Syndicats, associations, collectifs, à Lille, ce sont ces militant-es qui portent la résistance contre les idées d’extrême-droite dans les entreprises, les facultés, les écoles, la rue. La Brique a voulu rencontrer certaines de ces orgas qui figurent en première ligne afin de leur laisser la parole sur leurs actions et leurs combats.
L’année écoulée aura été marquée par les diarrhées verbales sur les Rroms, La Manif Pour Tous, Dieudonné, les résultats électoraux du Front National, des médias hallucinants de complaisance... Autant de supports à la haine qui aboutissent à une banalisation des discours et d’idées racistes, homophobes, islamophobes, dans tous les pans de la société. L’homophobie devient une opinion, le racisme est partout chez lui : « à l’hôpital, la préfecture, la mairie, chez le médecin, dans la rue... », nous diront les sans-papiers. Partout où la République étant son bras, en somme.
La guerre des amphis
SUD-Étudiants est une branche autogestionnaire de SUD-Solidaires. Hélène et Axel nous reçoivent à la Bourse du Travail pour nous parler de leur activité syndicale dans les universités. « On s’attache à déconstruire les discours d’extrême-droite afin d’en démonter les arguments auprès des étudiant-es. Notre parole s’appuie sur une critique de l’austérité, dont le patronat est la cause, et non les immigrés », expliquent-ils. « L’antifascisme, c’est aussi une lutte anti-sexiste, contre les discriminations. » Un local de permanence à Lille III leur permet de mettre en place des passerelles avec le bureau des étudiant-es étrangers car « tous les ans, les étudiants ciblés par une OQTF (obligation de quitter le territoire français) sont de plus en plus nombreux à venir solliciter de l’aide et du soutien ». SUD-É a aussi été fortement mobilisé « sur des actions de solidarité envers les Rroms ». Ces militant-es sont notamment à l’origine de l’occupation des locaux de la bourse du travail cet hiver [1], étant régulièrement en lien avec des familles Rroms présentes sur certaines facs. Entre deux couloirs d’amphis, l’hostilité peut être « manifestement raciste », à l’image d’un « Collectif Sécurité de Lille I », ouvertement anti-Rroms. Ces temps-ci, « on voit la progression du FN et surtout de Dieudonné » déplorent-ils. L’implantation des fachos ne se fait pas au hasard mais répond à une stratégie. « Ils choisissent leur fac pour se répandre. Lille III a la réputation d’être plutôt de gauche, donc ils vont plutôt envoyer des intellos, des gens qui vont discuter ». À Lille II, c’est différent : « T’auras des gros bras et des affrontements plus violents. » Un collectif Marianne (branche du FN) est d’ailleurs en train de s’y monter. « Eux ce ne sont pas des crânes rasés, mais plutôt des petits-bourgeois ».
Au travail, y’a du boulot
La Confédération Nationale du Travail (CNT) se définit comme un syndicat « autogestionnaire et révolutionnaire », rappellent Didier et Xavier, adhérents de longue date. L’antifascisme y est un principe de base. « Le gros de notre travail consiste à inciter les gens à se positionner au sein de leur entreprise. L’implantation dans des boîtes permet d’avoir des discours antifascistes là où prédominent parfois les paroles anti-Rroms, racistes ». La CNT se confronte à « un racisme ordinaire, venant, non pas de gens organisés, mais de simples travailleurs ». Parfois, bien sûr, les discussions tournent court. Malgré tout, « c’est ce qu’il y a de plus intéressant ; plus intéressant et plus dur que de distribuer des tracts en manif ». Au quotidien, le discours de la CNT repose sur une analyse « du contexte économique et social, de la paupérisation. » Aujourd’hui, bon nombre de personnes « se radicalisent parce qu’elles n’ont plus de thunes. L’abandon d’une perspective anti-capitaliste freine toute cohérence des discours politiques », souligne Didier. Avec SUD-É, le syndicat a participé à la publication récente d’un livret contre l’extrême-droite et le FN qu’ils diffusent dans les facs et les entreprises. La CNT a également récemment répondu à l’appel à souscription pour le financement du documentaire « Bassin Miné » qui retrace l’avènement du FN à Hénin-Beaumont.
