À Montigny-en-Gohelle, le 28 mars 2013, Lahoucine Aït Oumghar, 26 ans, était abattu devant chez lui de cinq balles tirées par la police. Les habitants du quartier de la Fosse du 7 ne veulent pas oublier.
Lahoucine, revendeur de voitures en auto-entrepreneur – fils de mineur immigré - passe une nuit dans un hôtel près de Cambrai. Visiblement énervé de sa nuit, il en demande le remboursement à la réceptionniste, ciseaux en main. Elle lui répond qu’il n’y a pas d’argent dans la caisse, le jeune homme repart en colère sans s’éterniser. Il prend la route pour Montigny. Pendant ce temps, la réceptionniste raconte l’altercation à sa supérieure. Cette dernière l’incite à appeler la police, parlant d’un “braquage”. La sûreté de Cambrai est prévenue, une voiture de quatre flics se rend à Montigny pour interpeller Lahoucine. Trois d'entre eux, en civil, sortent de leur voiture. Lahoucine s’en serait pris à l’un d’eux avec les ciseaux. Malgré leur supériorité numérique et le port de gilets pare-balles, les 3 flics font feu sur Lahoucine. Il tombe à quelques mètres de chez lui, cinq balles dans le corps.
Plusieurs mois après sa mort1, une cinquantaine d’élèves du collège Youri Gagarine (où Lahoucine avait lui-même été élève) est venue en cours entre mai et juin avec un tee-shirt floqué « urgence notre police assassine ». Côté direction, pas question de laisser porter ce slogan. À certains élèves, le principal parlera « d’insulte à la justice », pour d’autres il n’y aura pas d’explications. L’ordre est en revanche catégorique : retirer immédiatement le tee-shirt incriminé. Certains parents reçoivent des appels téléphoniques du collège pour que leur enfant ne recommence pas. Mais d’autres élèves prennent rapidement le relais. Quand on arrive devant le collège pour parler de cette histoire avec eux, le principal débarque comme une fusée. Tout en dispersant les collégiens, il refuse de répondre à nos questions. Silence radio.
Dans les corons de Montigny, des habitants nous ouvrent leur porte. Une mère de famille est sacrément remontée contre le principal, mais c’est surtout envers les flics qu’elle a la rage. Tout en évoquant la famille de Lahoucine « tranquille et sans histoire », elle nous raconte le mépris des keufs à l’égard des gens du quartier. Son fils s’est fait tabasser par la BAC en rentrant chez lui un soir d’anniversaire, à une rue de celle où Lahoucine est tombé… D’autres habitants nous parlent d’insultes et de vexations venant des flics locaux.
Mobiliser plutôt que crever
On sonne chez la famille Aït Oumghar. Devant la maison, des voitures de Lahoucine dépérissent, il les revendait en auto-entrepreneur. On rencontre Hamid, un des frères de Lahoucine, qui nous emmène boire un café. On discute des dernières manifs contre les crimes policiers : « Pour moi, la mort de Rémi Fraisse et les autres crimes commis par des flics sont le résultat de la même impunité policière. Ce ne sont pas des bavures ». Il a participé aux rassemblements à Lille et Paris. Place Stalingrad, avant même que le rassemblement ne commence, les flics l’ont embarqué pour vérification d’identité. Il portait le fameux tee-shirt, un policier lui enverra un « gros batard » en guise d'au-revoir.
Depuis la mort de son frère, avec sa famille, il est en contact permanent avec des collectifs contre la répression policière. Il y est question de soutien juridique et psychologique, mais aussi de conscience politique : « La police tue toujours les mêmes, la majorité des victimes sont des enfants issus de l’immigration et des quartiers populaires. Ils ne veulent pas nous laisser parler ». Face à ce constat, la famille reste mobilisée : Mustapha, l’autre frère de Lahoucine, a participé au livre Permis de tuer, chronique de l’impunité policière2. Aux travers de témoignages de proches de victimes de la police et de contributions militantes, le livre plaide pour que « l’État et ses services rendent enfin des comptes ». Les auteurs insistent aussi sur le traitement judiciaire presque systématiquement défavorable à la victime : « Quand des peines sont prononcées, elles sont, dans l’écrasante majorité des cas, symboliques. Pour les magistrats, une question très concrète se pose : comment condamner des personnes avec qui l’on va travailler le lendemain ? »3. Le dossier de Lahoucine n’échappe pas à cette singularité des crimes policiers.
Justice d’exception pour meurtre d’exception
La juge d’instruction a, dès le début, laissé entendre à la famille que les policiers étaient en état de légitime défense. Pour rappel, Lahoucine aurait menacé avec une paire de ciseaux les trois policiers en civil venus l’interpeller devant chez lui. En fait, il semble bien que cette juge d'instruction ait été prête à tout pour fermer le dossier le plus vite possible et arriver, en force, à sa conclusion de légitime défense. Comme en témoigne Mustapha dans Permis de tuer : « On a eu un seul rendez-vous, avec la juge d’instruction, et encore, c’est nous qui avons dû le demander. Après avoir vu la juge, on s’est aperçu qu’elle se foutait de nous ». Selon la famille, elle n’a pas hésité à leur mentir en prétendant qu'il était inutile qu'ils demandent une reconstitution. Elle leur aurait déclaré que cette procédure est réalisée systématiquement. L'avocat l'apprend, il demande alors officiellement cette reconstitution.... Ce qu’elle refuse.
Au plus grand étonnement de l'avocat : « C’est extrêmement singulier vu la gravité des faits. [ndlr : un policier est mis en examen pour « homicide volontaire » et les deux autres pour « tentative d’homicide volontaire »] Quand des policiers sont mis en cause pour des faits criminels, on ne saurait faire l'économie d'une reconstitution ».
Pour la famille, l’attente continue, mais pas en silence. Le 14 mars dernier, c’est plus de trois cents personnes qui se retrouvent devant la maison des Aït Oumghar. La rue est rebaptisée en « rue Lahoucine » et une silhouette est taguée à la bombe blanche à l’endroit où il s’est fait tuer. Quelques pétards claquent, puis ce sont les femmes de la famille qui prennent la tête de la manif’ avec une banderole « justice pour Lahoucine ». Sont présents aussi des proches de trois autres victimes de la police - Amine Bentoussi, Wissam El Yamni et Abdoulaye Camara. La solidarité est forte. Aux cris des « pas de justice, pas de paix », « flics, porcs, assassins »4, le cortège va jusqu’au commissariat d’Hénin-Beaumont. L’objectif est clair : mettre la pression sur la cour d’appel de Douai qui examine la demande de reconstitution. Sa décision, rendue le 9 avril, est favorable. Preuve que l’auto-organisation et la lutte payent5. Mais, le combat est loin d’être fini pour que les proches de Lahoucine obtiennent « vérité et justice », et pour toutes celles et ceux qui luttent contre les crimes policiers.
Jacques Té
1. Voir encadré. Pour plus d’infos, lire « la police tue dans les corons », La Brique, N°35 avril 2013
2. "Collectif Angles Morts, Permis de tuer", éditions Syllepse, 2014. Livre qui recueille des témoignages de proches de victimes de la police et des textes militants contre l’impunité policière.
3. Ibid.
4. Slogan né lors des émeutes en Grèce suites à l’assassinat du jeune Alexis par les forces de l'ordre
5. "Collectif Angles Morts, Permis de tuer", éditions Syllepse, 2014