« C'est Bill qui le premier me parla de la fameuse maladie, je dirais en 1981. […] Il se laissa tomber par terre de son canapé, tordu par une quinte de fou rire : "un cancer qui toucherait exclusivement les homosexuels, non, ce serait trop beau pour être vrai, c'est à mourir de rire !". Il se trouve qu'à cet instant Muzil était déjà contaminé par le rétrovirus ». C'est par ces mots, qu'Hervé Guibert1, écrivain, décrit sa découverte du Sida. Virus qui l'emporte dix ans plus tard à l'âge de 36 ans.
À l’époque, personne ne sait encore ce qu’est réellement cette épidémie qui décime en particulier certaines populations. Ce qu’on appellera la « règle des 4 H » pour Homosexuels, Hémophiles, Héroïnomanes, Haïtiens. Basée sur cette observation empirique, une circulaire de la direction générale de la santé du 20 juin 1983 établit que « le syndrome d’immunodépression acquise représente un risque nouveau et grave pour la santé qui pourrait être dû à un agent infectieux dont la transmission par le sang et les produits dérivés du sang a pu être suspectée mais non établie ».
Homosexuel.les dans le même sac
Il a fallu attendre 19 ans, en 2002 pour que certaines recommandations de la direction générale de la santé proposent de supprimer le caractère discriminatoire du refus du don du sang par l’EFS. Ainsi ce n’est plus la population homosexuelle qui est concernée, mais les « pratiques à risques » et particulièrement les « relations homosexuelles masculines », ce qui permet l’ouverture du droit du sang aux lesbiennes, jusqu’ici injustement montrées du doigt, car celles-ci sont considérées comme sujettes à risque de part leur proximité avec leurs homologues homos ayant des relations homosexuelles masculines.
Jusqu’en 2012, on note une période de flottement sur cette question de l’ouverture du don du sang de la part du ministère de la santé. Un certain Xavier Bertrand, ministre de la Santé (de juin 2005 à mars 2007, de novembre 2010 à mai 2012) déclare même pendant 5 ans vouloir mettre fin à ce qu’il appelle une « injustice », sans que cela soit suivi des faits.
En 2012, un questionnaire de l’association SOS Homophobie est envoyé aux candidats de l’élection présidentielle. À la question du don du sang, le candidat Hollande déclare « [qu’il] est dévastateur à tous les niveaux d’accréditer une forme de présomption de séropositivité des hommes homosexuels ». Il faudra attendre la promulgation le 26 janvier 2016 de la loi Santé par Marisol Touraine déclarant, suite à un amendement, que « nul ne peut être exclu du don du sang en fonction de l’orientation sexuelle ».
Bon sang ! Mauvais sang ?
Oui mais voilà, « pour les hommes ayant eu un ou des rapports sexuels avec un autre homme » sans délai précisé, il leur faudra attendre « douze mois après le dernier rapport sexuel considéré »2 pour donner leur sang. Ce qui ne règle pas finalement le problème puisque les hétéros qui ont eu des rapports sexuels avec plus d’un partenaire dans les quatre derniers mois subissent, eux, seulement une contre-indication de « quatre mois après la fin de la situation considérée » .
Encore une fois, ce ne sont pas les comportements qui sont mis en cause puisqu’il suffit d’avoir eu au moins une relation homosexuelle masculine dans sa vie pour que la règle s’applique. Bien que la prévalence du virus soit plus élevée chez les homosexuels hommes3, c’est le principe des comportements risqués qui devrait être établi4 (multiplier les partenaires, baiser sans capote par exemple).
Et quid des couples gays fidèles et dépistés ? Entre prudence scientifique et lutte contre les discriminations, le chemin est une ligne de crête... À moins qu’on ne soit pas pressé de recevoir du « sang de pédé ».
Harry Cover
1. « À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie » Hervé Guibert, 1990,
Gallimard, p.21.
2. Arrêté du 5 avril 2016 fixant les critères de sélection des donneurs de sang (Légifrance).
3. « Sida : les homosexuels 200 fois plus touchés que les hétéros », Étude Invs, 2010.
4. Si la période test devait déboucher sur une harmonisation des critères entre les hétérosexuels et les autres, elle devrait s’appliquer juste avant la présidentielle... magie de l’agenda.