Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, a réussi en trois ans à réformer en profondeur l'école depuis la maternelle jusqu'au lycée. Cette conversion de l'éducation au modèle néo-libéral s'achèvera à la rentrée 2019 lorsque tous les éléments du puzzle seront mis en place. La dernière réforme de Blanquer sur « l'école de la confiance » acte les derniers éléments de destruction du service publique d'éducation. Les faits suivants nous sont relatés par un professeur d’un lycée générale public dans le Nord.
Après une mise en place de Parcoursup au pas de charge en 2018, une première sélection drastique et précoce des jeunes aux portes de l'enseignement supérieur et une réforme du lycée qui s'annonce très complexe a mettre en place, Blanquer sait que plus d'un.e enseignant.e est crispé.e par la tournure que prend la réforme de l'éducation. Il ne manque cependant pas d'air pour nous enjoindre à la « confiance » alors même que les conditions de travail s'empirent et que l'avenir des jeunes, notamment celleux issu.es des milieux populaires, s'avère être de plus en plus bouché.
Au moment où le Service National Universel pour les jeunes se met en place, la loi Blanquer sur l'école de la confiance impose que chaque classe soit équipée d'un drapeau français et européen ainsi que des paroles de la Marseillaise affichées au mur. Blanquer donne ainsi un coup de fouet nationaliste aux écoles et envoie clairement un message de retour à l'ordre généralisé. Au même moment, le Sénat adopte un amendement qui interdit aux femmes voilées d'accompagner les sorties scolaires. La République en marche à beau se présenter comme le rempart contre l'extrême droite, elle applique à la lettre son programme nationaliste et islamophobe.
On pourrait protester contre cette exaltation nationaliste et autoritaire. Mais cela devient de plus en plus compliqué puisque l'article 1 de la loi Blanquer stipule que les enseignant.e.s doivent entretenir et préserver un lien de confiance avec l'institution scolaire. Cela n'a l'air de rien mais avec un tel article, toute critique de l'institution scolaire et des réformes qui y sont menées peut être taxée d'atteinte au lien de confiance censé unir tous les acteurs de la communauté éducative.
L'autre dynamique de l'école de la confiance, c'est la précarisation du statut d’enseignant.e. La loi prévoit un recours accrus aux contractuel.le.s et un pré-recrutement des enseignant.e.s dès le niveau L2 avec des conditions de travail et de rémunération très précaires. Dans le même temps, Blanquer fait un cadeau en or aux établissements de maternelle privés sous contrat en abaissant l’âge minimum légal de scolarisation de 6 à 3 ans car il leur permet d'obtenir des financements de la part des collectivités locales et ainsi d'affaiblir l'école publique.
Gilets jaunes, Stylos rouges et syndicats
Cette attaque contre le service public d'éducation n'a pas manqué de susciter des réactions et des oppositions. Le 17 décembre, dans la foulée de l'allocution de Macron faisant suite à l'Acte III des Gilets jaunes, le groupe des Stylos rouges se monte. En effet, le gouvernement ne lâche rien pour les fonctionnaires alors même que les salaires sont gelés depuis 10 ans.
La parenté entre le mouvement des Gilets jaunes et des Stylos rouges se voit dans leur mode d'organisation via les réseaux sociaux et par leur rejet des syndicats. Sur les mots d'ordre, on retrouve aussi une parenté avec la demande de plus de moyens pour le service public d'éducation et une revalorisation des salaires. La critique des réformes en cours depuis l'école maternelle jusqu'au lycée fait aussi la force du mouvement qui dénonce le système complet que le gouvernement veut imposer.
Toutefois, le mouvement des Stylos rouges peine à déborder les directions syndicales. Essentiellement concentré sur les réseaux sociaux, le succès en ligne ne se traduit pas par un mouvement de masse des enseignant.es. Même si les AG locales peuvent être fournies, le mouvement connaît des hauts et des bas mais n'atteint jamais le seuil critique qui permettrait de lancer une action qui accule le gouvernement. Les modes d'action sont divers : manifestations symboliques devant le ministère, avec les Gilets jaunes, blocages du rectorat, envoi de courriers de protestation, blocage des notes.
