Accusé d'avoir la rage ! L'APU Vieux-Lille en danger

image0 1L'Atelier Populaire d'Urbanisme (APU) du Vieux-Lille se bat depuis 45 ans pour le droit au logement pour toustes. Il est un contre-pouvoir nécessaire face aux proprios, aux huissiers, à la police et aux administrations publiques. Parmi elles, la Métropole Européenne de Lille (MEL) décroche la palme du mépris des gens du voyage, ce que dénonce l'APU. Pour se débarrasser de ce caillou dans son soulier et continuer sa politique anti-tsiganes, la MEL attaque l'asso au porte-monnaie et lui sucre un tiers de son budget. Un sabotage permis par la macronie et son Contrat d'Engagement Républicain (CER), outil de mise au pas des voix dissidentes. Mais l'APU et ses soutiens sont déter' à ne pas se laisser faire. Dans le climat ambiant de montée de l'extrême-droite, la riposte s'organise.

Comme sur un ring, la MEL attendait une ouverture pour envoyer un crochet de la droite en pleine face à l'APU. L'occasion se présente le 20 février, alors qu'elle annonce l'expulsion de quatre familles de gens du voyage vivant sur l’aire d’accueil de Wattignies1. Une trentaine d'habitant·es, dont des enfants et des personnes âgées, sont concerné·es. Certain·es vivent là depuis plus de vingt ans. L'APU les accompagne depuis juin 2023, dans un contexte tendu avec la MEL qui venait d'obtenir du tribunal un jugement d'expulsion. Les familles comptent sur l'association pour relayer leur parole et trouver des solutions. Pourtant, les nombreux mails envoyés par l'APU resteront lettre morte.

Le combat est aussi juridique puisqu'un recours a été déposé par les gens du voyage contre la décision autorisant l'expulsion. À la date du 20 février, l'audience n'a toujours pas été fixée. Pourtant, par 8°C et en pleine trêve hivernale, la MEL lance l'évacuation alors qu’aucune solution de relogement n’est proposée. Les réseaux militants relaient l'info, des soutiens arrivent sur le camp, parmi lesquels une salariée de l'APU. En représailles, la pression est mise dés le lendemain sur l'APU : des agent.es auraient été agressé.es par « trois salariées » et la MEL annonce qu'« il y aura des conséquences ».

Immédiatement, l’APU conteste cette version mensongère et demande un rendez-vous en urgence. S’ensuit un silence radio de la MEL pendant deux mois. Le verdict tombe le 19 avril : la subvention annuelle de 38 000 euros, soit un tiers du budget de l'APU, ne sera pas renouvelée. Depuis, l'association, en danger de mort, multiplie les appels à la solidarité. Le 18 juin dernier, elle organise une grande réunion publique pour la défense des libertés associatives à la Bourse du travail de Lille. Présente, La Brique vous raconte les manœuvres de la MEL et l'organisation de la riposte collective.

 

« Elle crie, la MEL, au drame »

Dans la grande salle de l'usine Fives Cail, devant de nombreux collectifs et associations, Antonio Delfini, président de l'APU Vieux-Lille, revient sur l'expulsion des gens du voyage du 20 février. Ce jour-là, l'association est représentée par l'une de ses salariées qui s'identifie comme telle auprès des agent·es de la MEL. Interlocutrice reconnue, elle n’invective personne : elle est là où elle doit être et fait son boulot. Son action s'inscrit dans la lutte de l'association contre toutes les expulsions. Surtout, sa présence permet de vérifier la légalité des actes réalisés, tenter d’éviter la mise à la rue et proposer un soutien humain.

encart cerPourtant elle crie, la MEL, au drame. Car l'action de l'APU est gênante : elle met un coup de projecteur sur le traitement réservé aux nomades habitant sur « son » territoire... La MEL en profite pour monter un dossier bidon contre l'asso. Au cours d'une première entrevue, Claire Bruhat, directrice habitat de la MEL et Marjolaine Baty, du même service, annoncent la suppression de la subvention sans que ne soit évoquée la violation du CER. En substance, la salariée présente le jour de l'expulsion aurait dit à des agent.es de la MEL « Est-ce que vous allez réussir à dormir ? » et « Vous n’avez pas honte ? ».

Ces propos bien envoyés ressemblent pourtant beaucoup à ceux d'une camarade du syndicat SSEC (Santé Social Éducation Culture) de la Confédération Nationale du Travail (CNT), interviewée dans les colonnes de Médiapart... et relèvent, en soi, de la liberté de questionner les autorités dans le cadre d'une lutte syndicale. Elle était sur place pour soutenir deux familles dont les enfants sont scolarisé.es au collège de Wattignies, où elle enseigne2.

