Petite cité wallonne de la province du Luxembourg, Durbuy est un lieu entouré de verdure, réputé pour ses activités de détente et pour son centreville ayant conservé une allure médiévale. C'est ici que le milliardaire Marc Coucke a décidé d’implanter un projet de tourisme de luxe, Adventure Valley Durbuy, sans considération aucune pour la population locale et l’environnement. Malgré le combat inégal, l’association SOS Durbuy s’organise depuis plus d’un an pour y résister.
Encaissé dans un étroit vallon, bordé par l’Ourthe et les bois, Durbuy est le lieu idéal pour s’adonner à des activités de plein air. Son riche patrimoine naturel et culturel témoigne d’une grande diversité avec notamment des espèces rares de chauvesouris, de renards, qui attire aussi de gros blaireaux : l’immense complexe de Marc Coucke risque de faire venir une population peu sensible à la préservation de cet écosystème. Mais dans cette région désaffectée par l’emploi, les élu.es locaux et une partie de la population y voient un moyen de redynamiser la ville. Coucke promet en effet que ce projet va permettre d’embaucher la population locale et de relancer l’activité des commerçants.
Un droguiste fortuné
Pharmacien de formation, Marc Coucke a fait fortune en profitant « du krach boursier de 1987, raconte un entrepreneur flamand qui le connaît bien. Il l’avait vu venir. À l’époque, il a revendu toutes ses actions avant de les racheter trois semaines après » (1). C’est cette année-là qu’il crée l’entreprise pharmaceutique Omega Pharma (qui fabrique les compléments nutritionnels et vitamines Davitamon, Predictor, Etixx). Il trouve son bonheur dans les médicaments : il investit 40 millions en 2015 dans Mithra, une société qui produit notamment une pilule contraceptive générique qui occupe la moitié du marché belge (2). Si jamais ses produits développent chez les femmes davantage de cancers, Marc Coucke a une parade toute trouvée pour démontrer sa bienfaisance : il organise des joggings contre le cancer du sein ! Saloperies de la main droite, prétendus remèdes de la main gauche, Coucke a tout en rayon. D’apparence bonhomme, sa nuisance n’en est que plus sournoise : ses vêtements tape-à-l’œil et ses mises en scène grotesques en font un bon client des médias, pas vraiment prompts à investiguer sur son juteux business.
Depuis le début des années 2000, Coucke fait également dans le cyclisme et le football, afin de promouvoir les produits de son entreprise. Il a longtemps été pressenti pour reprendre le LOSC en mettant à profit son temps de dragouille pour faire d’Etixx le principal sponsor du club lillois lors de la saison 2014/2015. Il a été actionnaire du club à hauteur de 5 % de mai 2015 à octobre 2016 et a réalisé une entourloupe financière lors de l’été 2016 en contournant les règles des instances financières du foot français. Le LOSC n’avait pas les moyens de recruter un attaquant de Reims ; qu’à cela ne tienne, Marc Coucke, en tant que président du club d’Ostende, achète le joueur et le prête dans la foulée à Lille. Parfaitement légal, mais pas très moral : voilà qui résume bien le personnage. En 2015, à la suite de la vente d’Omega Pharma à l’entreprise américano-israélienne Perrigo pour la modique somme de 3,6 milliards d’euros (en étant exempté d’impôt sur sa plus-value), il entre à la 1 415e place du classement Forbes des plus grandes fortunes mondiales, avec 1,3 milliard de dollars. Ses diverses transactions l’ont conduit à être aujourd’hui la troisième fortune de Belgique. Toutes nos félicitations.
Privatisations à outrance
Depuis plusieurs années, Marc Coucke s’est installé à Durbuy en rachetant l’établissement hôtelier Jean de Bohême dans la vieille ville, le camping de la Chenaie, le domaine de vacances Sunclass, plusieurs hectares de forêts et des bâtiments et des commerces dans le centreville. Son but ? En faire des centres de séminaires d’entreprises, exposer sa collection personnelle de peintures, et surtout préparer l’afflux de touristes pour un immense parc d’attractions.