De manière générale, les actions ne sont pas suffisamment suivies ni significatives. Les syndicats pour leur part, la FSU en tête, n'entrent pas dans la dynamique ouverte par les Gilets jaunes pour faire aboutir leurs revendications. Ils dénoncent tous, à l’exception de Solidaires, « les violences des revendications des Gilets jaunes » avant de rétropédaler devant la répression d'une centaine de jeunes à Mantes-la-Jolie, mis a genoux et les mains sur la tête par les forces de répression. Par la suite, les journées de mobilisation pour la fonction publique ou contre les réformes mobilisent certes mais n'entraînent pas la majorité des profs même s'il faut noter que les écoles primaires se mobilisent à un niveau inédit sur ces dernières années.
Pour quelle école je me bats
Le principal enjeux de l'école est celui de l’accueil des publics dans des conditions décentes et propice au développement des jeunes. C'est la clé pour penser une autre vision de nos métiers et avancer la question des rémunérations, largement insuffisantes au vu du travail fournis et si l'on compare avec les autres pays européens. Avoir un meilleur salaire dans les conditions de travail actuelles n'a aucun sens car aucune revalorisation ne compense l'impossibilité de faire le travail pour lequel on est devenu prof. Pour ce faire, la formation des enseignant.es devrait être largement au-dessus de ce qu'elle est actuellement. Rare voire inexistant sont les jeunes collègues (et même les plus anciens) qui aient retenu quoi que ce soit de positif de leur passage à l'ESPE (École supérieure du professorat et le l'éducation). Aucune formation sur la gestion de classe, sur la psychologie des jeunes, sur la sociologie du publique scolaire, sur les stratégies mises en place par les élèves et les familles face à l'école, sur les causes de l'échec scolaire et comment y remédier, sur le harcèlement... n'est dispensée. On commence bien souvent sa carrière (et on la finit aussi) sans avoir jamais eu accès à des outils pour penser sa pratique pédagogique à la lumière de savoirs universitaires possédant le recul nécessaire pour éclairer les pratiques. La formation actuelle privilégie la mise en pratique « sur le terrain » des enseignements et fait de plus en plus l'impasse sur les perspectives critiques sur les savoirs. Les enseignant.es tendent à devenir, à terme, de simples exécutant.es de leurs cours et non plus des concepteur.trices de ces derniers.
Enfin, la défense du statut de fonctionnaire est plus que nécessaire pour donner une stabilité aux emplois des enseignant.es. Le recours accrus aux contractuels précarise la profession et ce sont les élèves qui en font les frais en premier. Les attaques contre le statut de la fonction publique dessinent un avenir sombre pour l'enseignement : les écoles tendent de plus en plus à être gérées comme des entreprises et l'éducation des jeunes n'est plus qu'une variable d'ajustement dans la compétition scolaire généralisée. La flexibilité des postes et l'instabilité professionnelle sont, à terme, les dangers qui menacent les enseignant.es dans l'école néo-libérale de Blanquer.
Texte de Boris Lefebvre
Dessins de Hans
Grève du bac ? (Mais pas de la BAC, on vous rassure). Avant-dernier jour de bouclage, on n'est pas en avance par rapport au programme qu'on s'était fixé. Réveil difficile après une longue nuit de travail : des slogans sont scandés au micro près du local. C'est le premier jour du baccalauréat 2019. Impressionnant : plus de 300 personnes sont réunies devant le Rectorat. Parmi elles et eux, majoritairement des enseignant.es de la primaire au lycée, constitués en collectifs (Stylos Rouges) ou en syndicats (même le Snes ce qui est assez rare). Tous sauf « ces traîtres de la CFDT et de l'UNSA ». Il faut dire que ces derniers défendent très mal leur opposition à la grève du bac : Ne pas « prendre les élèves en otage », ne pas « bloquer l'administration »... Mais on continue de promettre au gouvernement que ça va mal se passer s'ils et elles ne sont pas écouté.es. Mais Blanquer ne craint rien : il est protégé par la précarité ambiante. Des profs ne souhaitent pas venir faire les surveillances du bac ? On réquisitionne plus de monde au Rectorat. Les précaires sous-traités, ça connaît bien l'Éducation Nationale. On se pose la question de la reconduite de la grève : l'autoritarisme du gouvernement en est à un tel point que toute personne qui ne se résigne pas se pose la question de la répression professionnelle... Aurea mediocritas. On commence à évoquer une réforme des collèges, l'année prochaine... « Énième réforme qui doit plaire au lobby Nathan [éditeur de bouquins scolaires] », s'amuse un prof - peut-être pour se rassurer. Vulnerant omnes, ultima necat. |