Plus tard, ce sera Anne Voituriez, vice-présidente chargée du logement et de l’habitat et maire de Loos, qui dira à l'APU qu'elle aurait agi en violation du Contrat d'Engagement Républicain (CER, cf encadré). L'APU du Vieux-Lille aurait « participé à une action de violence verbale » dans un « climat de violence ».

Pour tenter de discréditer l'association, Anne Voituriez fera le lien entre la salariée et des militant·es de la CNT, qui seraient arrivé·es ensemble ! Covoiturer, c'est sympa et écolo, mais pas avec des anarcho-syndicalistes, quand même. Comble de l'ironie, la militante de l'APU est venue seule, en bus, et seule une militante du SSEC était présente. Dans la même veine, elle aurait été vue en compagnie du dangereux journaliste Jérémie Rochas, dont on vous conseille les excellents papiers sur les gens du voyage dans Streetpress. Si Anne Voituriez qualifie son article sur l'expulsion d' « haineux » , elle admet « ne pas l'avoir lu3 »...

A l'appui de ce dossier bidon, une procédure en carton. Il faut pourtant respecter des délais précis et assurer le contradictoire (c'est-à-dire écouter les versions des deux parties) quand est envisagée la suppression d'une subvention sur la base du non-respect du CER. La MEL sera mutique pendant deux mois, malgré les demandes répétées de l'APU de rencontrer les élu·es. Quand les membres de l'association sont enfin convoqué·es à la MEL le 19 avril, l'entrevue n'a pour but que d'officialiser la décision prise, le jour-même, par le conseil métropolitain. En grandes pompes, en présence de Martine Aubry et de son président Damien Castelain, Anne Voituriez y fait une description apocalyptique de la journée du 20 février. Les élu·es se lâchent : l’APU s’entoure de révolutionnaires et a une attitude de délinquant !

 

Anti-tsiganisme assumé sur fond de peste brune

Si l'APU du Vieux-Lille gêne tant la MEL, c'est qu'elle revendique son action de terrain : ses militant.es luttent pour les droits des locataires, des squatteur·euses, des occupant·es sans droit ni titre, des hébergé·es, des SDF. Elle intervient aussi auprès des gens du voyage et des personnes membres de la communauté Rom, ce qui n'est pas au goût des pouvoirs publics. Iels sont discriminé·es et maltraité·es par la MEL. Les expulsions menées manu militari, sans solution de relogement, sont monnaie courante. Lors de la réunion publique du 18 juin, l’association Da So Vas, « Entraide » en romani, est présente.

Soutenue par l’APU du Vieux-Lille ainsi que par d’autres associations, Da So Vas a été créée il y a deux ans et prolonge un collectif de femmes gens du voyage en lutte depuis 14 ans pour obtenir des conditions de vie dignes4. Iels ont l’habitude d’être déconsidéré·es par les pouvoirs public : la MEL les relègue sur des aires insalubres en bordure d’autoroute, d’usine, de déchetterie. Rompue aux promesses non tenues, une de leur militante rappelle que « la bonne foi, à la MEL, ils connaissent pas » et confie que « ça fait peur de voir que des associations perdent du pouvoir alors qu’ils défendent les droits des gens ».

C'est peu dire que la MEL a une gestion catastrophique des aires d’accueil destinées aux gens du voyage et aux Roms. En juin 2017, 22 municipalités de la métropole ne respectaient pas les obligations de mettre à disposition des terrains aménagés5. Les nomades doivent se battre pour faire valoir leur droit élémentaire à une vie digne et sont souvent confronté·es au racisme des agent·es de la MEL.

Les carences de la MEL ont des conséquences terribles. En témoignent les habitant·es de l'aire d'Hellemmes en lutte depuis des années car malades à cause de la proximité d'une cimenterie.

Parmi les drames liés à l’anti-tsiganisme, le 12 mai dernier, Crisan s'est noyé dans la Deûle. Cet habitant du camp de Roms situé près de l'écluse du Grand Carré avait l'habitude d'y plonger pour se laver, faute d'accès à l'eau potable. Lui et sa famille avaient été contraint·es de s'installer dans une cabane de fortune après avoir été expulsé·es d'un camp à Lambersart6. La banalisation des idées d'extrême-droite fait craindre le pire pour les nomades. C'est dans ce climat que, le 22 février dernier, à Chênex en Haute-Savoie, Angelas Rostas, mère de deux filles et enceinte de sept mois, a été abattue d'un coup de fusil gros calibre en plein ventre. Elle avait 40 ans. Les deux meurtriers racistes, chasseurs, avaient tiré deux jours plus tôt sur un autre campement7. On n'oublie pas, on ne pardonne pas.

