C’est en 1978, lors de la conférence internationale sur les soins de santé primaires au Kazakhstan, que la Déclaration d’Alma Ata voit le jour. Elle fixe alors un objectif planétaire pour l’an 2000, celui d’offrir une santé digne de ce nom à tous les peuples. Basée sur les soins de santé primaires, elle devait permettre « un développement empreint d’un véritable esprit de justice sociale »1.
En l’an 2000, constatant que l’objectif est loin d’être atteint, une « Assemblée Populaire de Santé » se réunit au Bangladesh. Des organisations internationales, des mouvements issus de la société civile, des ONG et des groupements de femmes provenant de 92 pays différents participent aux débats. Une charte vient concrétiser 18 mois de travail. Ce document fondateur a pour objectif d’informer et de coordonner les actions partout à travers le monde, avec des milliers de réunions de villages, des rencontres nationales et internationales. Aujourd’hui, le réseau s’étend sur plus de 70 pays.
Rétention d'informations
Les acteurs de ce réseau international pour la défense de la santé se battent partout. Leurs luttes permettent des avancées considérables du droit à la santé dans plusieurs pays d’Amérique du Sud (Brésil, Venezuela, Équateur, Bolivie).
Des mobilisations populaires réunissent des dizaines de milliers de personnes revendiquant l’accès aux médicaments génériques ou aux nouveaux médicaments à prix bas. En Inde, au Bangladesh ou en Afrique du Sud, ils se confrontent aux trusts pharmaceutiques et aux États. Plus proche de nous, la mobilisation aboutit à l’annulation de la privatisation de six hôpitaux en Espagne.
Surtout développé dans les pays du Sud, ce mouvement s'est fait relativement discret en Europe. Il apparaît pourtant à Lille, favorisé par les liens forgés au printemps entre participant.es aux Nuit debout et aux mobilisations contre la loi travail. L’assemblée générale de PHM France s'est d'ailleurs tenue dans la capitale des flandres le 24 septembre. Une assemblée européenne est prévue début octobre à Londres. L’objectif de ces rassemblements est de définir les axes d’action de PHM Europe pour les années à venir et d’échanger sur les différentes campagnes en cours. Le réseau et les alliances, que PHM tissent avec d’autres associations et collectifs militants, se concrétisent par une mobilisation internationale le 7 avril 2017, journée mondiale de la Santé, et le 23 juin 2017, à l’occasion de la journée mondiale des services publics. Ces actions ont été décidées par les mouvements sociaux présents au forum social mondial de Montréal, en août dernier.
Au-delà des grandes rencontres pour coordonner les luttes et les réflexions, le réseau PHM existe concrètement à Lille, à travers un audit citoyen du département du Nord. Il vise à mettre en lumière les restrictions budgétaires imposées dans les secteurs sociaux et médico-sociaux. Gênée aux entournures, l’administration départementale bloque le processus en interdisant l’accès aux documents comptables, obligeant ainsi les citoyens-auditeurs à saisir la CADA2. Le combat s’annonce rude, mais localement, il devient possible de s’appuyer sur les liens tissés à l’international et sur un échange d’expériences de luttes. PHM collabore notamment avec « audita sanidad », un groupe de travail espagnol qui audite la dette du ministère régional de la santé de la communauté de Madrid. Il organise des conférences dans les quartiers, dans les centres de santé, informe sur les liens entre politiques et élites économiques, publie des rapports, forme les volontaires et redonne des moyens d’agir aux habitant.es.
Pas de place pour les assos, des palaces pour les aristos
À Lille, une autre lutte soutenue par PHM défend le site d’Ulysse Trelat, l’ancien Établissement Public de Santé Mentale (EPSM). Ce colossal bâtiment de 26 000 m² situé à Saint André a été vendu en toute discrétion par le département, le 4 juillet dernier. Propriétaire du bien, il l’a cédé à un promoteur immobilier pour la coquette somme de 9,5 millions d’euros. Si la Voix du Nord fait l’éloge d’une « bonne affaire »3, elle ne voit aucun problème à ce que l'immeuble héberge encore un centre médico-psychologique destiné aux enfants et adolescent.es et qu’il sert depuis quelques années de locaux associatifs. Une dizaine de salarié.es de l’Armée du Salut y accueillent les sans-abris envoyé.es par le Samu social ; l’ABEJ, association œuvrant au service des plus démuni.es, y a installé son siège depuis 2009. Avec quarante salarié.es et des lits médicalisés, elle assure un hébergement d’urgence aux sans-abris blessés ou malades. Qu’importe, les promoteurs veulent dégager tout ce beau monde et lancer en 2017 le chantier de 300 appartements haut de gamme. Le code de l’action sociale et des familles, entré en vigueur en 1956, rend obligatoire la prise en charge de l’urgence sociale pour toutes les personnes vulnérables. Au-delà de l’argument légaliste, la revente de cet immeuble, pourtant déclaré d’utilité publique, démontre le cynisme et la petite morale de ces élu.es face à la détresse des plus démuni.es.
Ce scandale ne suscite pas le moindre émoi. Il entre pourtant en résonance avec la toute récente délibération de l’assemblée plénière du conseil général du Nord, lors de laquelle a été annoncée la fermeture de 700 places en foyer d’accueil dans les trois prochaines années. La ville et le département ont beau promettre de faire leur possible pour reloger les dizaines de migrant.es mineur.es du parc des Olieux, cette vente montre que la protection de l’enfance ne fait pas le poids face aux offres des promoteurs. Que les puissants soient indifférents au sort de gamin.es à la rue est une chose malheureusement bien connue. Mais sacrifier les rares solutions existantes au profit des plus fortuné.es en est une autre. Nul doute que ces neuf millions d’euros serviront à éponger les intérêts d'une dette pour laquelle le département refuse l'audit.
PHM permet d’armer les luttes locales en informant sur les résistances d’ici et d’ailleurs, une manière d’incarner la convergence des luttes. S’il n’est rien d’autre qu’un réseau, il met néanmoins en lumière l’importance de se coordonner internationalement face à cette classe décomplexée qui, elle, sévit par-delà les frontières.
Brubru
1. Article V de la Déclaration d'Alma-Alta sur les soins de santé primaires, 1978.
2. Commission d'accès aux documents administratifs.
3. « Projet de logements à Ulysse-Trélat à Saint-André : les associations obligées de partir »,
la Voix du Nord, 17 août 2016.