir été violent dans le passé, la capacité à payer une participation, etc. » Là encore, on est bien loin de l’inconditionnalité de l’accueil.
L’État veille
Et l’État dans tout ça ? « J’ai rarement vu son représentant en commission. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas responsable de la situation : c’est cette absence qui permet aux structures de refuser des demandeurs puisqu’il est garant de l’inconditionnalité », explique Vianney Schlegel. C’est un jeu de dupes : les structures sont contrôlées et financées par les services de l’État à l’échelle départementale et ne peuvent pas prendre le risque d’accueillir au-delà de leurs capacités d’accueil. « Si vous accueillez trop de monde, on vous coupe les financements » nous explique un éduc’. Mais dans le même temps, le « taux d’occupation » doit toujours être proche de 100 % pour justifier de l’activité. Un casse-tête comptable qui occupe des équipes éducatives surmenées, dont le travail s’apparente de plus en plus à la gestion des « indésirables ».
Matt, Moustique, Rolande, Zée
1. Chiffres du baromètre 115, publiés par la Fédération des acteurs de la solidarité.
Une circulaire xénophobe
La circulaire du 12 décembre 2017 du sinistre flic Collomb, qui se targue d’un meilleur « examen des situations administratives dans l'hébergement d'urgence », a suscité un tollé général dans les milieux de l'hébergement et de l'accompagnement des exilé.es. Comble de cynisme, on y parle sans trembler de « suivi administratif robuste », de « dispositif adapté en vue de l'organisation d'un départ contraint » et « d'équipes mobiles chargées de l'évaluation administrative ».
Composées d'un.e fonctionnaire de préfecture compétent.e en droit des étrangers, d'un.e agent.e de l'Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et d'un.e travailleur.euse social.e du secteur de l’exclusion, ces équipes vont sillonner les foyers à la recherche d’ « étrangèr.es en situation irrégulière » à expulser – non seulement des lieux d’accueil, mais du territoire.... Un groupement de 28 assos dénonce une atteinte au principe d'inconditionnalité de l'hébergement ainsi qu’une discrimination des publics. Il dépose un recours le 11 janvier devant le Conseil d’État. Le 20 février, sans se prononcer sur sa légalité, celui-ci laisse en application la circulaire tout en l’interprétant de manière restrictive. Les équipes diligentées par la préfecture ne peuvent donc plus recueillir que les seules informations que les personnes auraient communiqué sans pouvoir de contrainte envers elles ou les gestionnaires des centres. Sur la légalité de la circulaire, il faudra attendre plusieurs mois pour connaître la décision du Conseil d’État.