 

« Seule la lutte paye ! »

De son côté, l'APU sent qu'on lui savonne la planche et organise sa défense. Elle réunit plus de 70 personnes dans ses locaux le 2 mai, pour préparer la contre-attaque. L'affaire trouve un écho national avec la parution d'un article dans Médiapart3. Le 30 mai, Anne Voituriez consent à recevoir de nouveau les militant·es, en présence de Claire Bruhat.

Pour la première fois, la vérité est assumée : ce n'est pas le comportement de la travailleuse qui est en cause, mais le fait d'intervenir sur le territoire de la MEL dans le cadre d'une expulsion ordonnée par elle. Toute structure financée par la MEL devrait donc s'écraser devant Sa Majesté, fameuse technique de la carotte qui fait craindre le bâton. Circulez, y a rien à voir, il ne faut pas mordre la main qui te nourrit ! Mais l’APU n’est pas du genre à se laisser tenir en laisse par ses financeurs. Elle revendique son indépendance et son autonomie, et fait face avec ses soutiens, alors qu'elle traverse une période difficile depuis deux ans.

En effet, depuis 2022, c’est l’hécatombe. Avec sa politique ultra-libérale en matière de logement, la macronie a sacrifié le droit du logement au profit des propriétaires. Sur le terrain, les salariées et militant·es de l’APU constatent que « c’est dingue ce qu’il se passe ». Le nombre de ménages accompagnés a explosé : plus de 500 pour une seule année. À l’échelle nationale, la machine Kasbarian-Bergé est passée comme un bulldozer, entraînant une hausse de 25 % des expulsions. Résultat d’une loi logement par et pour les riches, criminalisant les squatteur·euses et précarisant encore plus les locataires. Sans compter l’augmentation des charges, qui a mis de nombreuses personnes dans le pétrin des factures impayées. Face à tout cela, l'APU fait un travail titanesque dont la MEL a bien conscience. Elle tape, à dessein, au moment où elle la sait en fragilité. La suppression de la subvention aurait des conséquences dramatiques : la perte de son emploi pour une des salariées et la fin de l'accompagnement de plus de 200 personnes.

La MEL n'a honte de rien ; et c'est bien parce qu'elle applique les politiques mortifères de l’État que l'APU doit garder sa place de contre-pouvoir dans le paysage lillois. Ses militant·es le savent, les expulsions sont des actes d'une rare violence. L'accompagnement des familles est indispensable. Pour l'APU, « rejeter la responsabilité de la violence d’une expulsion sur celles et ceux qui la subissent et leurs soutiens traduit déjà une inquiétante inversion de la réalité ! ». À la réunion de soutien à la Bourse du travail du 18 juin, les associations présentes se serrent les coudes et racontent leur calvaire. Elles ne laisseront pas faire et continueront de se lever face aux institutions. Le Centre Social du Virolois de Tourcoing, la MRES de Lille, le Collectif de l'Alma Gare, et bien d'autres ont en commun d'avoir subi la répression et l'intimidation des pouvoirs publics face à leurs actions. Si le CER n’est qu’un outil bureaucratique de plus dans la panoplie répressive des pouvoirs publics, il faut s'unir de plus belle. Car « Seule la lutte paye ! », comme le rappelle Ali Rahni, militant du quartier du Pile à Roubaix, dont les habitant·es se sont mobilisé·es entre 2014 et 2018 contre un projet de rénovation. Puisqu'il le faut, l’APU et ses soutiens se battront jusque devant le tribunal administratif pour que la MEL soit contrainte à revenir sur sa décision arbitraire. Longue vie à l'APU du Vieux-Lille !

Le collectif de La Brique

 

1. Cf l'article « "Nos vies comptent aussi" : les gens du voyage dénoncent les politiques discriminatoires de la métropole de Lille », de Jérémie Rochas, en accès libre sur le site du journal Street Press, 17 avril 2024.

2. Communiqué « Expulsion de l’aire d’accueil de Wattignies » disponible sur le site https://www.cnt-f.org/, onglet vert « la permanence de l'UL de Lille ».

3. « À Lille, une association d’aide aux mal-logés, nouvelle victime de la loi séparatisme », de Jérôme Hourdeaux et Jacques Trentesaux, Médiapart, 30 avril 2024.

4. Lire à ce sujet « Nos droits fondamentaux sont bafoués ! » (paroles de femmes de l'association Da So Vas), La Brique n°69, p. 11.

5. Lire « Gens du voyage : 22 villes hors‐la‐loi dans la métropole de Lille », Sylvain Marcelli, Médiacités, 13 juin 2017. 



6. « Lille : un homme de 45 ans meurt noyé après avoir voulu se rafraîchir dans la Deûle dimanche », La Voix du Nord, 12 mai 2024.

7. Communiqué du MRAP du 21 juin 2024 : « Meurtre raciste en Haute-Savoie : Angela Rostas tuée parce qu’elle était Rom » accessible sur leur site.

 

 

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