Au départ, on voulait projeter sur une toile tous les réseaux socialistes de la métropole. Et puis, on s'est aperçu que c'est pas d'une double-page dont on risquait d'avoir besoin, mais d'un panneau publicitaire de 25 mètres sur 30. On a donc revu nos ambitions en partant de la liste PS pour la municipale, et de celle des dix secrétaires de section de la ville de Lille. On en a isolé quelques - uns des furoncles qui font l'épiderme du pouvoir socialiste local. Et que l'on peut présenter en deux points : le PS est un parti bourgeois, et cadenassé.
Représenter les minorités... mais lesquelles ?
Le premier élément qui frappe – mais qui n'étonnera plus personne – c'est donc que le PS n'est pas représentatif de celles et ceux dont il prétendait naguère défendre les intérêts.
Sur les dix secrétaires de section, on compte cinq cadres territoriaux, un cadre commercial, un coach en entreprise, un ingénieur, un architecte et... un seul élu issu du monde ouvrier (depuis retraité), Christian Petit. Quant à la liste municipale, à défaut de statistiques bien chiadées, on se contentera de cogiter sur les données suivantes : au moins dix cadres de la fonction publique ou du privé, cinq enseignant-es, trois (ex)assistant-es parlementaires, trois médecins, trois architectes et urbanistes, deux avocats, deux consultants du privé... Zéro ouvriers en activité, et puis zéro des 370 000 chômeurs de la région. Autant pas s'emmerder avec les détails.
Alors qu'on pourrait s'attendre à ce que le PS mette en scène son implantation dans la vie locale et « citoyenne », seuls deux membres de la liste sont présentés au titre de leurs engagements associatifs. Lorsque le privé perce sous l'épaisse couche de fonctionnaires territoriaux, il se résume pour l'essentiel aux médecins, consultants, avocats, et aux diverses fonction de « direction ». Les quelques employé-es (conseillère d'emploi, infirmier, assistant d'éduc etc.) sont tou-tes en position inéligibles – autour de la cinquantième place, quand le PS devrait tabler sur une quarantaine de sièges. Voilà pour les « compétences et expériences diverses » vantées par Aubry le jour de la présentation de sa liste (1).
Pour ce qui est de la caution « diversité/minorités visibles », on gardera en tête le précédent Dalila Dendouga : non-encartée, elle est débauchée quelques semaines avant l'élection de 2008. Catapultée numéro trois de la liste, elle n'obtient pas de poste d'adjointe après l'élection (elle n'est que conseillère déléguée). Les places sont chères, faut pas déconner. Rappelons aussi que Dendouga est avocate de profession : la « diversité » version socialiste ne va pas au-delà de la seule couleur de peau.
Quelques classiques des caciques
Pour parfaire son image au plan national, Aubry a enfourché l'âne de bataille du non-cumul des mandats. Ce qui est emmerdant, c'est que les trois socialos qui la suivent sur la liste détiennent également d'autres mandats et s'apprêtent, en toute logique, à cumuler leurs futurs postes d'adjoints avec leurs autres attributions (voir ci-dessous).
Sachant ne pas risquer d'être contredit par la presse locale, le PS s'est aussi permis d'inventer un « renouvellement de 57% » de la liste municipale 2 par rapport à la dernière édition. Comme il faut pas trop nous prendre pour des bœufs, on a sorti la calculette : parmi les vingt-six socialos sortants, dix-neuf sont à nouveau en position éligibles. Sur les cinq (sur six) « Divers Gauche » à nouveaux candidats, quatres cantinent désormais officiellement au PS. Au total, 73% de la majorité sortante est encore candidate. Seize des vingts premiers roupillaient déjà lors des derniers conseils municipaux : plus on se rapproche du sommet de la liste, plus les candidats sont des sortants. En gros, dès qu'on ajoute le critère de la « position éligible », les fameux « 57% » volent en éclat et donnent à voir un autre grand classique des caciques : le cumul des mandats dans le temps.
La liste PS comme celle des secrétaires de section enregistrent aussi la technocratisation du parti : c'est moins l'implication militante qui permet de gravir les échelons, que le fait d'agiter son diplôme de Master II et sa bonne maîtrise des savoir-faire bureaucratiques. Aujourd'hui, on prend surtout sa carte au parti après avoir intégré les cabinets (voir ci-contre). Ajoutez à cela un peu de copinage (le numéro 14 de la liste, Marc Bodiot, est le médecin personnel d'Aubry) et de basses manœuvres (deux élues parachutées parmi les premières places), et on commence à saisir de quel bois est fait l'engagement socialiste.