Roses & libertaires
Nous rencontrons Bruno, qui milite aux Flamands Roses depuis de nombreuses années. À la terrasse du café où nous avons rendez-vous, il nous raconte : « C’est un groupe d’expression LGBTQIF (Lesbien, Gay, BI, Trans, Queer, Inter-sexe, Féministe) non-mixte qui existe depuis 25 ans à Lille. C’est un groupe militant issu de la culture libertaire ». Les actions des Flamands sont tournées « vers la santé, sexuelle notamment, et la mémoire, avec la reconnaissance de la déportation pour motif d’homosexualité. » Dans les luttes LGBTQIF, il y a le courant radical et le courant intégrationniste. « Nous sommes du coté radical. On ne veut pas intégrer la société mais la changer », à l’inverse des personnes qui veulent juste devenir une de ses composantes. D’ailleurs, « si toutes les personnes LGBTQI intégraient la société, on la ferait exploser, parce que rien ne nous correspond », ironise Bruno. Le changement de société qu’ils poursuivent passe par une approche globale des luttes, même si les Flamands Roses ont des pratiques communautaires. « Les fachos proposent un modèle de société totalitaire, comme l’hétérocratie actuelle est totalitaire. Ce parallèle rend sensibles les personnes LGBTQI au fascisme en général. On se rend facilement compte que les fachos sont homophobes, dans leurs écrits, leurs autocollants, par la présence de skins sur les lieux de dragues, les crimes de haine. » Bruno rapporte son vécu personnel. Militer aux Flamands Roses lui a permis de « monter d’un cran dans son engagement politique » en s’ouvrant à d’autres luttes. Cela est rendu possible car Les Flamands « ont toujours été un collectif antifasciste ou anti-raciste, sensibles aux attaques des droits des étrangers, déjà dans les 1990 avec le réseau contre les lois Pasqua. » Il y a toujours eu « une proximité politique de pratiques militantes qui rapproche les Flamands Roses d’autres collectifs et d’autres luttes ». Aujourd’hui encore, les Flamands sont présent-es auprès des sans-papiers « pour une aide ponctuelle à des personnes, l’écriture et la diffusion de textes sur le sujet. » Dans un autre sens, « les camarades antifas nous rejoignent pour la contre manifestation annuelle face à SOS Tout-Petits » [2].
Les sans-papiers en lutte
Le Comité des Sans-Papiers 59 est « né sur un coup de hache », nous dit Patrick, « à la suite de l’expulsion par la police de l’église Saint-Bernard, à Paris, en 1996. ». Depuis cette date, les sans-papiers sont sortis de l’ombre. Accompagné de cinq autres membres du bureau du CSP, nous sommes reçus dans leur local, à Fives. Les sans-papiers fonctionnent avec une assemblée générale décisionnelle. Tout le monde peut assister à l’AG « mais seuls les sans-papiers décident et votent ». Ils organisent ainsi eux-mêmes leurs relations extérieures, leur vie interne, leurs actions aussi (manifs, occupations). Il y a « quatre porte-paroles historiques et d’expérience », comme Roland Diane et Saïd Bouamama (membres de la Coordination Communiste, d’inspiration marxiste-léniniste). « Ils peuvent nous guider mais au final c’est nous qui choisissons. Ce sont les sans-papiers qui se prennent en charge. » Les sans-papiers affrontent un racisme à deux visages. Le premier est celui de Monsieur et Madame tout le monde, Samira est choquée par « une vision des sans-papiers comme étant des illettrés ». Pour Brahim : « On nous regarde comme des envahisseurs ». Les femmes voilées du collectif apparaissent comme des cibles privilégiées. « Elles sont des cibles plus souvent que d’autres ». Les démarches auprès des administrations sont généralement très difficiles, surtout lorsqu’on s’entend dire : « C’est ça de ne plus avoir l’Algérie française ». Le second visage du racisme est celui de l’État et de son appareil répressif. Ainsi la guerre avec la préfecture dure depuis près de 20 ans. Avec le retour de la gauche en 2012, « la situation n’a fait qu’empirer ». Les équipes de la préfecture n’ont pas bougé, « pour prolonger la politique à l’oeuvre. » Le CSP59 subit un effet pervers de la gauche au pouvoir : « On perd plus de soutiens sous un gouvernement de gauche que de droite. Plus aucune association ne nous soutient car elles ne vont pas au carton contre le parti socialiste. On ne peut plus compter sur personne. » Les circulaires Valls ont aggravé la situation. « Les arrestations et les contrôles se sont démultipliés. Il n’y en a jamais eu autant. » C’est le retour des « arrestations ciblées » pour intimider les « lutteurs » : « Même sous Sarkozy la police n’arrêtait pas nos leaders sous de faux prétextes. » Pour le CSP59, les choses sont aujourd’hui très claires : « L’immigration est le bouc-émissaire des politiques de droite comme de gauche ».
D’une visée institutionnelle...