En mai 2016, c’est presque par hasard que Chantal découvre sur l’ordre du jour du conseil communal qu’une réserve naturelle, le bois de Chapli, est à vendre, et que Marc Coucke, futur acquéreur, souhaite y faire un parc d’attractions : Adventure Valley Durbuy. Elle monte SOS Durbuy et alerte les habitant.es. Face à la mobilisation d’une soixantaine de personnes, le bourgmestre annule le huis-clos initialement prévu et soumet à la discussion ce point, qui passe comme une lettre à la poste chez les élu.es, même « écolos ». Pour Chantal, « l’intérêt du citoyen n’a aucune importance. Toi, le peuple, tu fermes ta gueule, et t’as intérêt à être content car Marc Coucke va créer des emplois. De merde hein. Des trucs saisonniers, sous payés, avec des horaires variables. Mais les gens sont dans une telle précarité... Barvaux, à proximité, c’est une des communes les plus précaires de Belgique et la zone touristique n’y échappe pas. Les gens ont envie d’y croire et les commerçants aussi ». Problème : il y a fort à parier que pour venir travailler chez Coucke et y accueillir la bourgeoisie flamande qui investit tant en Wallonie, il faudra être bilingue. Peu probable alors que la population locale soit engagée, au risque de réactiver localement un nouvel épisode de la querelle linguistique entre Wallons et Flamands.
En juin 2016, Marc Coucke organise une première conférence de presse et fait visiter son royaume aux élu.es. Il se vante d’être à la tête d’un territoire plus vaste que Disneyland Paris. Cette vantardise alerte l’association qui découvre progressivement, en soutirant les informations à des journalistes, que Coucke est désormais en possession de 500 hectares. Pour faire passer cette autre pilule, Coucke amène dans ses bagages le chef étoilé Wout Bru, en charge de la restauration sur le site. De la cuisine pour clientèle riche.
Coucke et les élus locaux main dans la main
Coucke achète aussi des terrains occupés tels que le camping des Macrales, situé à la lisière du domaine de Adventure Valley Durbuy, où il souhaite faire passer un téléphérique. La ville de Durbuy rachète petit à petit des emplacements... pour les revendre en suite à Coucke. Chantal explique que « des gens dans la précarité vont être expulsés. Je pense que le bourgmestre va les reloger, mais à 500€ par mois, ils n’en ont pas les moyens. Ils sont dans une solidarité, dans un habitat léger, entre eux, dans la nature et dans le beau ». Mais apparemment, les pauvres gâchent la nature ; « sur son territoire, à Barvaux, le bourgmestre a fait fermer la seule plaine de jeux accessible, donc les petites gens n’y ont même plus accès. Il vient avec ses milliards, il a un pouvoir financier sans limite. Pour donner un tout petit exemple qui illustre tout à fait la démarche : une ferme est à vendre ici. Il vient auprès des gens et dit « votre ferme vaut 500 000€, je l’achète ». Le fermier dit non. Coucke revient trois jours plus tard, il met 1 million et demi. Le gars vend sa ferme. C’est le capitalisme à outrance ». Accompagné de tout ce qu’il faut pour décourager les oppositions : conseillers financiers, avocats, juristes... Marc Coucke est avalisé par toutes les autorités, qui reprennent à leur compte son argumentaire de l’emploi. SOS Durbuy pèse bien peu face à cette machine : « On a récemment voulu avoir accès à une information, et on a dû prendre un avocat. De guerre lasse, le bourgmestre, qui s’y opposait, a été condamné à la donner. Et quelques semaines après, il nous envoie les photocopies, mais trop tard pour qu’on puisse tenter un recours. C’est vraiment très vexant et très arrogant. Puis il nous demande 3 200€ de frais de photocopies, car il a dû mobiliser pendant X temps un ouvrier communal ! ».
Organisons la résistance
« Je me rends compte qu’on se bat contre Marc Coucke, mais mon combat, c’est aussi un combat pour que les gens se réapproprient une parole, pour qu’ils commencent à désobéir. Il faut arrêter de baisser la tête ». En 1978, en opposition à un projet de barrage, les habitant.es de la petite ville de Couvin, dans les Ardennes belges, s’étaient mobilisé.es pour sauvegarder la vallée de l’Eau Noire, qui aurait été engloutie. En organisant chahuts, sabotages et occupations, en créant la première radio pirate belge, la population locale était parvenue à mettre un terme à ce projet inique, en se levant contre les pouvoirs politiques et financiers.
Espérons que l’issue de cette lutte historique donnera de la suite dans les idées aux opposant.es de Marc Coucke. Car, là comme ailleurs, la lutte contre les grands projets inutiles laisse entrevoir de belles résistances face à ceux qui voudraient rendre ce monde toujours plus capitalisable. Et l’occasion d’en construire un autre, sans eux.
1. Sébastien Buron, « Qui est Marc Coucke, l'un des hommes les plus riches de Belgique? », Tendance Trends , 06. 11. 14 [en ligne]
2. David Leloup, « Le goût amer des pilules Mithra », Médor, les yeux ouverts [en ligne].