Sur Lille, seule la section de Wazemmes s'est permise de contester la liste proposée par Aubry : 18 votes pour, 18 contre. Si en interne Aubry recueille des scores de République bananière, c'est en partie lié à la fonctionnarisation du parti. Dans la mesure où beaucoup de responsables sont tenus par leur emploi (au Conseil Général par exemple, voir ci-dessous), hors de question de l'ouvrir. Quand contester son parti revient à contester son employeur, mieux vaut filer droit.
À charge pour l'électorat de venir cautionner tous ces petits arrangements.
Putain de bulletin.
Alain-Phil' Trait
[1] « Top départ pour Martine Aubry et son équipe », Metronewz.fr, 26 janvier 2014.
[2] Idem.
Le PS en 7 portraits
Préparer l’atterrissage. À peine âgée de 37 ans, Charlotte Brun est déjà une ancienne du MJS et du secrétariat national du PS, ex-vice-présidente du Conseil régional d'Île-de-France, et ex-candidate aux législatives. Comme elle s'est ramassée, elle cherche du taf. Et contre ce type de chômage, Aubry sait comment lutter. La palme revient à Estelle Rodes. Présentée sur la liste comme « femme au foyer », elle est, dans la vraie vie, titulaire d'un DEA de sciences politiques, ancienne attachée parlementaire, et elle aussi candidate malheureuse aux dernières législatives. On les attend à l’atterrissage.
Recruter la compétence « diversité ». N°3 de la liste il y a six ans, n°5 cette fois-ci. Mais qu'a donc fait Dalila Dendouga, la trentaine à peine tassée, pour être catapultée aux sommets d'une liste d'éléphants aguerris ? Rien. Enfin si : elle a brillé lors d'un concours d'éloquence entre avocats. La seule fois où Aubry l'a vue avant de lui proposer un strapontin.
Caser les copains. Mélissa Ménet n'a que 28 piges, mais elle a déjà tout compris : assistante parlementaire de Linkenheld, elle a demandé à sa boss de lui trouver un bout de siège au Conseil Municipal. Marc Bodiot a plus de bouteille. L'année dernière, il a reçu la Légion d'Honneur des mains de Jacques Delors. Qu'ils soient respectivement médecin et géniteur de Martine Aubry n'a sans doute aucun rapport avec l'affaire.
Chauffer les pantoufles. 15 berges au cabinet d'Aubry, on comprend que ça ruine le moral. Pas sûr en plus que ça rémunère tant que ça. Du coup Violette Spillebout, qui avait quitté le cabinet pour préparer la campagne en cours, s'est soudainement prise de passion pour un nouveau job : directrice des affaires territoriales NPDC de Gares & Connexions. Tout ça grâce à Guillaume Pepy, président de la SNCF et grand pote à Mamie Aubry. Merci qui ? Merci Pepy !
Verrouiller le pouvoir. Audrey Linkenheld est adjointe au maire et députée. PDS est 1er adjoint à la mairie, conseiller spécial d'Aubry à LMCU, et déjà prêt à éjecter Percheron du trône du Conseil Régional. Gilles Pargneaux est président d'association, membre du Bureau National du PS, secrétaire fédéral du PS du Nord, adjoint au maire, vice-président de Lille Métropole et de l'Eurométropole, et député européen.
Tenir le fonctionnaire en laisse. Après un lâché de ballon à l'effigie de sa patronne, en 2008, Duhem déclarait : « Martine dans tout Lille. Vous vous imaginez ? Vous êtes sur votre balcon, et hop, votre enfant attrape ce ballon dans ses mains. C’est un symbole très poétique ». Pas étonnant que le gamin s'émerveille de si peu : en tant que cadre territorial au Conseil général – sorte de « prépa intégrée » du PS – Duhem doit tout au parti. Et a tout intérêt à tout faire tout comme on lui demande.
Technocratiser la politique . Il y a quelques années, Nicolas Bernard a gentiment validé son Master II en sciences politiques. Puis il a montré ce qu'il savait faire : pas de la politique, mais du lobbying. Puis il a re-montré ce qu'il savait faire : pas de la politique, mais de l'expertise à LMCU pour le compte du cabinet d'Aubry. Et puis donc on lui a appris un nouveau truc : la politique. Il a gentiment pris sa carte, et on l'a directement placé à la tête de la section Bois-Blanc. En attendant mieux.