Le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples est une association née en 1949, pour prolonger la lutte contre le fascisme et nazisme. Le MRAP est connu du grand public pour avoir oeuvré à faire du racisme un délit. Aujourd’hui, l’association tente de s’affirmer de plus en plus sur le terrain, « là où les gens subissent le racisme, là où les gens seraient tentés d’aller vers l’extrême-droite », expliquent trois de ces membres. L’action du MRAP se situe « dans le champ de l’éducation populaire ». Son public est en majeure partie scolaire, avec des nombreuses interventions dans les collèges et les lycées. Ses actions s’adressent également aux adultes, « avec des projections, des débats/conférences ». Il y a aussi « un public intermédiaire : les médias, les politiques » qui ont bien besoin d’éclairage sur leurs propres préjugés et représentations. Sur le terrain, Le MRAP « est confronté à des fans de Dieudonné, aux discours du FN auprès d’une audience et dans des quartiers qu’on pensait protégés ; c’est-à-dire dans les quartiers populaires. » Et de rappeler que « les plus hauts scores du FN lillois ont été réalisés à Lille-Sud et à Fives ». À certains endroits, « les gens ne savent pas définir racisme, antisémitisme, xénophobie. » Ce constat pousse le MRAP à développer une sémantique nouvelle « contre les discours de haine » et change leur approche du discours contre les idées d’extrême-droite, car « dans sa version édulcorée télévisuelle, Marine Le Pen n’est pas raciste », à l’instar de certaines personnes adhérant à ses propos aujourd’hui. En conséquence, « il faut changer notre discours et la construction du langage antifasciste classique radical ». Ce travail leur permet aussi de ne pas considérer les discours de Dieudonné et Ménard comme relevant de la liberté d’expression mais plutôt de l’incitation à la haine. Le MRAP apporte aussi « un soutien juridique aux personnes victimes de racisme et des politiques migratoires comme les migrants et les Rroms ».
… à un antifascisme radical
Nous discutons avec plusieurs membres de l’Action Anti-Fasciste Nord Pas de Calais sur le parvis de l’église Saint-Pierre Saint-Paul à Wazemmes. « L’AFA » repose essentiellement sur « des liens affinitaires » entre des groupes de différentes villes de la région : Douai, Béthune, Lens, Calais, etc. « Chacun est autonome dans ses actions » précise Florent. Ses membres sont majoritairement de tendance anarchiste, libertaire, mais « tu n’as pas besoin d’être anar pour nous rejoindre ». L’AFA revendique « un antifascisme radical », raconte Max, « qui n’est pas électoraliste », qui ne se découvre pas « au moment des élections » mais se traduit « dans des actions de tous les jours, contre la banalisation des idées d’extrême-droite ». Les réflexions et l’action de l’AFA s’appuient sur « des recherches, de l’investigation », un travail de veille inégalé localement et qui permet la publication régulière de papiers et d’informations sur le camp d’en face [3].. L’Action Anti-Fasciste est mobilisée contre l’homophobie, l’islamophobie. L’AFA peut appeler à manifester, comme lors de la venue de Marine Le Pen à Lille, pour les municipales. Ses appels laissent le champ libre « aux actions autonomes ». Si les dérapages qui peuvent en découler ne sont pas du goût de tout le monde, « ce n’est pas à nous de dire à quelqu’un ce qu’il doit faire en manif’ » nous dit-on. L’AFA est donc présente aux cotés de luttes qui convergent vers l’antifascisme, auprès des sans-papiers, des milieux squats, face aux catholiques intégristes de la Chapelle du Rosaire (Cf. note 2), et plus récemment « auprès des migrants et les activistes à Calais ou dans les manifs contre la loi anti-avortement en Espagne ». À propos de Calais, L’AFA s’est déplacée plusieurs fois déjà, afin d’apporter son soutien aux activistes et aux migrants dans les moments chauds, face à des risques d’expulsions de squats ou bien de manifestations de Sauvons Calais et autres consorts d’extrême-droite. Depuis la mort de Clément Méric (qui était membre de l’Action Anti-Fasciste Banlieue Nord de Paris ainsi que de SUD-É), avec la disparition de quelques collectifs (comme le SCALP et Turbulences Sociales) les présences derrières la bannière de l’AFA se sont renforcées. « La situation actuelle est explosive », confie Max. S’il ne faut pas exagérer la présence des fachos, il ne faut pas non plus sous-estimer la connerie humaine : « En face, c’est du lourd. On démonte leurs arguments, on montre les liens qu’ils veulent cacher, on ne piétine pas. Peut-être que ça a pas l’air énorme, mais quand on fait des actions, on a du monde derrière nous. »
Notes
[1] Alternative Libertaire, « Les Rroms à la bourse du travail », 07/01/2014
[2] Association catho intégriste qui organise tous les ans une manifestation devant le planning familiale
[3] Pour vous tenir informé-es, vous pouvez consulter régulièrement les sites internet Lutte En Nord et La Horde